Par Moon of Alabama – Le 17 février 2023
Le 17 février 2022, un jeudi, le Conseil de sécurité de l’ONU tenait une réunion sur la situation en Ukraine :
S’exprimant devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a révélé certaines conclusions des services de renseignement américains dans le cadre d’une stratégie dont les États-Unis et la Grande-Bretagne espèrent qu’elle exposera et empêchera toute planification d’invasion. Les États-Unis ont refusé de révéler la plupart des preuves qui sous-tendent leurs affirmations.
Il a dit aux diplomates qu’un événement soudain, apparemment violent, mis en scène par la Russie pour justifier une invasion, donnerait le coup d’envoi.
« Nous ne connaissons pas exactement » le prétexte – un « soi-disant attentat terroriste » à l’intérieur de la Russie, une attaque de drone mise en scène, « une fausse, voire une vraie attaque … utilisant des armes chimiques« , a-t-il déclaré.
Elle débuterait par des cyberattaques, ainsi que par des missiles et des bombes tirés contre l’Ukraine, a-t-il ajouté. Détaillant l’anticipation américaine, Blinken a décrit l’entrée des troupes russes, avançant sur Kiev, une ville de près de 3 millions d’habitants, et d’autres cibles clés.
Les renseignements américains ont indiqué que la Russie ciblerait également des « groupes spécifiques » d’Ukrainiens, a déclaré M. Blinken, sans donner de détails.
Dans un clin d’œil implicite à la comparution du secrétaire d’État Colin Powell devant le Conseil de sécurité en 2003, lorsqu’il a cité des renseignements américains faux et non fondés pour justifier l’invasion américaine de l’Irak, M. Blinken a ajouté : « Laissez-moi être clair. Je suis ici aujourd’hui non pas pour déclencher une guerre, mais pour en empêcher une.«
Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas eu d' »événement violent mis en scène« . Il n’y a pas eu non plus de cyberattaques ni d’attaques contre des groupes spécifiques. Les renseignements américains avant la guerre semblent avoir été aussi mauvais que d’habitude.
L’augmentation des bombardements qui s’était produite la veille a finalement été remarquée :
Les autorités séparatistes de la région de Louhansk ont signalé une augmentation des bombardements de la part du gouvernement ukrainien le long d’une ligne de contact sous tension. Le responsable séparatiste Rodion Miroshnik a déclaré que les forces rebelles avaient riposté.
L’Ukraine a contesté cette affirmation, affirmant que les séparatistes avaient bombardé ses forces mais qu’elles n’avaient pas riposté. Le commandement militaire ukrainien a déclaré que des obus ont touché un jardin d’enfants à Stanytsia Luhanska, blessant deux enseignants, et ont coupé l’électricité dans la moitié de la ville.
Le chef de la mission de surveillance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Yasar Halit Cevik, a déclaré qu’il avait signalé 500 explosions le long de la ligne de contact entre mercredi soir et jeudi. Cevik a déclaré au Conseil de sécurité que les tensions ont ensuite semblé s’apaiser, avec environ 30 explosions signalées.
Malheureusement, le Cevik de l’OSCE avait tort.
Le 17 février 2022 également, Associated Press publait un bon article explicatif sur les « rebelles soutenus par la Russie« . J’y soulevais quelques points que les médias « occidentaux » n’osent pas répéter aujourd’hui (c’est nous qui soulignons) :
Lorsque le président ukrainien, favorable à Moscou, a été chassé du pouvoir par des manifestations de masse en février 2014, la Russie a répondu en annexant la péninsule ukrainienne de Crimée. Elle a ensuite jeté tout son poids derrière une insurrection dans l’est majoritairement russophone, connu sous le nom de Donbass.
En avril 2014, les rebelles soutenus par la Russie se sont emparés de bâtiments gouvernementaux dans les régions de Donetsk et de Louhansk, y ont proclamé la création de « républiques populaires » et ont affronté les troupes et les bataillons de volontaires ukrainiens.
Le mois suivant, les régions séparatistes ont organisé un vote populaire pour déclarer leur indépendance et demander à faire partie de la Russie. Moscou n’a pas accepté la motion, dans l’espoir d’utiliser les régions comme un outil pour maintenir l’Ukraine dans son orbite et l’empêcher de rejoindre l’OTAN.
Les votes de 2014 en faveur de l’indépendance ont été cités par la Russie lorsqu’elle a ensuite reconnu les oblasts ukrainiens antérieurs comme des pays indépendants.
L’Ukraine et l’Occident ont accusé la Russie de soutenir les rebelles avec des troupes et des armes. Moscou a démenti, affirmant que tous les Russes qui ont combattu dans l’est étaient des volontaires.
L’ancien officier des services secrets suisses Jacques Baud a déclaré que la plupart des armes et des hommes du côté des rebelles provenaient d’unités de l’armée ukrainienne qui avaient changé de camp. Ils ne venaient pas de Russie :
En 2014, je suis à l’OTAN, responsable de la lutte contre la prolifération des armes légères, et nous essayons de détecter les livraisons d’armes russes aux rebelles afin de voir si Moscou est impliqué. Les informations que nous recevons alors proviennent pratiquement toutes des services de renseignement polonais et ne » collent » pas avec celles de l’OSCE : malgré des allégations assez grossières, nous n’observons aucune livraison d’armes et de matériels militaires russes.
Les rebelles sont armés grâce aux défections d’unités ukrainiennes russophones qui passent du côté des rebelles. Au fur et à mesure des échecs ukrainiens, ce sont des bataillons entiers de chars, d’artillerie ou de défense anti-aérienne qui viennent grossir les rangs des autonomistes. C’est ce qui pousse les Ukrainiens à s’engager dans les accords de Minsk.
…
Pourtant, rappelons-le, il n’y a jamais eu de troupes russes dans le Donbass avant les 23-24 février 2022. De plus, les observateurs de l’OSCE n’ont jamais observé la moindre trace d’unités russes opérant dans le Donbass.
L’article de l’AP répétait également un point que j’ai déjà soulevé concernant l’ordre des accords de Minsk. C’est la partie ukrainienne qui a bloqué leur mise en œuvre en exigeant un contrôle des frontières avant de garantir l’autonomie du Donbass (emphase ajoutée) :
Après une défaite massive des troupes ukrainiennes lors de la bataille d’Ilovaisk en août 2014, des émissaires de Kiev, des rebelles et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont signé une trêve dans la capitale biélorusse de Minsk en septembre 2014.
Le document prévoyait un cessez-le-feu observé par l’OSCE, le retrait de tous les combattants étrangers, un échange de prisonniers et d’otages, une amnistie pour les rebelles et la promesse que les régions séparatistes pourraient avoir un certain degré d’autonomie.
L’accord s’est rapidement effondré et les combats à grande échelle ont repris, entraînant une nouvelle défaite majeure des forces ukrainiennes à Debaltseve en janvier-février 2015.
La France et l’Allemagne ont négocié un autre accord de paix, qui a été signé à Minsk en février 2015 par des représentants de l’Ukraine, de la Russie et des rebelles. Il prévoyait un nouveau cessez-le-feu, un retrait des armes lourdes et une série d’avancées vers un règlement politique. Une déclaration de soutien à l’accord a été signée par les dirigeants de la Russie, de l’Ukraine, de la France et de l’Allemagne.
L’accord de paix de 2015 a constitué un coup diplomatique majeur pour le Kremlin, obligeant l’Ukraine à accorder un statut spécial aux régions séparatistes, leur permettant de créer leur propre force de police et d’avoir leur mot à dire dans la nomination des procureurs et des juges locaux. Il prévoyait également que l’Ukraine ne pourrait reprendre le contrôle de la frontière russe, longue d’environ 200 kilomètres, dans les régions rebelles qu’après l’obtention de l’autonomie et l’organisation d’élections locales sous la surveillance de l’OSCE – scrutin qui maintiendrait presque certainement les rebelles pro-Moscou au pouvoir dans ces régions.
De nombreux Ukrainiens y voient une trahison des intérêts nationaux et sa mise en œuvre est au point mort.
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont bloqué le processus et en ont profité pour armer et entraîner l’armée ukrainienne afin qu’elle puisse, début 2022, tenter de reprendre la région du Donbass par la force.
La mission spéciale d’observation de l’OSCE sur la ligne de cessez-le-feu dans le sud-est de l’Ukraine a signalé le 17 février 2022 que le nombre de violations du cessez-le-feu avait de nouveau augmenté de manière significative. Des échanges d’artillerie ont eu lieu le long de plusieurs parties du front.
Dans la région de Donetsk, le SMM a enregistré 222 violations du cessez-le-feu, dont 135 explosions. Au cours de la période précédente, il avait enregistré 189 violations du cessez-le-feu dans la région.
Dans la région de Louhansk, la Mission a enregistré 648 violations du cessez-le-feu, dont 519 explosions. Au cours de la période précédente, elle avait enregistré 402 violations du cessez-le-feu dans la région.
En violation des lignes de retrait, les deux parties ont augmenté le déploiement d’équipements lourds dans les » zones d’entraînement » ainsi que vers la ligne frontalière :
En violation des lignes de retrait, la mission a observé un système de missiles sol-air dans une zone de la région de Donetsk contrôlée par le gouvernement. Elle a également repéré 21 obusiers, cinq canons antichars (dont quatre probables) et un système probable de lance-roquettes multiples, dans deux zones d’entraînement situées dans des zones non contrôlées par le gouvernement de la région de Luhansk.
Au-delà des lignes de retrait mais en dehors des sites de stockage désignés, le SMM a vu dix obusiers tractés et deux systèmes de missiles sol-air dans les zones contrôlées par le gouvernement de la région de Donetsk, dans deux complexes (dont un près d’une zone résidentielle). Elle a également repéré deux systèmes de missiles sol-air, 12 mortiers et 41 chars, dans deux zones d’entraînement situées dans des zones non contrôlées par le gouvernement de la région de Luhansk.
Après un début de semaine calme, la recrudescence soudaine des violations du cessez-le-feu et des explosions était très visible.
La carte montre les explosions, les petits points noirs, des deux côtés de la ligne de cessez-le-feu. Bien que seules quelques-unes des centaines d’explosions aient été localisées et marquées sur la carte, le décompte des points noirs indique 23 impacts du côté du Donbass et 13 du côté de la ligne de cessez-le-feu contrôlé par le gouvernement. Les duels d’artillerie semblent ainsi devenir plus inégaux que la veille.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.