Au diable la géopolitique


Par Dmitry Orlov − Le 9 Décembre 2024 − Source Club Orlov

Tout le monde a été surpris par l’effondrement rapide du gouvernement en Syrie. L’effondrement politique est souvent ainsi : tant que les statues sont sur les places, que les drapeaux flottent sur les bâtiments publics et que les portraits sont sur les murs à l’intérieur, tout le monde suppose que le régime qu’elles symbolisent est plus stable que jamais. Les sondages d’opinion démontrent un soutien sans faille de la population au régime, mais cela est trompeur : à mesure que la fin d’un régime approche, celui-ci s’efforce de réprimer les parties les plus virulentes de l’opposition afin de sauver les apparences.

Bachar Assad était un grand dirigeant – jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. Il a gagné la guerre civile, reconquis des territoires sur ISIS et l’a en grande partie éliminé. Il a certes reçu l’aide des Iraniens et des Russes, mais c’est à lui, à son armée et à son gouvernement que revient l’essentiel du mérite. Les États-Unis, en revanche, qui ont lutté pendant deux ans pour faire quelque chose contre ISIS en Irak ou en Syrie, ne méritent aucun crédit. Les États-Unis ont complètement échoué, et les Russes ont réussi là où les États-Unis avaient échoué.

L’un des principaux problèmes est qu’Assad, après avoir gagné, s’est reposé sur ses lauriers au lieu de réformer la politique et de réécrire la constitution pour qu’elle soit inclusive pour l’ensemble de la population. Au lieu de cela, il a passé son temps à remplir le nid de son clan alaouite tout en s’aliénant davantage les sunnites et les kurdes de la population. En conséquence, son gouvernement a progressivement perdu le soutien de toutes les parties de la population disparate – non seulement les sunnites et les kurdes, mais aussi les druzes, les chrétiens, les chiites, les yézidis, etc.

Un autre problème majeur est que la victoire d’Assad a été incomplète : son gouvernement n’a pas été en mesure d’expulser les Américains, qui squattent les puits de pétrole de la Syrie. La Syrie aurait pu être autosuffisante en matière de production pétrolière ; au lieu de cela, elle a été contrainte de compter sur la générosité des Iraniens, qui lui ont vendu du pétrole à prix réduit – jusqu’en 2023, date à laquelle leur générosité a pris fin de manière assez soudaine. Passé ce cap, l’économie syrienne, déjà perturbée par la guerre civile, a commencé à perdre régulièrement du sang.

La province d’Idlib, vers laquelle tous les restes d’ISIS ont été transportés avec leurs familles à la fin de la guerre civile, a constitué un autre problème majeur. Là, ils ont été soumis à un processus de sélection, se dévorant progressivement les uns les autres, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les meilleurs et les plus forts : Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Ses dirigeants ont eu l’intelligence de s’attirer les faveurs des Turcs, des Américains et des Britanniques, qui les ont aidés à s’équiper de nouvelles technologies militaires révolutionnaires, à savoir les drones. Ils ont même fait appel à des nazis ukrainiens pour les former à l’utilisation de la technologie des drones. Mais le HTS est assez petit – entre 20 et 30 000 combattants selon la plupart des estimations. Il est bien trop petit pour prendre le contrôle et gouverner un pays de la taille de la Syrie.

Et pourtant, il a pu envahir en très peu de temps la quasi-totalité de la Syrie contrôlée par le gouvernement. La seule raison pour laquelle il a pu le faire, c’est qu’il n’avait pratiquement aucune entrave. La frontière de la province d’Idlib, qui s’étend non loin de la ville d’Alep, était censée être gardée par des troupes syriennes soutenues depuis les airs par l’aviation russe d’appui au sol en provenance de la base aérienne de Hmeimim. Mais les troupes syriennes ont tout simplement abandonné leurs positions, retiré leurs uniformes et pris la fuite, abandonnant leurs armes et leurs blindés à l’avancée du HTS, laissant les aviateurs russes sans capacité à agir.

Note du Saker Francophone

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Dmitry Orlov

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Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.

Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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