Racisme, anti-racisme, les élites font leur beurre de tout !

How Aristocracies Benefit Both from Racism and from Anti-Racism

«... En Iran théocratique, le clergé détermine le choix final qui sera présenté au public. Dans la dictature aristocratique américaine, l'aristocratie fait ce choix. Le sectarisme, et sa réponse naturelle, l'anti-sectarisme, font tous deux avancer la cause de l'aristocratie, partout. Il ne suffit pas de diviser pour régner. Il faut aussi pervertir les enjeux en créant les antagonismes, pour distraire.» Eric Zuesse

Eric Zuesse

Par Eric Zuesse – Le 17 juillet 2016 – Source Strategic-Culture

Un bon exemple de la façon dont les aristocraties profitent à la fois du racisme et de la lutte contre le racisme, est la campagne de Hillary Clinton à la présidence des États-Unis, qui est fortement soutenue par l’aristocratie de l’Amérique, et qui est alimentée non seulement par leur argent, mais aussi par la généralisation du racisme dans la culture américaine, et surtout par la répudiation du racisme, également  répandue chez de nombreux Américains.

L’adversaire de Clinton dans les primaires du Parti démocrate, Bernie Sanders, est détesté par l’aristocratie de l’Amérique. En effet, il accuse cette dernière de détruire le pays et il propose des politiques visant à rétablir la démocratie dans son pays, au moyen de diverses interventions gouvernementales visant à inverser le transfert actuel non démocratique des richesses du gouvernement des masses vers les classes. Sanders reconnaissait publiquement que le gouvernement est un instrument de gestion des priorités sociales, et qu’il transfère donc la richesse de certains vers d’autres, via les taxes et autres politiques fondamentales. Pour lui, la distribution des richesses doit être un objectif indépendant des politiques gouvernementales − et non pas simplement ignoré et englobé dans la préoccupation de la croissance économique.

Voici comment Hillary Clinton a remporté l’investiture démocrate dans les primaires : elle a gagné 84% du vote noir dans la primaire cruciale de Caroline du Sud, où 61% des électeurs − dans cette primaire démocrate − étaient Noirs. Sanders a remporté 58% des votes Blancs. Clinton a finalement remporté cette primaire en Caroline du Sud avec 73% des voix, contre 26% pour Sanders, une marge énorme de 47%.

Et puis plus tard, dans les primaires du sud, les marges de victoire de Clinton − parmi la proportion extrêmement forte de Noirs dans ces États démocrates − étaient semblables et cela a provoqué l’échec de Sanders pour l’investiture du parti Démocrate − ces nombreuses primaires l’ont écrasé, en particulier lors du super mardi.

Alors que les deux primaires qui avaient précédé la Caroline du Sud − le caucus dans l’Iowa, et l’élection dans le New Hampshire – avaient lieu dans des États majoritairement blancs du nord, qui avaient été peu façonnés par l’héritage de l’esclavage. La situation raciale était beaucoup plus tendue en Caroline du Sud et dans les autres États du sud, où la culture de l’esclavage persiste encore, plus d’un siècle après la guerre civile qui a eu pour origine l’esclavage.

Le message de Sanders, disant que l’inégalité économique est la racine de l’augmentation de l’inégalité des opportunités économiques en Amérique, a fait un flop colossal parmi les Noirs du sud, pour qui le racisme anti-Noir, omniprésent parmi les populations blanches locales, semblait être beaucoup plus la cause de la répression des opportunités économiques des Noirs que l’inégalité économique existante. Pour eux, l’argument de Sanders −  que l’inégalité économique est auto-entretenue, et donc a besoin de politiques gouvernementales spécifiques pour y répondre − semblait faux parce que le racisme y est très intense. Ils ne pouvaient pas comprendre la thématique riches contre pauvres, parce que ce qu’ils voyaient autour d’eux chaque jour était Noir contre Blanc. Lawrence Summers, conseiller économique en chef, et ami, de Hillary et Bill Clinton, puis de Barack Obama, a enseigné à ses étudiants de Harvard :  «Je pense que nous pouvons accepter, je pense que nous devrions accepter l’inégalité des résultats, en reconnaissant que ceux qui gagnent plus sont dans une meilleure position pour contribuer davantage au soutien de la société.»

Il s’agit de la propagande aristocratique standard, selon laquelle l’inégalité économique ne résulte pas de l’inégalité économique. L’aristocratie veut faire croire au public le mensonge que l’inégalité de la distribution des richesses n’est pas auto-entretenue et n’a donc pas besoin de changement des politiques gouvernementales afin de réduire l’écart par le biais d’actions volontairement ciblées. L’aristocratie, et ses agents, à Harvard et ailleurs, cache au public − et aux étudiants − le fait que la redistribution de la richesse ne se produit pas par elle-même et ne peut pas être mise en œuvre par des politiques qui aident aussi les aristocrates, comme par exemple plus de dépenses dans les infrastructures. Ces politiques libérales classiques axées sur la croissance ne touchent pas vraiment à la redistribution de la richesse, dont l’aristocratie veut rester seule à profiter. Ce mensonge − que l’inégalité économique implique une opportunité économique future pour le public − a également entraîné que le soutien à Sanders a été moins important chez les personnes qui avaient un doctorat et d’autres diplômes d’études post-universitaires que chez les simples diplômés du collège. Clinton a remporté le plus de suffrages parmi les personnes sans éducation au-delà de l’école secondaire, et celles possédant un doctorat ou d’autres diplômes post-universitaires. L’éducation de niveau supérieur dépend fortement de l’aristocratie pour son financement, de sorte que plus ce niveau est élevé, moins le diplômé est progressiste et plus il a tendance à être autoritaire. Cela s’est traduit dans le vote. Le soutien élevé à Clinton parmi la masse des démocrates ayant un faible niveau d’instruction − ceux qui n’ont jamais connu le collège − résulte de la primauté de deux autres facteurs, piliers du conservatisme : la religion et la famille − y compris l’ascendance, qui apporte également avec elle le clan et  la tribu. En outre, ces électeurs travaillent habituellement si dur, rien que pour rester en vie, qu’ils n’ont pas le temps de voir la politique au-delà des médias de masse, qui, bien sûr, sont détenus par les aristocrates et donc inclinés vers Clinton, contre Sanders.

Clinton a également bénéficié − bien que dans une moindre mesure − du fait que la plupart des électeurs de la primaire démocrate de Caroline du Sud étaient des femmes, qu’elle a également ciblées par anti-sectarisme : dans ce cas, anti-sexiste.

Par «racisme» dans le titre de cet article, on entend également toute discrimination sectaire contre un groupe racial, ethnique, sexuel, religieux, ou tout autre segment non économique défini de la population ; ainsi, il comprend également la discrimination de genre et d’autres formes de discrimination. En d’autres termes : toutes les formes de sectarisme et d’opposition au sectarisme distraient le public de l’oppression des aristocrates − les milliardaires, multi-millionnaires et leurs agents − et attirent en revanche l’attention contre le sectarisme, ou en faveur d’un type particulier de sectarisme, contre un groupe particulier ; et, par conséquent, le sectarisme et l’anti-sectarisme bénéficient à l’aristocratie.

Le message de base de Clinton est que l’inégalité des chances économiques de l’Amérique n’est pas un phénomène de classe, mais une affaire de sectarisme, comme la discrimination envers les Noirs, les femmes, les homosexuels, etc. Ce message a convaincu de nombreux groupes minoritaires du Parti démocrate (Noirs, Hispaniques, etc.), même si l’inégalité économique, que ses bailleurs de fonds encouragent et que les politiques de Clinton avantagent, a produit l’éducation pourrie de ces groupes minoritaires, leur incapacité à se désendetter, leurs taux d’intérêts élevés et leur fort taux de maladie, etc. Ces explications au sujet des blocages des possibilités économiques sont abstraites, alors que les incidences du sectarisme contre ces personnes sont concrètes, des blocages flagrants.

La compétition de Clinton contre le candidat du Parti républicain, Donald Trump, se joue contre un candidat aristocratique largement enclin à favoriser le sectarisme des électeurs − en particulier le sectarisme contre les musulmans, et contre les Hispaniques. Il est maintenant confronté à deux exigences contradictoires : il peut soit se concentrer davantage sur la fracture économique de classe en espérant attirer quelques-uns des électeurs de Sanders, et ainsi stigmatiser l’aristocratie de l’Amérique, encore plus qu’il ne l’a déjà fait  (par son opposition à une Clinton fauteur de guerre, à ses mensonges flagrants et à sa corruption, toutes choses qui sont des piliers de toute aristocratie, et donc insulter les aristocrates, y compris lui-même) ou bien il peut continuer à se concentrer sur les sectaires. Mais s’il le fait, la compétition se fera largement entre les sectaires (qui votent pour lui) et les anti-sectaires (votant pour Clinton), auquel cas il y aura toujours beaucoup d’aristocrates qui, contrairement à l’aristocrate Trump lui-même, fuiront toute association publique avec une forme quelconque de sectarisme. D’ailleurs presque tous les aristocrates prétendent s’y opposer, tout comme les Clinton et Obama le font si volontiers, et donc, en plus de voir Hillary être la candidate idéale pour les aristocrates, ils vont priver d’argent la campagne de Trump, qui perdra presque certainement − en tout cas c’est au moins le scénario.

Ce n’est pas une prédiction qu’il va perdre. La compétition présidentielle américaine actuelle n’a pas de précédent historique clair, bien que les réalités stratégiques présentes soient la norme des luttes politiques. Trump est un militant extrêmement redoutable, qui a battu tous ses adversaires jusqu’à présent et aussi tous les experts ou gourous − je m’attends vraiment à ce qu’il gagne, mais on se fout de mon opinion.

L’ironie est ce que la compétition actuelle affiche avec une clarté particulièrement frappante, à savoir une réalité historiquement bien établie, que les aristocraties profitent à la fois du racisme et de l’anti-racisme. Cela n’a jamais été plus clair que maintenant, en dépit des autres aspects très inhabituels de la campagne présidentielle américaine en cours.

Une chose qui affiche plutôt directement la réalité non démocratique de la politique américaine d’aujourd’hui est que les deux, Trump et Clinton, ont − et cela tout au long de la campagne − des scores nets exceptionnellement élevés de désapprobation de la part de l’opinion publique américaine, et que les deux seuls candidats, dans chaque parti, qui avaient une approbation nette positive, étaient Bernie Sanders et le candidat républicain John Kasich. Si ce pays avait été une démocratie, alors ceux qui étaient clairement les candidats préférés, auraient été en finale de la compétition, mais aucun d’entre eux n’a même participé au round final. Ce fait est encore un autre exemple prouvant qu’au stade actuel de l’histoire américaine, les États-Unis sont une dictature aristocratique qui déteste les deux candidats préférés de la nation.

En Iran théocratique, le clergé détermine le choix final qui sera présenté au public. Dans la dictature aristocratique américaine, l’aristocratie fait ce choix. Le sectarisme, et sa réponse naturelle, l’anti-sectarisme, font tous deux avancer la cause de l’aristocratie, partout. Il ne suffit pas de diviser pour régner. Il faut aussi pervertir les enjeux en créant les antagonismes, pour distraire.

Eric Zuesse

Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone

Note du Saker Francophone

On retrouve, dans la dichotomie opérée ici par Zuesse, la scission entre la gauche et la seconde gauche apparue en France durant les années 1960-1980, la première gauche – marxiste – privilégiant les luttes sociales (économiques), et la seconde – libérale – privilégiant les luttes sociétales (culturelles).

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