Les marchés ignorent les fondamentaux…


…ils courent après les gros titres de la presse parce qu’ils sont en train de mourir

"...Le fait que le système entre dans une spirale de la mort sans la béquille psychologique des mesures de relance de la banque centrale devrait vous dire tout ce que vous devez savoir sur la reprise supposée depuis 2008."

Par Brandon Smith – Le 17 février 2016 – source alt-market


Un biais de normalité est une chose assez horrible. C’est effrayant parce que c’est définitif ; un peu comme la mort, il n’y a tout simplement pas de retour en arrière. Plutôt qu’une mort physique, le biais de normalité représente la mort de la raison et de la simple observation. C’est la mort de l’esprit et de la pensée cognitive au lieu de la mort du corps.

Depuis l’effondrement des dérivés de 2008, le public a été abreuvé d’histoires magnifiques de reprise dans les médias de masse, au point que ces fantasmes sont devenus la nouvelle normalité. Ce sont de grands récits des exploits audacieux de banquiers centraux qui nous ont tous sauvés de l’effondrement imminent par une politique monétaire de haute volée et des mesures de relance sans limites.

Les économistes alternatifs n’ont pas été aussi faciles à éblouir. La plupart d’entre nous ont trouvé que le récit de cette reprise manquait d’un petit quelque chose ; à savoir les données réelles qui donnent une vision plus large de la situation. Il a semblé qu’aussi bien les médias traditionnels que les élites ont tenté de trier certains chiffres pour nous les présenter hors contexte, tout en exigeant que nous ignorions tous les autres facteurs comme sans importance.

Nous n’avons tout simplement pas acheté la magie de ceux qu’on appelle les économistes et les universitaires, et maintenant que la réalité financière réelle et très instable du monde bouillonne à la surface, le grand public va commencer à voir pourquoi nous avons eu raison toutes ces années et pourquoi les médias ont eu complètement tort. Les économistes officiels n’ont absolument rien fait dans le sens du journalisme d’investigation et ont plutôt rejoint les leaders d’opinion sur le faux récit, chantant un chant de sirène de statistiques mal interprétées et de mensonges pour entraîner les masses toujours plus près des eaux mortelles de la crise financière.

Pourquoi font-ils cela ? Font-ils partie d’un vaste complot visant à tromper le public ?

Pas nécessairement. Alors que les banques centrales et les gouvernements ont en effet prouvé à maintes reprises leur collusion dans leurs efforts pour dissimuler les dangers financiers, la plupart des économistes dans les médias sont tout simplement avides et ignorants. Vous devez vous rappeler qu’ils ont un intérêt considérable dans ce jeu.

De nombreux économistes classiques ont tendance à avoir des portefeuilles d’investissement considérables et ils fondent leur carrière en partie sur les succès des bénéfices annuels qu’ils accumulent en jouant à la roulette des actions. Ils ont également investi beaucoup de leur image publique dans leurs arguments pro-marché et annonçant le retour à la normale, alors qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Cela revient à dire qu’ils ont un intérêt personnel à utiliser leurs positions dans les médias pour entretenir la psychologie positive du marché (s’ils en sont capables) de telle sorte que leurs portefeuilles demeurent rentables. Sans oublier que leur image professionnelle est en jeu si jamais ils devaient reconnaître qu’ils se sont trompés depuis si longtemps sur la santé sous-jacente de l’économie réelle.

Cette atmosphère autour des intérêts personnels génère également une attitude collectiviste sectaire. Il y a beaucoup d’échanges de bons points et de caresses mutuelles d’ego dans les médias ; une sorte de conduite consanguine avec des arguments régurgités et des discussions orthodoxes. Les gens du club sortent rarement de la ligne du parti, car non seulement ils mettraient en danger leur propre avenir en terme d’investissement et de carrière, mais ils entreraient en contradictions frontale avec tout le monde dans leurs milieux professionnels. Ce qui signifie plus d’invitations aux cocktails chez Forbes

Cela ne veut pas dire que j’excuse leurs mensonges intéressés et la désinformation. Je pense que beaucoup de ces personnes devraient être passées au goudron et aux plumes sur la place publique pour avoir tenté de dissuader les gens de se préparer d’une manière pratique à une instabilité économique grave. Je ne pense pas que ces personnes se considèrent comme étant responsables devant le peuple qui prend encore au sérieux leurs bêtises et qu’elles devraient modifier leur attitude. J’explique seulement comment il est possible pour toute une profession de supposés experts d’être si mauvais si souvent. Les analystes financiers veulent croire en leurs propres mensonges autant que beaucoup dans le public veulent les croire.

Comme je le disais, le biais de normalité est une chose assez horrible.

Une des pièces fondamentales de la désinformation dans les médias qui alimente tous les autres mensonges est la désinformation entourant la baisse de la demande mondiale. Les experts ne peuvent pas et ne vont jamais admettre pleinement la dure réalité de l’effondrement de la demande dans l’économie mondiale. S’ils sont forcés d’admettre cette baisse de la demande, alors c’est toute la façade d’un retour à la croissance de l’économie américaine qui se désagrège.

J’ai couvert les faits cachés derrière la baisse de la demande mondiale en produits de base et en biens de consommation l’an dernier dans la première partie de ma série d’articles en six parties, Un dernier regard sur l’économie réelle avant qu’elle n’implose. Les preuves et les chiffres que je présentais sont devenus plus incontournables ces derniers mois.

Par exemple, les stocks américains sont en train de grossir et les expéditions de fret sont en baisse aux États-Unis, alors que les détaillants parlent d’une baisse de la demande pour des produits de consommation comme principal coupable de cette baisse. Les chiffres officiels des ventes au détail stagnent pour la période des fêtes de 2015. Quand on prend en compte l’inflation réelle des prix, les ventes aux consommateurs sont en fait largement négatives. Selon des méthodes plus précises que le gouvernement des États-Unis avait l’habitude d’utiliser dans ses calculs de l’indice des prix dans les années 1980, nous sommes face à un taux annuel d’inflation des prix de l’ordre de 7 %. L’inflation  ne signifie pas nécessairement une amélioration équivalente des ventes.

La consommation d’énergie a fortement baissé depuis 2008. En dépit d’une population croissante et d’un système économique supposément en croissance aussi, selon le Forum économique mondial,  la consommation de pétrole en 2014 a chuté à des niveaux jamais vus depuis 1997.

C’est exactement le contraire de ce qui devait se produire et c’est à l’opposé des projections fournies au grand public pour la consommation de pétrole depuis 2003. Voilà pourquoi les stocks et le stockage du pétrole à travers le monde atteignent des volumes jamais vus auparavant. La demande américaine de pétrole ne se développe pas de façon exponentielle comme prévu parce que les Américains ne peuvent plus se permettre de soutenir une telle croissance. La baisse de la demande d’énergie à ces niveaux extrêmes est un indicateur indéniable d’un système économique défaillant.

Bien sûr, les économistes classiques, dans leur désespoir pour garder la psychologie du marché tendue vers l’avant et pour permettre au casino des actions de produire des bénéfices, cherchent à présenter ce problème comme un problème de surproduction plutôt que comme une question de demande. Et c’est le moment où l’incohérence de leurs arguments commence à se voir.

Voici le problème présenté dans les médias : qui est venu en premier, la poule ou l’œuf ? Est ce que la baisse de la demande conduit à une surproduction et donc à une baisse des prix ? Est-ce la demande qui reste stable, et la surproduction qui sont les causes de la baisse des prix ? Oui, brouillons les cartes autour de ce problème au lieu de regarder l’évidence.

Comme déjà indiqué ci-dessus, c’est la baisse de la demande qui vient en premier en 2008, et c’est la demande qui continue de baisser par rapport aux tendances passées. Est-ce que les producteurs ont échoué à réduire la production de pétrole pour correspondre à la baisse de la demande ? Oui. Mais cela ne change pas le fait que la demande de pétrole est aujourd’hui bien en deçà des niveaux nécessaires pour soutenir le genre de croissance économique que les marchés attendent. Les économistes traditionnels tentent de distraire en hyper-focalisant l’attention sur l’offre, ou en déviant la discussion vers un scénario similaire. Soit il y a un problème de production, soit il y a un problème de demande, et ils affirment qu’il s’agit seulement d’un problème d’approvisionnement. Ce n’est pas la réalité.

En fait, les deux peuvent exister et existent souvent en même temps, bien que l’un des problèmes se nourrit habituellement de l’autre. La baisse de la demande a tendance à se traduire par une offre excédentaire dans un secteur particulier de l’économie. La vérité de la situation, cependant, est que dans le cas de notre crise actuelle, c’est la demande qui est la force motrice et l’approvisionnement n’est qu’une question secondaire. L’approvisionnement est la force motrice de la volatilité sur les marchés pétroliers. Voilà !

La distraction autour de la poule et de l’œuf dresse sa tête hideuse dans les discussions sur les marchés du fret de la même façon.

Les médias prétendent que l’implosion historique du Baltic Dry index n’est rien de plus qu’un problème d’excès de bateaux opérant sur le marché du fret, argument tant de fois démystifié que vous pourriez penser qu’il est sûrement mort. Mais le mensonge ne veut tout simplement pas mourir.

Les journaux de propagande grand public comme The Economist et Forbes continuent à produire régulièrement des articles qui nient la question de la baisse de la demande pour les produits de base et prétendent que l’offre excédentaire de navires est la cause profonde qui explique la chute du BDI de 98 % de sa valeur depuis ses sommets en 2008.

Je n’ai vu aucun de ces articles fournir des statistiques réelles ou des preuves pour appuyer la revendication que l’offre excédentaire de navires est le coupable et que la demande n’est pas une question légitime. Mais au-delà, pourquoi les médias grand public semblent-ils donc rejeter mordicus le BDI comme un indicateur économique fiable ? Eh bien, c’est parce que les taux d’expédition tombent lorsque la demande chute ; ainsi, lorsque le BDI baisse, il signale un manque de demande mondiale. C’est un fait qu’ils refusent d’accepter. Lorsque le BDI baisse de 98 % depuis le sommet de 2008, précédant la crise des produits dérivés, cela signale une catastrophe à venir.

Maintenant, laissons de côté la désinformation «trop de bateaux est la cause première» une fois pour toutes.

Les compagnies maritimes comme Maersk Line ont déjà admis publiquement que la chute de la demande mondiale est le problème de base derrière la baisse des taux et que l’offre est un critère secondaire. Ils considèrent que la crise financière actuelle est «pire que 2008».

Le fait que la plus grande compagnie de transport au monde mette en garde sur une chute de la demande ne semble cependant pas avoir eu d’effet sur les journalistes vedettes des médias.

Alors, qu’est-ce que les grandes compagnies maritimes font lorsque la demande est en baisse et que trop de navires opèrent sur le marché ? Est-ce qu’ils utilisent ces navires de toute façon avec des taux de remplissage encore plus bas ? Non, cela n’a aucun sens.

Quelle entreprise va laisser ses navires inactifs au port ou les abandonner ? Selon BIMCO (Conseil maritime de la Baltique et à l’international), 2015 a été l’année la plus chargée depuis 2012 pour la démolition des navires les plus anciens en vue de faire place à de nouveaux arrivants. Ce processus de mise au rebut des navires ou leur parcage détruit l’argument selon lequel trop de navires sont à l’origine de la baisse du BDI. En fait, comme l’analyste en chef du fret, Peter Sand de BIMCO, l’a déclaré l’année dernière :

«L’augmentation des taux démolition intervient à un moment absolument nécessaire pour le marché. En regardant le développement jusqu’à présent cette année, la croissance de la flotte a en fait été négative, avec une réduction de 0,8 %.»

J’espère que les colporteurs de mensonges chez Forbes et The Economist pourront admettre une croissance négative de l’approvisionnement en bateau, et non pas une immense sur-capacité de navires de fret. L’augmentation de la démolition était aussi dans l’ensemble valable pour les autres modèles de navires, et pas seulement pour le fret, et l’augmentation de la capacité de chargement avec l’arrivée de nouveaux navires a été négligeable. Pourtant, les tarifs d’expédition continuent à chuter à des niveaux historiquement bas. Seule la chute de la demande, comme Maersk Lines l’admet, explique le crash du BDI à la lumière de ces informations.

La Chine en particulier a offert des incitations considérables pour les entreprises qui mettent des navires plus anciens à la ferraille, au point que certains en sont même à mettre au rebut des navires presque neufs afin d’en tirer un profit.

Maintenant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une surproduction de navires. Il existe en effet de nombreux navires au sein des flottes de fret qui ne sont pas en activité. Mais encore une fois, c’est dû à la demande qui a diminué si fortement que, même avec l’augmentation de la démolition et le marché au ralenti, les compagnies maritimes ne peuvent pas suivre. La baisse de la demande se produit en premier, et l’offre excédentaire n’est rien de plus qu’un symptôme de ce problème premier.

Alors, les pirates des médias, pouvez-vous s’il vous plaît mettre l’argument «un trop grand nombre de navires» à la poubelle pour nous reposer et vous concentrer sur une véritable discussion sur les problèmes évidents autour de la demande ? Cessez de vous concentrer sur les symptômes et examinez la cause, pour une fois.

Ce ne sont que quelques-uns des centaines de problèmes fondamentaux qui minent l’économie mondiale d’aujourd’hui, et ce sont tous des problèmes que les médias continuent d’ignorer ou de balayer d’un revers de main. Ce qui nous amène maintenant à l’accélération de la volatilité sur les marchés boursiers.

Les marchés boursiers sont en baisse, il n’y a pas d’autre moyen de les décrire. Ils baissent progressivement, mais ils baissent néanmoins. Lorsque vous avez des sautes violentes sur les marchés d’actions et sur les matières premières entre 5 % et 10 % par jour, alors quelque chose va très mal dans votre économie et ce depuis un certain temps. Si la consommation et la demande mondiale étaient vraiment stables ou en croissance, alors vous ne verriez pas ce genre de réaction systémique dans le système financier comme nous le voyons maintenant. Si les sociétés cotées sur le Dow Jones faisaient des profits légitimes en raison d’une base de consommateurs en bonne santé en jouissant d’une solide expansion, les actions ne seraient pas de plus en plus volatiles. Si les investisseurs et les analystes traditionnels regardaient effectivement les chiffres réels de la demande (entre autres choses), alors l’étrange comportement des marchés leur serait facile à comprendre. Ils ne regarderont pas ces chiffres jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Au lieu de cela, les marchés ont choisi de chasser les gros titres, et c’est la façon dont le cercle hideux du biais de la normalité et de la dissonance cognitive se referme. Il n’y a pas d’indicateurs positifs dans les fondamentaux aujourd’hui pour dynamiser la foi en l’investissement sur le marché. Aussi, les investisseurs et les ordinateurs de trading algorithmique suivent-ils les manchettes des journaux. Les pirates des médias ont maintenant le pouvoir (avec les banques centrales et les gouvernements) de créer d’énormes appels d’air pour l’achat d’actions avec une ou deux balises de presse soigneusement placées, tels que La Russie examine la réduction de la production de pétrole avec l’OPEP.

Les spéculateurs du marché et les ordinateurs de trading sautent sur ces titres sans vérifier s’ils sont vrais. Dans la plupart des cas, ils sont faux ou juste des ouï-dire à partir d’une source anonyme. Cela entraîne les marchés toujours plus bas dans l’abîme, en attendant le prochain titre pour soutenir l’activité, même pour une journée.

La triste vérité est que si l’un de ces titres s’avérait légitime, son effet n’aurait sans doute pas de sens sur le long terme, car le poids écrasant des fondamentaux continue de renverser un optimisme mal placé. Maintenant que le monde de l’investissement n’a plus de certitudes sur l’interventionnisme de la banque centrale comme un outil utile, il ne sait pas si les mauvaises nouvelles sont de bonnes nouvelles ou si les bonnes nouvelles sont de mauvaises nouvelles. Le fait que le système entre dans une spirale de la mort sans la béquille psychologique des mesures de relance de la banque centrale devrait vous dire tout ce que vous devez savoir sur la reprise supposée depuis 2008.

Aucune société ne veut admettre l’échec économique ou le sabotage économique, ce qui est la raison pour laquelle ce jeu de con est capable de continuer face à tant de vérités concrètes. En fin de compte, les tendances du marché et les tendances économiques iront dans le négatif. D’ici là, attendez-vous à des appels d’air massifs du marché qui vont ensuite se désintégrer en quelques jours. Mais quoi qu’il arrive, ne prenez jamais ce que les économistes traditionnels disent très au sérieux. Ils ont déçu le public pendant assez longtemps.

Brandon Smith.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Daniel pour le Saker Francophone.

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