Par Moon of Alabama – Le 3 juin 2023
Erik Kramer et Paul Schneider sont deux anciens soldats commandos américains qui se trouvent en Ukraine depuis 2022 pour former les troupes ukrainiennes.
Sur War on the Rocks, ils dressent un tableau sombre de l’état de l’armée ukrainienne. Leur objectif est d’obtenir de l’argent pour poursuivre la formation, et le tableau réel est donc peut-être moins sombre que ce qu’ils décrivent. Mais même si l’on tient compte de cela, l’état de l’armée ukrainienne, qui est en guerre depuis plus d’un an, reste bien triste. Voici quelques extraits :
Sur la base de nos neuf mois de formation avec tous les services des forces armées ukrainiennes, à savoir les forces terrestres (armée), le service des gardes-frontières, la garde nationale, l’infanterie navale (marines), les forces d’opérations spéciales et les forces de défense territoriale, nous avons observé une série de tendances communes : absence de commandement de mission, d’entraînement efficace et d’opérations combinées ; pareil pour la logistique et la maintenance ; et utilisation inappropriée des forces d’opérations spéciales. Ces tendances ont sapé la résistance de l’Ukraine et pourraient entraver le succès de l’offensive en cours.
Quelle offensive en cours ?
Dans le cadre du commandement de mission, l’équivalent de l’Auftragstaktik allemand, le chef diffuse son intention (« attaquer par les bois du nord pour prendre la ville x« ) et donne l’autorité aux sous-unités, qui est transmise avec la mission pour responsabiliser les subordonnés à tous les niveaux. Chaque sous-unité peut élaborer ses propres plans afin de coordonner et d’exécuter la mission le mieux possible. À l’inverse, le commandement d’ordre consiste à ordonner chaque détail de l’exécution du haut vers le bas. Les deux ont des avantages, mais un système mixte, comme c’est le cas actuellement en Ukraine, est la pire des situations.
D’après notre expérience, dans de nombreuses unités et états-majors, les forces armées ukrainiennes n’encouragent pas l’initiative personnelle et ne favorisent pas la confiance mutuelle ou le commandement de mission. Comme Michael Kofman et Rob Lee l’ont récemment expliqué dans le podcast Russia Contingency, certains éléments des forces armées ukrainiennes ont toujours la vieille mentalité soviétique qui fait que la plupart des décisions sont prises à des niveaux plus élevés. Parmi les chefs militaires, au niveau de la brigade et au-dessous, nous avons l’impression que les officiers subalternes ont peur de faire des erreurs.
Mais pour utiliser le commandement de mission jusqu’aux niveaux inférieurs d’une section, il faut que des sous-officiers (sergents) dirigent les opérations. Ceux dont disposait l’armée ukrainienne sont probablement morts à l’heure actuelle :
Ayant formé toutes les composantes des forces armées ukrainiennes, nous avons toujours constaté l’absence d’un corps de sous-officiers expérimentés. Il est courant de voir des officiers de terrain courir partout pendant les entraînements pour compter le personnel et coordonner les repas. Aux États-Unis, il faut des années pour former un sous-officier débutant.
L’autre grand problème est la formation et l’utilisation des armes combinées. Les chars protègent l’infanterie, l’infanterie protège les chars, l’artillerie couvre le champ de bataille pour permettre aux chars et à l’infanterie de manœuvrer, et le commandement veille à ce que ces trois éléments coordonnent leurs actions.
La relation entre les blindés et l’infanterie est censée être symbiotique, mais ce n’est pas le cas. Il en résulte que l’infanterie mène des assauts frontaux ou opère en zone urbaine sans la protection et la puissance de feu des chars. De plus, les tirs d’artillerie ne sont pas synchronisés avec les manœuvres. La plupart des unités ne communiquent pas directement avec l’artillerie de soutien, ce qui entraîne un retard dans l’appel aux tirs. On nous a dit que les unités utilisent des coureurs pour envoyer des missions de tir aux batteries d’artillerie en raison des problèmes de communication.
La plupart des opérations militaires ne sont pas échelonnées et sont séquentielles. Les feux et les manœuvres, par exemple, sont planifiés séparément des unités d’infanterie – et les unités d’infanterie planifient séparément de l’artillerie de soutien. Cette mentalité s’applique également à la coordination des unités adjacentes, qui est soit inexistante, soit rare, et qui est à l’origine d’un taux élevé de tirs fratricides. Les commandants d’unité n’ont pas confiance en leurs collaborateurs et hésitent donc à transmettre aux unités sœurs des informations critiques qui pourraient être utilisées contre eux.
Ces problèmes sont aggravés par le manque de fiabilité des communications entre les unités et avec les hauts responsables. Les forces armées ukrainiennes disposent d’un ensemble hétéroclite de radios qui sont vulnérables au brouillage. En outre, les missions des bataillons sont principalement des opérations de compagnies indépendantes qui ne se concentrent pas sur un effort principal associé à des efforts de soutien. Les forces armées ne combinent pas les effets, de sorte que les opérations sont fragmentaires et décousues. Les missions distinctes ne se soutiennent pas mutuellement et les missions des unités de niveau inférieur ne sont pas « imbriquées » dans une mission de niveau supérieur. Le soutien n’est pas non plus synchronisé avec les opérations.
En raison du mélange hétéroclite d’armes et du manque de mécaniciens qualifiés, la logistique et l’entretien des équipements sont un véritable gâchis.
Ce manque de coordination de la maintenance et de la logistique se répercute également sur les soins médicaux. Les évacuations et les soins médicaux sont aléatoires. Des médecins de combat ukrainiens expérimentés ont déclaré à plusieurs reprises que de nombreuses personnes évacuées auraient survécu si elles avaient reçu des premiers soins en temps voulu. Les forces armées ukrainiennes peuvent résoudre ce problème en mettant en place un processus logistique systématique.
Les forces spéciales ukrainiennes sont principalement utilisées comme de l’infanterie alors qu’elles devraient être employées pour des missions plus exigeantes. Il y a également des missions tape-à-l’oeil :
Les unités des forces spéciales ukrainiennes, composées de volontaires internationaux, proposent leurs services aux commandants des unités conventionnelles sans que la mission ne soit liée à un objectif stratégique ou opérationnel. Un exemple de mission est celui d’un commandant de brigade conventionnelle qui avait signalé à son commandement qu’il avait occupé un village pris aux Russes. Lorsqu’il s’est rendu compte que les informations dont il disposait étaient erronées et qu’il avait manqué de temps, il a demandé à l’unité des forces d’opérations spéciales internationales de se rendre dans le village occupé et de prendre une photo d’un drapeau ukrainien placé au sommet d’un bâtiment situé au centre du village.
Une mission suicide pour cacher les faux rapports des commandants…
Les auteurs affirment que la plupart des problèmes susmentionnés pourraient être résolus par une formation plus « occidentale » qu’ils sont tout à fait disposés à vendre. Mais qu’est-il advenu des dernières armées formées par les forces occidentales, en Irak et en Afghanistan ? Elles se sont toutes deux effondrées. Une armée doit refléter la société et la culture locales. Elle ne peut pas être formée de haut en bas par des forces extérieures.
Depuis 2015, l’armée ukrainienne est constituée et entraînée par les forces américaines et britanniques. Ce que les auteurs de WotR décrivent en est le résultat.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone