Dmitry Orlov : Mon credo politique


Par Dmitry Orlov – Le 8 mai 2021 – Source Club Orlov

Suggérer que les féministes qui dénoncent les conneries de l’aile gauche veut dire qu’elles soutiennent les conneries de l’aile droite, c’est grossièrement sous-estimer la quantité de conneries en jeu.

Compte tenu du haut niveau de polarisation politique aux États-Unis et, de plus en plus, en Europe occidentale, il semble assez important d’éviter de se retrouver pris entre deux feux. Certains esprits curieux voudront peut-être savoir quelle est ma position politique : suis-je un Trumpiste ou une groupie de Biden ? Suis-je un communiste ou un fasciste ? Il ne sert à rien de dire aux gens que je ne suis rien de tout cela. Les gens supposent automatiquement que si vous n’êtes pas une chose, alors vous devez être l’autre. Heureusement, j’ai un credo politique fondé sur des principes. Ce n’est même pas individuellement le mien ; je le partage avec mon collègue Sergei Vasilyev et probablement avec tout un tas d’autres personnes raisonnables qui l’accepteront volontiers comme le leur après l’avoir lu. Et donc, sans plus attendre, voici mon credo politique (et celui de Sergei).

1. Je crois que seul le gouvernement fédéral peut et doit être le centre de pouvoir qui concentre les ressources et les dirige vers des activités qui ne peuvent ou ne doivent pas être gérées sur une base lucrative. Cette liste comprend toutes les activités qui forment la structure cohésive de l’État et qui lient les citoyens en un tout bien coordonné : l’exploitation et la protection des ressources naturelles, la construction de routes, les communications, la sécurité publique et la défense, les infrastructures sociales telles que les transports en commun et les installations de loisirs, les soins de santé et l’éducation. Tout cela doit être tenu par un seul ensemble de mains très fortes. Cela fait de moi un gauchiste totalitaire – un de ceux qui préconisent toujours un rôle accru pour le gouvernement.

2. Simultanément, je crois que le gouvernement, qu’il soit fédéral ou local, a un rôle purement consultatif et de supervision dans des domaines tels que la restauration, l’habillement et la chaussure, le toilettage des chiens, la réparation automobile et mille et une autres activités du quotidien, où une lourde bureaucratie gouvernementale n’a aucune chance de suivre la cadence d’entrepreneurs privés agiles. Bien sûr, le gouvernement peut et doit fixer et faire respecter des normes de qualité, de sécurité publique et d’environnement, des lois sur le travail et maintenir et mettre à jour toutes les réglementations applicables, en établissant, chaque fois que cela est possible, des partenariats public-privé dans le but de contrôler et de rendre compte de la conformité. Cela fait de moi un capitaliste de droite – un de ceux qui plaident constamment pour une implication minimale du gouvernement dans l’économie.

3. Je crois que le gouvernement ne devrait pas escroquer le public par le biais des taxes, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la taxe sur les ventes. Plus précisément, le travail ne devrait pas être taxé – jamais, du tout. Le gouvernement est (ou devrait se rendre, en réquisitionnant les ressources) suffisamment riche pour payer sa propre part en exploitant et en faisant payer un loyer pour toutes les ressources naturelles qu’il possède et/ou contrôle directement, en fixant des droits de licence suffisants, des tarifs d’importation et d’exportation, des droits sur l’utilisation commerciale des chemins de fer, des routes et des communications électroniques, etc. Je suis sûr que, libérés du joug de la fiscalité gouvernementale, les entreprises et les particuliers prospéreraient. Cela fait de moi non seulement un capitaliste de droite mais aussi un libertarien radical – un de ceux qui affirment toujours que l’impôt est un vol et qui demandent que tous les impôts soient abolis.

4. Afin de remplir toutes ses obligations énumérées dans la section 1 ci-dessus, le gouvernement doit avoir accès aux ressources. À cette fin, je crois que le gouvernement doit avoir un accès garanti à toutes les ressources dont il a besoin, quelle que soit la situation financière des particuliers ou des entreprises privées. Les retraites doivent être payées et les routes doivent être entretenues, quels que soient les sentiments des entreprises et des super-riches à ce sujet ou l’ingéniosité dont ils font preuve pour éviter les impôts en cachant leur argent dans des paradis fiscaux offshore et en utilisant d’autres astuces de ce genre. Encore une fois, la meilleure façon d’obtenir ces revenus est de fixer stratégiquement des taux sur l’utilisation des ressources, surtout des ressources énergétiques, qui devraient être réquisitionnées selon les besoins et maintenues sous le contrôle direct du gouvernement. Cela produira l’équivalent d’un système d’imposition progressif, puisque les riches consomment beaucoup plus que les pauvres. Cela fait de moi à la fois un socialiste – l’un de ceux qui se prononcent toujours en faveur de l’impôt progressif – et un capitaliste d’État – l’un de ceux qui croient en un secteur public important et rentable.

5. Je crois que le gouvernement doit être formé de cadres de la plus haute qualité : responsables, motivés pour obtenir des résultats, honnêtes, incorruptibles, patriotes et travailleurs. Cela fait de moi non seulement un gauchiste, mais aussi un communiste pur et dur.

6. Je crois que si quelqu’un fait du bon travail dans sa position d’autorité, que ce soit dans le secteur privé ou dans le gouvernement, il devrait avoir la possibilité de rester dans cette position jusqu’à la retraite. Il est tout simplement stupide de demander à quelqu’un d’investir des années dans l’apprentissage d’un travail compliqué et exigeant pour le remplacer par quelqu’un d’inexpérimenté et donc moins compétent dans le seul but d’imposer des limites artificielles à la durée du mandat. Les républiques bananières se caractérisent par le fait que la plupart des progrès réalisés par une administration sont, dès la fin de son mandat, immédiatement annulés par la suivante. Les personnes dont les postes sont essentiellement honorifiques et établis dans le but d’assurer la continuité et la stabilité politique devraient conserver leur emploi aussi longtemps que possible, dans de nombreux cas jusqu’à la mort, et dans certains cas, ces postes honorifiques devraient être hérités. Cela fait de moi un monarchiste pur et dur.

7. Je crois que les hommes politiques doivent assumer l’entière responsabilité de leurs paroles comme de leurs actes, et que cette responsabilité doit être mise en œuvre par le biais du droit administratif et pénal. Les politiciens doivent assumer la responsabilité personnelle et matérielle de toutes les promesses qu’ils font pendant leur campagne et le non-respect de ces promesses devrait être assimilé à une rupture de contrat et à une négligence criminelle. Cela fait de moi non seulement un gauchiste mais aussi un stalinien pur et dur, puisque c’est sous Staline que les fonctionnaires ont particulièrement découvert la facilité de passer d’un travail de bureau à un travail à l’extérieur avec un pic à glace et une pelle à neige.

8. Je trouve déraisonnable d’espérer qu’un électorat irresponsable et incompétent élise des politiciens responsables et compétents. Je peux comprendre que le vote pour un chef d’État puisse être utile en tant qu’exercice patriotique – un acte d’acclamation où la masse de la population peut exprimer son approbation pour son dirigeant bien-aimé. Je peux également voir comment un vote public libre et honnête est un bon mécanisme pour choisir les fonctionnaires. Cela fait très certainement de moi un démocrate. Mais le choix des politiciens est une responsabilité sérieuse et chaque vote exprimé devrait être traité non pas comme un sondage d’opinion utilisé pour guider la sélection, mais comme une délégation directe et personnelle d’autorité et une garantie personnelle. Si l’élu s’avère ensuite être un criminel qui escroque le public, alors ceux qui ont voté pour lui doivent être tenus responsables du paiement des dommages et intérêts. Et si un groupe de fonctionnaires utilise des preuves falsifiées pour déclencher une guerre génocidaire dans laquelle de nombreuses vies innocentes sont perdues, alors eux, ainsi que tous ceux qui ont voté pour eux, devraient être jugés comme des criminels de guerre, dûment reconnus coupables et condamnés, selon le jugement du tribunal, soit à une vie entière de travaux forcés, soit à une exécution immédiate par un peloton d’exécution. Je ne sais pas si cela fait de moi quelqu’un de gauche ou de droite, ou peut-être les deux à la fois, mais je suis définitivement internationaliste dans la mesure où je crois qu’aucun pays – ses responsables ou ses citoyens – ne peut être autorisé à se placer au-dessus du droit international et doit assumer la responsabilité individuelle de ses crimes de guerre.

S’il y a un enseignement clé à tirer de cette discussion, c’est celui-ci. Il est possible d’adopter une position politique raisonnée et fondée sur des principes en étant, simultanément et sans contradiction interne, un internationaliste démocratique de gauche, totalitaire, capitaliste de droite, libertarien, socialiste, capitaliste d’État, monarchiste et stalinien. Cela indique que ce que les politologues postulent comme étant un spectre politique de gauche à droite, dans lequel ils tentent de contraindre chacun d’entre nous, est un ramassis de conneries. Pire encore, il s’agit d’une tentative flagrante de polarisation, de ségrégation par opinion, puis d’utilisation de tactiques de division et de conquête pour annuler les opinions opposées. Par conséquent, dans une discussion politique, vous devriez vous sentir libre d’appeler cela conneries et d’y mettre fin dès que quelqu’un tente d’introduire des termes polarisants tels que « gauche » et « droite ».

Oh, et si vous voulez toujours m’étiqueter politiquement, je suis un gauchiste totalitaire de droite capitaliste libertarien socialiste capitaliste d’état monarchiste stalinien démocratique.

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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