Par Tom Luongo – Le 3 juillet 2021 – Source Gold Goat’n Guns
Parfois, la signification des événements ne vous frappe que bien après qu’ils se soient produits. L’une des parties les plus difficiles de mon travail est de savoir quand il faut s’abstenir d’écrire sur un sujet et de laisser le sujet s’imprégner un peu, plutôt que de débiter la première chose qui vous vient à l’esprit. Il est également utile de prendre le temps de réfléchir à ce que les autres disent sur le sujet.
Le post mûrement réfléchi de The Saker sur les résultats du sommet Biden/Poutine vaut la peine d’être lu. Il souligne à juste titre que le principal résultat a été un signal de l’équipe de Biden, et de ses conseillers, que la guerre hyper-agressive contre la Russie qui dure depuis 2013 est maintenant terminée.
… ce que Biden a fait et dit était très clairement très délibéré et préparé. Ce n’est pas le fait d’un président sénile perdant sa concentration et crachant simplement des absurdités (défaitistes). Par conséquent, nous devons conclure que certains membres de la configuration actuelle du pouvoir (réel) américain ont décidé que Biden devait suivre une nouvelle voie, différente, ou, à tout le moins, changer de rhétorique. Je ne sais pas qui/qu’est ce segment de la configuration du pouvoir américain, mais je pense que quelque chose s’est produit qui a forcé au moins une partie de la classe dirigeante américaine à décider que la guerre d’Obama contre la Russie avait échoué et qu’une approche différente était nécessaire. C’est du moins le point de vue optimiste.
J’ai quelques idées sur les commanditaires de ce changement de ton qui est devenu évident dans les semaines qui ont suivi la réunion. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
Ce sommet a été le signal d’un changement majeur dans la politique. Kissinger n’est plus la force motrice intellectuelle de la politique étrangère américaine. Diviser pour mieux régner n’a pas fonctionné.
Comme l’a souligné Alex Mercouris lors d’un récent entretien, la principale offre faite par Jake Sullivan à son homologue russe au nom de Biden était probablement de faire participer la Russie aux projets d’infrastructure en Afrique si la Russie desserrait ses liens avec la Chine. La Chine est le nouveau pivot de la politique étrangère américaine.
Si cette offre a été faite, c’était un geste calculé pour dire à Poutine que les États-Unis n’étaient pas sérieux dans leur volonté de changer la dynamique entre eux. Je pense que beaucoup plus de choses ont été dites que ça. Mais Poutine ne l’a pas dit directement à Biden. Ce sommet était un cessez-le-feu dans la guerre contre la Russie, un mouvement typique pour se retrancher et repenser les options après une défaite majeure. Cette défaite n’était pas l’abandon d’une guerre dans le Donbass. Les deux événements sont intimement liés.
En fait, cette démonstration de force et cet ultimatum de Poutine à l’OTAN (et plus particulièrement au sommet du Davos) en Ukraine est ce qui a catalysé ce sommet en premier lieu. Entre cela et l’effondrement du récit de la Covid-19, il y avait toutes les excuses nécessaires pour faire publiquement pivoter l’agression américaine de la Russie vers la Chine.
Il s’agissait d’un sommet majeur dont l’organisation a pris des mois, avec des centaines de personnes des deux côtés, comme le souligne The Saker. Ma première réaction a été de penser que rien de substantiel n’avait changé. Un cessez-le-feu avec la Russie ne signifie pas la fin de la guerre avec elle, alors qu’est-ce qui a changé exactement ?
C’est pourquoi j’ai pris le temps de réfléchir.
Pour comprendre le point de vue plus général que je m’apprête à formuler, il faut voir les choses du point de vue du Davos et de ses objectifs. J’ai pris le temps d’y réfléchir dans la première partie d’une récente série de podcasts que j’ai réalisée pour exposer le contexte (écoutez-la ici).
Le plus important est de garder à l’esprit que le Davos n’est pas une organisation monolithique sous le contrôle total du marionnettiste Klaus Schwab, président du FEM. Il s’agit, au mieux, d’une coalition peu structurée de parties intéressées qui cherchent toutes à obtenir leur part du gâteau mondialiste. Et elle ne tient que tant que Schwab et ses collaborateurs gagnent et continuent de gagner.
Le Davos considère que le meilleur moyen de mener à bien son programme de « Grand Reset » est de placer les États-Unis et la Chine sur le chemin irrévocable de la guerre. Faire une paix temporaire avec la Russie fait partie de ce plan. C’est aussi une défaite majeure pour le Davos.
La Russie a refusé de mener la guerre qu’Obama a déclenchée et que le MI-6 a menée pendant l’interrègne de Trump pour le compte du Davos. Elle a joué sur la durée en gelant le conflit en Ukraine tout en permettant à l’usure politique de faire des ravages sur toutes les personnes impliquées. Cela a également permis à la Russie de disposer du temps nécessaire pour achever sa domination stratégique du théâtre en Europe de l’Est. Elle dispose désormais de missiles hypersoniques capables de neutraliser toute idée de supériorité aérienne de l’OTAN.
Culturellement, les Russes savent comment faire face à ce type d’agression européenne. Le peuple russe est fier de lui-même mais n’est pas nationaliste, c’est-à-dire qu’il n’est pas submergé par l’orgueil culturel comme le sont la Chine et les Européens/Américains. Il s’agit d’une différence essentielle pour comprendre pourquoi les événements se sont déroulés comme cela.
L’orgueil ethnique européen/américain n’a rien de nouveau. Cependant, si quelqu’un doute de ma lecture des Chinois à cet égard, je n’ai qu’à vous rappeler à quel point il a été facile de faire exploser les relations entre le Japon et la Chine en 2012 au sujet des îles Senkaku, ce qui a conduit à des actes de vandalisme contre des concessionnaires Toyota et Honda… pour des pierres quasiment sans valeur.
Donc, selon ce calcul, maintenant que l’Ukraine a refusé de se joindre à la guerre lancée par le Davos, la guerre avec la Russie n’est plus d’actualité pour le moment et le pivot vers la Chine commence. Il faut imposer une crise existentielle à la Russie pour l’amener à se battre et, à défaut, il est inutile de la rechercher directement. Poutine a indiqué très clairement que toute agression dans le Donbass serait un acte de guerre qui ne s’arrêterait pas à la ligne de contact de Gorlovka.
Leur réponse viserait le véritable ennemi, l’OTAN. Raison pour laquelle rien n’a changé et tout a changé avec ce sommet.
Le Davos va toujours appliquer son scénario consistant à détruire les États-Unis et la Chine en les opposant l’un à l’autre, tout en essayant de transformer l’Europe en un État policier technocratique supranational. Sur ce dernier point, ils ont fait plus de 80% du chemin.
Mais, en même temps, la seule raison d’être de l’Union européenne telle qu’elle a été vendue aux Européens est d’empêcher toute nouvelle guerre dévastatrice sur le sol européen. Si Poutine menaçait d’une guerre plus large avec l’OTAN en leur assurant que la Russie gagnerait cette fois, alors toute la raison d’être de l’UE s’évaporerait comme le premier F-16 ou centre logistique touché par un missile Kinzhsal.
Le marteau rencontre l’enclume, Herr Schwab. Pour une fois, quelqu’un d’autre vous a présenté un scénario sans issue.
Ainsi, afin de s’assurer que la Russie reste apaisée et heureuse de rouvrir des relations quelque peu normales avec l’UE, Biden a été envoyé à Genève pour élaborer un sommet permettant de sauver la face et cosigner une simple déclaration dans laquelle il s’engage à rouvrir les négociations sur le contrôle des armements, à coordonner la lutte contre le terrorisme et à ne pas bombarder l’Europe.
La deuxième partie de ma série de podcasts a examiné en détail les tenants et aboutissants de ce sommet.
Les deux empires à tendance exceptionnaliste, les États-Unis et la Chine, sont des adversaires bien plus faciles à mettre en conflit en raison du besoin intense des deux parties de ne pas perdre la face. Pour les États-Unis, en tant qu’« hégémon » mondial, perdre la face équivaut à une perte de puissance évidente. Lorsque vous gouvernez par la domination et la peur, tout moment de faiblesse est mortel.
C’est pourquoi l’intervention de Poutine en Syrie, le gel du Donbass et la réunification avec la Crimée ont été si importants. Il s’agissait d’une série d’événements qui ont fait éclater la perception de la puissance des États-Unis. Et depuis lors, les feux de brousse se succèdent et ne donnent rien de concret.
Comme le souligne à juste titre The Saker dans son article, Biden s’est attiré les foudres des médias contrôlés par le Davos pour ne pas avoir « tenu tête à Poutine ». Et il est significatif qu’ils aient ne serait-ce qu’envisagé ce calcul, sans parler des ouvertures diplomatiques. C’est pourquoi je pense que mon analyse de la situation est correcte. Seule une menace militaire réelle et crédible de la part de Poutine a pu forcer le résultat que nous avons vu à Genève.
Cela dit, affaiblir Biden et les États-Unis ne fait que préparer le terrain pour le moment où lui ou (plus important encore) son successeur républicain ou de mi-mandat devra affronter la Chine pour de bon.
Maintenant que j’ai exposé cela, est-ce que quelqu’un a manqué les déclarations surprenantes de la Fed le même jour que le sommet Biden/Poutine ?
Quelqu’un n’a-t-il pas remarqué la réaction extrême aux déclarations supposées sans intérêt du FOMC ?
Tout ce que la Fed a fait, c’est de déplacer quelques points sur le graphique des prévisions de taux et de relever de 5 points de base les taux d’intérêt appliqués aux réserves excédentaires (IOER) et les accords de prise en pension (RRP).
Et pourtant, l’euro s’est effondré à la fin du deuxième trimestre et a commencé le troisième trimestre en s’effondrant encore. Et pourtant, le yen a été battu à plate couture. Et pourtant, chaque jour, de plus en plus de personnes s’accordent à souligner l’énorme augmentation de la Facilité de Reverse Repo de la Fed. Depuis cette annonce, ce qui était un montant record de Reverse Repo à environ 450 milliards de dollars a plus que doublé pour atteindre un peu moins de mille milliards.
La Fed ne communiquant plus les réserves excédentaires du système bancaire, nous n’avons aucune idée du montant qui y a été injecté. En bref, un maigre 5 points de base a drainé au moins 500 milliards de liquidités en dollars en moins de deux semaines.
Et trop de gens n’arrivent pas à faire le lien.
Le dollar a connu un revirement mensuel haussier important en juin. La Fed a suivi la déclaration de Powell par celle de Bullard pour assurer le renversement technique dans l’esprit des traders de devises et d’obligations.
Et la question est de savoir pourquoi ?
Juste avant la réunion, j’ai dit à mes Mécènes que je pensais qu’à un moment donné, la Fed devrait intervenir pour défendre le dollar américain. Le dénigrement constant du dollar par Biden pour le Davos ne pouvait tout simplement pas durer éternellement.
J’ai déjà écrit sur les plans du Davos qui veut faire des banques commerciales les boucs émissaires de la prochaine crise et les jeter en pâture aux Millennials en colère à qui ils ont appris à haïr tout ce qui n’est pas marxiste et à se faire clouer au pilori sur l’autel de l’envie égalitaire. Et honnêtement, ce n’est pas comme si ces enfoirés méritaient moins que ça pour ce qu’ils ont fait au monde.
Mais en même temps, ils ont encore des alliés et des cartes à jouer. Et cela signifie que la Fed peut s’aligner sur le Davos sur certaines questions mais pas sur toutes. Et je pense qu’il est clair pour tout le monde maintenant que c’est le plan et que ce plan n’est pas réalisable.
La Fed est maintenant prête, je pense, à entrer en guerre contre le Davos sur l’avenir de l’argent et elle n’est pas prête à remettre les clés du magasin de bonbons à une bande de cocos européens, du moins en excluant complètement Wall St. du Nouvel Ordre Mondial.
La troisième partie de la série de podcasts passe en revue les mesures prises par la Fed et la façon dont elles sont liées à ce qui va suivre.
Le plan est assez évident à ce stade : remettre les clés de la formation du capital aux banques centrales et détruire toute évaluation des risques. Les banques commerciales ne sont pas nécessaires. Seuls les projets socialement acceptables à l’avenir seront financés. C’est ce que veut Christine Lagarde avec sa nouvelle Bourse verte européenne qu’elle a présentée à Ankara la semaine dernière.
Mais ce qui est clair pour moi maintenant, c’est que le Davos est allé trop vite en besogne lors de la nuit du bal de promo à l’Eschaton. C’est trop, trop tôt et l’accélération expose ses flancs. Pourquoi la Chine et les États-Unis entreraient-ils en guerre à propos de la Covid-19 et de questions commerciales alors qu’ils sont manipulés par une bande d’eurocrates inconscients qui ont l’illusion d’être à la hauteur ?
Pourquoi ne pas s’en prendre à eux d’abord, au minimum, en les éliminant d’un revers de la main, c’est-à-dire en augmentant de 5 points de base le RRP, et rappeler à tous où se trouve le véritable pouvoir sur les marchés.
Il est difficile d’ignorer ce qui s’est passé au cours de la semaine du 16 juin, tant sur le plan géopolitique que monétaire. Il n’y a pas de coïncidences ici. Si Powell n’avait pas fait exploser les marchés cette semaine-là, j’écrirais aujourd’hui un point de vue différent sur le sommet Poutine/Biden.
Mais il l’a fait, alors je le fais.
Tant de gens caractérisent mal les politiques de la Fed. Ils passent à côté de l’importance mondiale de ce qu’ils font en se focalisant sur des données économiques américaines mauvaises et trompeuses. Mais le dollar est la monnaie de réserve mondiale, comme le souligne Martin Armstrong chaque jour, et cela signifie que la politique de la Fed est élaborée dans le contexte des mouvements de capitaux et des politiques mondiales.
La myopie de la plupart des analystes provient de leur formation. Ils ont été formés à un ensemble de compétences particulières et, de ce fait, ne voient pas la situation dans son ensemble. Ils se perdent dans les miasmes de données nationales de mauvaise qualité, contradictoires et délibérément confuses, et manquent l’éléphant qui se déchaîne dans le magasin de porcelaine politique.
Ce qui pêche, par exemple, dans l’analyse de Genève par The Saker, c’est qu’il la considère, pour l’essentiel, d’un point de vue monolithique Russie/États-Unis, tout en ignorant le tableau d’ensemble de ceux qui se disputent le contrôle du système monétaire. Ce n’est pas un reproche, ce n’est tout simplement pas sa priorité absolue.
Mais c’est un reproche à ceux qui ont été formés pour comprendre les enjeux dans ces domaines.
La géopolitique découle du contrôle des flux de capitaux, et non l’inverse. Donc, quand vous voyez de grands changements sur les deux fronts de la part d’un acteur majeur comme les États-Unis, cela signifie quelque chose. Les États-Unis ont modifié leur position à l’égard de la Russie tout en corrigeant leur politique monétaire et en mettant les marchés en ébullition le même jour !
C’est pourquoi il faut faire une analyse multivariée de TOUS les acteurs, et pas seulement des deux dominants, et analyser toutes leurs motivations. C’est une histoire si importante qu’il m’a fallu deux heures de podcasts pour en effleurer la surface.
En conclusion, je maintiens que Powell n’est pas le même type de mondialiste que les autres présidents de la Fed, comme Yellen et Bernanke. Son expérience en matière de capital-investissement lui confère une mentalité et des priorités différentes de celles de ses prédécesseurs. Cela signifie qu’il sera peut-être plus enclin à s’écarter du Davos lorsque le moment sera venu.
Cette compréhension, ainsi que les erreurs du Davos, font que beaucoup de personnes puissantes remettent en question le plan. Cela peut facilement expliquer pourquoi les fissures commencent à s’élargir quant à savoir qui devrait réellement être en charge une fois tout cela terminé.
La vraie guerre maintenant n’est pas entre l’Empire et la zone B. Ou les communistes contre les conservateurs. C’est Davos contre lui-même et nous sommes maintenant, malheureusement, pris entre ces factions.
Toutes les hiérarchies construites sur la force sont méta-stables. Jusqu’à récemment, le Davos a maintenu son contrôle parce qu’il a géré avec compétence tous les acteurs, déplaçant les pièces là où elles étaient nécessaires. Maintenant, ils ont commis des erreurs fatales – COVID, Trump, Brexit, NS2, l’intransigeance au sujet de la Russie, le JCPOA, la Syrie, l’Ukraine, – et de là où je me trouve, il semble que les différentes factions soient à couteaux tirés, rapidement.
Et comme Daniel Craig le dit si bien dans ce film, « Je soupçonne… un acte criminel ».
Je ne doute pas une seconde que Powell ferait s’effondrer l’économie mondiale en 2021 pour protéger Wall St. et faire reculer la Chine. Je ne pense pas non plus que Biden lui ait donné le feu vert pour le faire. Je pense qu’il lui a été demandé de tirer un coup de semonce, faute d’un meilleur terme, en utilisant Wall St.
Si le Davos l’écoute de la même manière que les Britanniques ont écouté les tirs d’avertissement de la Russie contre le HMS Defender dans les eaux de Crimée récemment, il faut s’attendre à une salve complète à Jackson Hole. Quelqu’un peut-il dire 25 points de base ?
Biden et Obama ont reçu l’ordre de se retirer et de se recentrer sur la Chine au Davos, mais ceux qui sont derrière Powell leur préparent un retour de bâton massif pour les élections de mi-mandat.
La chose la plus intelligente à faire pour Xi Jinping dans tout cela est de ne rien faire. S’il souhaite vraiment découper le monde et ne pas remplacer les États-Unis par une hégémonie chinoise, ces prochains mois de troubles en Occident le prouveront.
Cependant, au vu de ses récentes actions et déclarations, la probabilité que cela se produise est faible.
Il faut que les choses changent… eh bien, vous connaissez la suite.
Tom Luongo
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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