Fondation – La chute de l’empire galactique américain 1/3


« La chute de l’Empire, Messieurs, est une chose massive, cependant, et difficile à combattre. Elle est dictée par une bureaucratie naissante, une initiative fuyante, un gel des castes, un barrage à la curiosité – et une centaine d’autres facteurs. Cela se passe, comme je l’ai dit, depuis des siècles et c’est un mouvement trop majestueux et massif pour l’arrêter. » – Isaac Asimov, Fondation


Par Jim Quinn – Le 28 mars 2017 – Source LewRockwell

« N’importe quel imbécile peut affirmer qu’il y a une crise quand elle arrive. Le vrai service à l’État est de la détecter dans l’embryon. » Isaac Asimov, Fondation

J’ai lu la célèbre trilogie de science-fiction primée d’Isaac Asimov il y a quatre décennies, quand j’étais adolescent. J’ai lu ces livres parce que j’aimais les romans de science-fiction, non parce que j’essayais de comprendre la corrélation avec la chute de l’Empire romain. Les ouvrages intitulés Trilogie de la Fondation (Fondation, Fondation et Empire et Seconde Fondation) n’ont pas été écrits comme des romans ; ce sont les histoires rassemblées de Fondation qu’Asimov a écrites entre 1941 et 1950. Il a écrit ces histoires durant les étapes finales de la dernière crise du Quatrième tournant et celles du commencement du « High » suivant. C’est à la même période que Tolkien a écrit la Trilogie du Seigneur des anneaux et Orwell 1984. Ce n’est pas une coïncidence.

Une atmosphère d’appréhension, de danger, de terreur et de malédiction imminente et un état d’insurrection permanent animent tous ces romans parce qu’ils ont tous été écrits durant la phase la plus sanglante et périlleuse du dernier Quatrième tournant. Tandis que l’establishment et sa pensée linéaire continue d’être aveugle à la détérioration continue des conditions économiques, politiques, sociales et culturelles dans le monde, nous sommes entrés dans la phase la plus traîtresse de notre Quatrième tournant actuel.

Cette humeur sinistre submergeant le monde n’est pas une dynamique nouvelle, mais un événement cyclique se produisant tous les 80 ans environ. Il y a huit décennies, le monde était au bord d’une guerre mondiale qui allait tuer 65 millions de personnes. Huit décennies avant 1937, le pays était au bord d’une guerre civile qui devait tuer presque 5 % de la population mâle. Huit décennies avant 1857, la révolution américaine venait de commencer et durerait six années sanglantes de plus. Rien de tout cela n’est une coïncidence. La configuration générationnelle se répète tous les 80 ans, entraînant le changement d’humeur qui mène au changement révolutionnaire et à la destruction de l’ordre social existant.

Isaac Asimov n’avait certainement pas prévu que ses histoires de Fondation représenteraient le déclin de l’empire américain qui n’existait pas encore. Le travail qui a inspiré Asimov était la série en plusieurs volumes d’Edward Gibbon Histoire de la décadence et de la chute de l’empire romain, publiée entre 1776 et 1789. Gibbon a vu la chute de Rome, non pas comme une conséquence d’événements spécifiques et dramatiques, mais comme le résultat d’un déclin graduel de la vertu civique, de la dépréciation monétaire et de la montée du christianisme, qui avait détourné les Romains de l’engagement dans les affaires profanes.

L’ouvrage de Gibbon reflète la même théorie générationnelle embrassée par Strauss et Howe dans Le Quatrième tournant. La conclusion de Gibbon était que la nature ne change jamais et que le penchant de l’homme pour la division, amplifié par les différences environnementales et culturelles, est ce qui gouverne la nature cyclique de l’Histoire. Gibbon construit un récit chevauchant des siècles, alors que les événements se déroulent et que les succès et échecs de l’empereur s’inscrivent dans le contexte d’un déclin implacable de l’empire. Les événements spécifiques et les comportements individuels des empereurs étaient sans conséquence dans le contexte plus large et la tendance générale au déclin historique. L’Histoire avance sans relâche, poussée par la loi des grands nombres.

Asimov a décrit son inspiration pour les romans :

« Je voulais considérer essentiellement la science de la psycho-histoire, quelque chose que j’ai fait moi-même. C’était, en quelque sorte, la lutte entre le libre arbitre et le déterminisme. D’autre part, je voulais faire une histoire sur l’analogie entre lHistoire de la décadence et de la chute de l’empire romain, mais à l’échelle beaucoup plus vaste de la galaxie. Pour ce faire, j’ai repris le rayonnement de l’empire romain et je l’ai écrit en très grand. Le système social est donc très semblable au système impérial romain, mais ce n’était que mon squelette.

 Il m’a semblé que si nous avions un empire galactique, il y aurait tellement d’êtres humains – des quintillions – que vous pourriez peut-être prédire très exactement comment les sociétés se comporteraient, même si vous ne pourriez prédire comment les individus composant ces sociétés le feraient. Ainsi, sur la base de l’empire romain écrit en grand, j’ai inventé la science de la psycho-histoire. Partout dans la trilogie, il y a alors les forces opposées du désir individuel et l’emprise mortelle de la fatalité sociale. »

L’histoire est-elle prédéterminée ?

« Ne voyez-vous pas ? C’est toute la galaxie. C’est un culte du passé. C’est une détérioration – une stagnation ! » Isaac Asimov, Fondation

« Ce fut ma philosophie de vie que les difficultés disparaissent lorsqu’elles sont affrontées hardiment. » Isaac Asimov, Fondation

La trilogie Fondation s’ouvre sur Trantor, la capitale de l’Empire galactique vieille de 12 000 ans. Bien que l’empire apparaisse stable et puissant, il se décompose lentement, de manière parallèle au déclin de l’Empire romain occidental. Hari Seldon, un mathématicien et psychologue, a développé la psycho-histoire, un nouveau champ de la science, qui ramène aux mathématiques toutes les possibilités dans les grandes sociétés, ce qui permet de prédire les événements futurs.

La psycho-histoire est un mélange de psychologie des foules et de mathématiques de haut niveau. Un bon psycho-historien peut prédire le comportement global de milliards de personnes, des années à l’avance. Cependant, cela ne fonctionne qu’avec de grands groupes. La psycho-histoire est presque inutile pour prédire le comportement d’un individu. En outre, il n’est pas bon que le groupe analysé soit conscient de l’être – car s’il en est conscient, il modifie son comportement.

À l’aide de la psycho-histoire, Seldon a découvert la nature déclinante de l’Empire, irritant ses dirigeants aristocratiques. Les dirigeants considèrent les opinions et les déclarations de Seldon comme des trahisons, et il est arrêté. Seldon est poursuivi par l’État et défend ses convictions, expliquant sa théorie que l’Empire va s’effondrer dans 300 ans et qu’il entrera dans un âge sombre de 30 000 ans.

Il informe les dirigeants qu’une alternative à ce futur existe, et leur explique que générer une anthologie de toute la connaissance humaine, l’Encyclopédie Galactica, n’empêcherait pas la chute de l’Empire, mais que cela réduirait l’Âge sombre à « seulement » 1 000 ans.

Les apparatchiks craintifs de l’État lui offrent un exil dans un monde éloigné, Terminus, avec d’autres intellectuels académiques qui pourraient l’aider à créer l’encyclopédie. Il accepte leur offre et met en branle son plan pour instituer deux fondations, une à chaque extrémité de la galaxie, dans le but de préserver le savoir accumulé de l’humanité et ainsi, raccourcir l’Âge sombre une fois que l’Empire s’effondrera. Seldon a créé la Fondation sachant qu’elle serait finalement considérée comme une menace pour les dirigeants de l’Empire, provoquant une éventuelle attaque. C’est pourquoi il a créé une seconde Fondation, méconnue de la classe dirigeante.

Le concept de psycho-histoire d’Asimov, basé sur la prévisibilité des actions humaines en grand nombre, présente des similitudes avec la théorie générationnelle de Strauss & Howe. Sa théorie ne prétendait pas prédire les actions des individus, mais formulait des lois précises, développées à partir d’une analyse mathématique pour prédire l’action de masse des groupes humains. Son roman explore le débat séculaire visant à savoir si l’histoire humaine se déroule de façon prévisible, avec des individus incapables d’en changer le cours, ou si des individus peuvent en altérer la progression.

La nature cyclique de l’Histoire, menée par des cohortes générationnelles de dizaines de millions d’individus, a été documentée au cours des siècles par Strauss & Howe dans leur opus de 1997, Le Quatrième Tournant. Les êtres humains en grand nombre réagissent à la manière prévisible d’un troupeau. Je sais que c’est décevant pour tous les individualistes à la pensée linéaire, qui croient à tort qu’une personne peut changer le monde et le cours de l’Histoire.

La crise cyclique qui se produit tous les 80 ans correspond à la façon dont chaque histoire de la Fondation se concentre sur ce qu’on appelle une crise de Seldon, la conjonction de difficultés externes et internes apparemment insolubles. Les crises ont toutes été prévues par Seldon, qui apparaît près de la fin de chaque histoire comme un hologramme, pour confirmer que la Fondation a correctement traversé la dernière.

Les « crises de Seldon » prennent deux formes. Un événement quelconque se déroule de telle sorte qu’il n’y a qu’un seul chemin évident à prendre, ou les forces de l’histoire conspirent pour déterminer le résultat. La caractéristique commune est que le libre arbitre n’a aucune importance. Héros et adversaires croient que leurs choix vont faire une différence alors qu’en fait, l’avenir est déjà écrit. C’est un point de vue controversé qui dérange beaucoup de gens parce qu’ils estiment que cela les prive de leur individualité.

La plupart des gens ne veulent pas être regroupés et amalgamés à d’autres humains parce qu’ils croient qu’admettre cela les détournera de leur sentiment de libre arbitre. Leurs sensibilités délicates sont blessées par le fait sans équivoque que leurs actions individuelles sont sans effet sur le cours de l’histoire. Mais la folie d’une foule peut avoir un effet radical sur une époque révolue.

« En lisant l’Histoire des nations, nous trouvons que, comme les individus, elles ont leurs caprices et leurs particularités, leurs saisons d’excitation et d’imprudence, quand elles ne se soucient pas des conséquences de leurs actes. Nous trouvons que des communautés entières se fixent subitement sur un objectif et le poursuivent follement ; que des millions de personnes sont simultanément saisies par la même illusion et la poursuivent jusqu’à ce que leur attention soit attirée par une nouvelle folie plus attirante que la précédente. » Charles Mackay, Les illusions populaires extraordinaires et la folie des foules.

Beaucoup de gens font valoir que les progrès dynamiques de la technologie et de la science ont changé le monde de manière à altérer la nature humaine de manière positive, ce qui a pour conséquence que les humains agissent de manière plus rationnelle. Cette altération entraînerait un niveau de progrès humain qui n’a jamais eu lieu auparavant. La fausseté de cette théorie sur la technologie est confirmée par la persistance de la guerre, de la corruption gouvernementale, de la cupidité, de la croyance aux fausses vérités économiques, de la désintégration civique, de la dégradation culturelle et des désordres globaux qui frappent dans le monde entier. L’humanité est incapable de changer. Les mêmes faiblesses et les traits autodestructeurs qui l’ont caractérisée tout au long de l’Histoire sont aussi répandus aujourd’hui qu’ils l’étaient hier.

La solution d’Asimov pour régler l’incapacité de l’humanité à changer était de créer une classe dirigeante bienveillante, axée sur l’université, qui pourrait sauver l’espèce humaine de la destruction. Il semble avoir été bien en avance sur son temps, en ce qui concerne la création des gouvernements de l’ombre et des fonctionnaires de l’État profond. Il semble qu’il était d’accord avec son contemporain Edward Bernays. Comme on ne pouvait faire confiance aux masses pour prendre de bonnes décisions, il fallait des hommes plus avancés intellectuellement pour guider leurs actions.

« La manipulation consciente et intelligente des habitudes et opinions organisées des masses est un élément important de la société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme secret constituent un gouvernement invisible qui est le véritable pouvoir de notre pays. Nous sommes gouvernés, nos esprits sont moulés, nos goûts sont formés, nos idées sont suggérées en grande partie par des hommes dont nous n’avons jamais entendu parler. C’est un résultat logique de la manière dont notre société démocratique est organisée. Un grand nombre d’êtres humains doivent coopérer de cette manière s’ils veulent vivre ensemble en tant que société qui fonctionne en douceur. (…) Dans presque tous les actes de notre vie quotidienne, que ce soit dans le domaine de la politique ou de l’entreprise, dans notre conduite sociale ou notre pensée éthique, nous sommes dominés par un nombre relativement restreint de personnes… qui comprennent les processus mentaux et les motifs sociaux des masses. Ce sont eux qui tirent les fils de l’esprit public. » Edward Bernays – Propaganda

Dans la deuxième partie de cet article, je comparerai et opposerai l’accession au pouvoir de Donald Trump à l’ascension de The Mule, dans le chef-d’œuvre d’Asimov. Une fois dans une vie, on voit des individus exceptionnellement doués venir perturber les plans de l’ordre social existant.

Jim Quinn

Traduit par Julie, vérifié par Wayan, relu par Michèle pour le Saker francophone

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