L’achat de missiles patriotes par la Pologne est un pot-de-vin payé à l’Amérique


La Pologne a annoncé qu’elle achèterait pour 10,5 milliards de dollars de missiles anti-aériens Patriot aux États-Unis.


Par Andrew Korybko – Le 27 novembre 2017 – Source Oriental Review

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Techniquement, la nouvelle officielle est que le département d’État a approuvé la possible vente et que le Congrès a 30 jours pour la bloquer, mais à toutes fins utiles il est largement entendu que l’affaire se fera comme prévu. Cela signifie que ce pays d’Europe centrale renforcera sa position en première ligne en tant qu’avant-garde antirusse de l’OTAN, fonctionnant de manière cruciale comme un élément indispensable du bouclier antimissile que les États-Unis construisent autour des frontières de la Russie. En soi, le système Patriot est actuellement incapable de neutraliser les capacités de frappe nucléaire de la Russie, compte tenu en particulier des progrès des missiles hypersoniques que Moscou a entrepris ces dernières années pour invalider cette stratégie. Cela crée cependant un précédent inquiétant avec une infrastructure liée à des missiles qui pourrait un jour être déployée sur les frontières de la Russie.


La menace latente que cela représente pourrait également amener la Pologne à acquérir des missiles de croisière en violation du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (INF), qu’il s’agisse d’augmenter le potentiel de ses systèmes terrestres ou celui de ses sous-marins, dont le déploiement est déjà planifié. Pour les premiers, les missiles de croisière pourraient être déployés en Pologne sous prétexte d’être des munitions pour les antimissiles Patriot, Moscou n’étant pas en mesure de déterminer si Varsovie renforce ses capacités de frappe défensives ou offensives. Cela contribuera probablement à l’escalade du dilemme de sécurité entre la Russie et l’OTAN, et la Russie et la Pologne en particulier, mais avec la conséquence indirecte que la Pologne payera des milliards de dollars pour améliorer son soft power antirusse auprès de sa propre population et de l’Ouest en général.

Ceci est très important pour le parti Loi and Justice, connu sous le nom de PiS, car le leader du parti, et « cardinal gris » de facto, Jaroslaw Kaczynski, a joué le rôle de russophobe le plus véhément de l’Occident, en partie pour tenter de provoquer plus de sentiment nationaliste au niveau de sa base [électorale, NdT] et donc détourner l’attention sur certaines insuffisances en matière de politique intérieure. En outre, Varsovie pense avec perspicacité que sa croisade anti-russe est nécessaire pour conserver le soutien de Washington dans son opposition à la politique « euro-libérale » de Bruxelles et de Berlin et la promotion par les autorités au pouvoir d’un euro-réalisme révolutionnaire. Ces derniers croient à tort ou à raison qu’une position ferme contre Moscou peut aider le PiS à rester dans les petits papiers du suzerain américain et préserver ainsi son emprise sur le pouvoir au nez et à la barbe des menaces de révolution colorée.

En tant que tel, le coûteux système antimissile patriotique de 10,5 milliards de dollars acquiert une valeur stratégique intéressante pour la Pologne car il permet au gouvernement conservateur de « racheter » le programme américain « euro-réaliste », qui s’aligne également sur la vision idéologique de Trump. Mais cela risque de provoquer dans le pays une dangereuse orgie incontrôlable de nationalisme qui pourrait facilement se transformer en spirale négative dans la gestion des problèmes intérieurs. En outre, la Pologne réduit toute chance réaliste de normaliser les liens avec la Russie après l’achat de ce système d’armes, suggérant que la « guerre froide » provoquée par les Américains entre ces deux voisins slaves similaires en termes civilisationnels continuera dans un avenir prévisible et restera un pilier de la géopolitique continentale, au détriment des intérêts nationaux véritables des deux États et de la dynamique globale de l’émergence de l’ordre mondial multipolaire.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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