Les défis du féminisme


Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein

Par Immanuel Wallerstein – Le 1er avril 2017 – Source iwallerstein.com

Commentaire No 446

Les féministes et les mouvements de défense des droits des femmes tirent leur force et leurs arguments idéologiques d’une simple observation. Partout dans le monde et pendant une très longue période historique, les femmes ont été opprimées de multiples manières. Il existe aujourd’hui une énorme littérature, qui présente un éventail très large de points de vue sur ce qui explique cet état de fait et ce qui devrait être entrepris à ce propos.

Je voudrais simplement explorer ici les principales questions tactiques non résolues que le féminisme, comme mouvement et comme idéologie, nous pose à tous dans la lutte mondiale qui est la caractéristique centrale de la crise structurelle du système-monde moderne.

Étant donné que nous sommes tous placés dans un tourbillon de situations en constante évolution, que nous appelons chaos, il y a deux horizons temporels différents, à propos desquels nous devons prendre des décisions en termes d’alliances.

À court terme (d’ici à trois ans), c’est l’impératif de nous défendre contre les tentatives d’aggraver la situation immédiate. Par exemple, il y a des attaques permanentes au droit des femmes de contrôler leur propre corps ou visant à remettre en cause les acquis dans l’accès des femmes aux professions qui leur étaient autrefois fermées.

Lutter contre les attaques à ces acquis ne mettra pas fin au patriarcat ou aux inégalités. Mais il est très important de faire ce que nous pouvons à court terme, pour diminuer la souffrance. Dans cette lutte à court terme, toutes les alliances que nous pouvons construire représentent un plus, que nous ne pouvons pas dédaigner.

Ces alliances à court terme ne permettent cependant pas de gagner la lutte à moyen terme pour remplacer un système capitaliste condamné par un autre, qui serait relativement démocratique et égalitaire. Et là, nous devons être vraiment attentifs à construire des alliances basées sur des objectifs communs. Pour ce faire, nous devons discuter plus avant de nos objectifs et de ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour modifier le rapport des forces entre nous et ceux qui veulent remplacer le capitalisme par un système au moins aussi mauvais, sinon pire, pour nous tous, y compris bien sûr pour toutes les femmes.

Les féministes et les groupes de défense des droits des femmes sont divisés sur un grand nombre de questions essentielles : quelle est la relation à long terme entre les buts féministes et les mouvements basés sur la race, la classe, la sexualité et/ou les « minorités » sociales ? Quel devrait être le rôle des hommes, le cas échéant, dans la lutte pour parvenir à une complète égalité de genre ? Comment pouvons-nous parvenir à transformer la subordination historique des femmes dans toutes les traditions religieuses importantes du monde ?

La réponse que nous donnons à ces questions dépend pour une large partie de nos épistémologies. Nous avons peut-être dépassé le stade où l’épistémologie qui nous guide est un binôme universalismes contre particularismes. Cependant, se contenter de défendre les droits de tous les groupes à maintenir leurs propres particularismes ne répond pas à la question.

Le résultat final d’une vision entièrement particulariste de la vie sociale ne peut être qu’une totale désintégration de la vie sociale. Nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons relier significativement la pratique des valeurs particularistes à un mouvement mondial politiquement de gauche. Si nous échouons à le faire, nous serons en proie à la capture de nos forces par ceux qui voudraient, pour reprendre les mots de Lampedusa, « tout changer pour que rien ne change ».

Nous avons entre vingt et quarante ans pour perfectionner une pratique qui résoudrait ce dilemme. C’est le grand défi que nous posent à tous le féminisme et les mouvements de défense des droits des femmes. L’oppression des femmes est probablement la réalité sociale la plus durable que nous ayons connue. Elle constitue par conséquent la base la plus solide pour la réflexion intelligente, le choix moral et la sagesse politique.

Immanuel Wallerstein

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

   Envoyer l'article en PDF