Les braves soldats Petrov et Boshirov et l’arsenal de Vrbetice, en République tchèque.


Texte du rapport d’enquête de J. Hašek, Bellingcat


Par Dmitry Orlov – Le 26 mai 2021 – Source Club Orlov

Petrov et Boshirov

Son Excellence a dit : « Petrov et Boshirov, vous êtes des crapules ! Mais puisque vous voulez servir, allez apprendre à travailler avec du coton à canon. Ça vous fera du bien. »

Et c’est ainsi que les braves soldats Petrov et Boshirov sont allés travailler à l’arsenal, apprenant à emballer le coton à canon dans les obus d’artillerie. C’est un métier délicat : vous pouvez être projeté en l’air à tout moment, et c’est le baisser de rideau !

Mais les braves soldats Petrov et Boshirov n’ont pas reculé devant ce travail. Très satisfaits, ils passaient leurs journées dans une baraque séparée, assis entre des fûts de dynamite, d’écrasite et de coton à canon, à remplir des obus d’artillerie avec ces substances effrayantes et à chanter des hymnes de guerre.

Après quelques hymnes de combat entraînants, suivaient des chansons sincères sur des boulettes de la taille d’une tête, que Petrov et Boshirov avalaient avec un plaisir indescriptible.

Et c’est ainsi qu’ils vivaient, heureux de leur sort, en tête-à-tête avec les canons, dans un baraquement séparé de l’arsenal. Mais un jour, une inspection est venue vérifier si tout allait bien dans la caserne.

En s’approchant de la caserne dans laquelle les braves soldats Petrov et Boshirov apprenaient à manier la mitraille, les inspecteurs ont vu de gros nuages de fumée de tabac créés par les pipes que Petrov et Boshirov fumaient et ont compris que ces deux-là étaient vraiment de braves guerriers.

Lorsqu’ils ont vu leurs supérieurs, Petrov et Boshirov se sont levés et, conformément au règlement, ont retiré les pipes de leurs bouches et les ont mises de côté, mais pas trop loin – juste à portée de main, et juste à côté d’un tonneau d’acier ouvert rempli de coton à canon. Puis ils se sont mis au garde-à-vous et ont fait leur rapport :

Nous avons l’honneur de signaler qu’il n’y a eu aucun incident, tout est en ordre.

Il y a des moments dans la vie d’une personne où tout dépend du maintien de son sang-froid. Le coton à canon commençait déjà à être enveloppé de ruisseaux de fumée de tabac. Le colonel fut le premier à penser à quelque chose. Il a dit :

Petrov et Boshirov, je vous ordonne de continuer à fumer !

C’était très habile de sa part, car il valait beaucoup mieux que les pipes résident dans la bouche de Petrov et de Boshirov que près du canon.

« Oui, monsieur, colonel ! » Petrov et Boshirov ont répondu en se mettant au garde-à-vous. Ils étaient très disciplinés.

Et maintenant, au pas de course vers la prison !

Désolé, Monsieur, mais nous sommes affectés à la garde jusqu’à 18:00 heures, heure à laquelle nous serons relevés. Quelqu’un doit garder le coton à canon à tout moment ou il pourrait y avoir des problèmes !

Les inspecteurs se rendent en toute hâte au poste de garde et envoient une patrouille chercher Petrov et Boshirov.

La patrouille se met en route sans grand enthousiasme.

En approchant de la baraque dans laquelle Petrov et Boshirov étaient assis en train de fumer leur pipe, le caporal s’est écrié :

Petrov et Boshirov, vauriens, jetez vos pipes par la fenêtre et sortez !

Je suis désolé, Monsieur, mais nous ne pouvons pas. Le colonel nous a ordonné de continuer à fumer. Et donc nous continuerons à fumer même si vous nous coupez en morceaux.

Sortez, bande de salauds !

Non, nous ne sortirons pas. Il n’est que 16 heures et nous sommes censés être relevés à 18 heures. D’ici là, nous devons rester près du canon, pour éviter les problèmes. Nous devons être très stricts sur…

Ils n’ont pas pu finir. Peut-être avez-vous entendu parler de l’horrible catastrophe qui s’est produite à l’arsenal de Vrbetice, à la suite de laquelle un jour de deuil national a été déclaré dans toute la République tchèque ? En trois quarts de seconde, l’arsenal tout entier s’est envolé.

Tout a commencé dans la baraque où les braves soldats Petrov et Boshirov apprenaient à manier le coton à canon. Un tumulus entier s’est formé à cet endroit, composé de rondins, de planches et de ferraille qui ont volé de partout afin d’honorer comme il se doit les soldats intrépides Petrov et Boshirov qui n’avaient pas peur du coton à canon.

Pendant trois jours et trois nuits, les sapeurs ont travaillé sur le site, triant les têtes, les corps, les bras et les jambes, afin que le Seigneur, lors du jugement dernier, puisse plus facilement déterminer le rang des défunts, afin de distribuer les médailles en conséquence. C’était un casse-tête très difficile.

La troisième nuit, ils pénétrèrent dans les profondeurs de cette montagne de bois et de métal, et entendirent soudain les sons d’un hymne de combat entraînant. À la lumière des torches, ils ont commencé à creuser dans la direction d’où provenait le chant. Ils tombèrent bientôt sur une petite grotte formée de ferraille et de rondins. Dans un coin étaient assis Petrov et Boshirov. Ils ont retiré leurs pipes de leurs bouches, se sont mis au garde-à-vous et ont fait leur rapport :

J’ai l’honneur de vous annoncer qu’il n’y a eu aucun incident, tout est en ordre !

Ils ont été tirés de ce chaos et, placés devant un officier, ont fait un nouveau rapport :

Honorés de faire notre rapport, il n’y a pas eu d’incidents, tout est en ordre. Nous demandons à être relevés, puisque notre garde est terminée. Nous demandons également à être payés pour le temps que nous avons passé assis sous les ruines.

Ces deux hommes courageux étaient les seuls survivants.

Ce soir-là, une petite fête a été organisée au club des officiers. Les braves soldats Petrov et Boshirov, entourés des officiers, ont descendu un verre de schnaps après l’autre, leurs visages bienveillants s’illuminant d’un plaisir intense.

Le lendemain, ils ont été promus caporaux et décorés de grandes et brillantes médailles. Marchant dans l’enceinte de l’armée avec leurs médailles et leurs étoiles sur leurs épaulettes, ils rencontrent par hasard Son Excellence, qui frissonne en voyant leurs visages respectueux et bienveillants.

C’est un sacré numéro que vous avez tiré, bande d’égorgeurs !

« J’ai l’honneur de vous annoncer que nous savons maintenant comment manier le coton à canon ! », dirent Petrov et Boshirov en souriant. Et ils partirent fièrement à la recherche de leur régiment.

Le même jour, l’officier de service a lu aux soldats un ordre du ministère de la Guerre concernant l’organisation d’une force aérienne, demandant des volontaires. Les braves soldats Petrov et Boshirov se sont avancés et ont annoncé :

Nous avons l’honneur de vous annoncer que nous sommes déjà allés une fois dans les airs, que nous savons ce que c’est et que nous aimerions servir l’Empereur à ce titre.

Dmitry Orlov

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF