Disparition, à 77 ans, de Stanislav Petrov, l’officier soviétique qui a permis d’éviter un conflit nucléaire


Par Harrison Smith – Le 18 septembre 2017 – Source Washington Post

Stanislav Petrov, ancien lieutenant colonel des Forces soviétiques de défense aérienne, à son domicile en 2015. On lui attribue le mérite d’avoir identifié une fausse alarme, alors qu’il supervisait un système de défense antimissile d’alerte avancée. Il aurait ainsi prévenu une contre-attaque soviétique et le déclenchement d’une guerre nucléaire.  (Pavel Golovkin/AP)

Lorsque les alarmes ont retenti et que le pupitre de contrôle s’est mis à clignoter devant Stanislav Petrov, un lieutenant colonel de 44 ans à son poste dans un bunker secret de la périphérie sud de Moscou, il restait moins de 30 minutes avant le déclenchement d’une guerre nucléaire.

« La sirène s’est mise à hurler, se souvenait-il plus tard, mais je suis resté assis là pour quelques secondes, les yeux rivés sur le mot ‘Launch’ (Feu !) qui s’est affiché sur le grand écran rouge rétroéclairé. » Selon son expression, il se sentait sur sa chaise comme sur « une poêle à frire brûlante ».

Le Col. Petrov, préposé au système d’alerte avancée antimissile, était chargé de déterminer si les États-Unis avaient ouvert le feu sur l’Union soviétique par-dessus l’océan. Juste après minuit ce 26 septembre 1983, tous les signaux semblaient pointer vers l’affirmative.

Le signal par satellite reçu par le Colonel Petrov dans son bunker indiquait qu’un seul missile Minuteman avait été lancé et qu’il se dirigeait vers l’Est. Quatre autres missiles semblaient suivre, selon des signaux envoyés par satellite. Le protocole à suivre dans ce cas était clair : notifier à temps le quartier général de la Défense aérienne soviétique pour permettre au personnel de l’État major de consulter le leader soviétique Youri Andropov. À coup sûr, il s’ensuivrait une contre-attaque, et un holocauste nucléaire.

Et pourtant, le Col. Petrov, tout en jonglant avec un téléphone dans une main et un interphone dans l’autre, a estimé qu’il s’agissait d’une fausse alerte. Les missiles soviétiques, armés et prêts au lancement, sont restés dans leurs silos. Et les missiles américains, que quelques minutes pouvaient séparer de leur cible, semblaient s’être volatilisés dans les airs.

« J’avais une drôle de sensation au ventre » a déclaré le Col. Petrov au Washington Post en 1999. « Je ne voulais pas commettre une erreur. J’ai pris une décision, et ainsi fut fait. » Il a fêté l’évènement en descendant un demi litre de vodka et s’est ensuite endormi pour 28 heures avant de retourner au travail.

Alors que sa décision binaire a peut-être permis d’éviter une catastrophe, elle a finalement entraîné la fin de la carrière du Col. Petrov, qui est décédé le 19 mai dans sa maison de Fryazino, un centre de recherche scientifique situé près de Moscou. Il avait 77 ans.

Sa disparition – comme aussi l’événement qui a marqué son existence – est passée largement inaperçue dans les médias. Elle a été annoncée par Karl Schumacher, un ami et un activiste qui dit avoir tenu la nouvelle de Dmitri, le fils du Col. Petrov. Le colonel était malade depuis six mois d’une « maladie interne ».

Cet épisode qui a fait sentir au colonel le souffle de l’histoire, a eu lieu six mois après que le Président Reagan avait baptisé l’Union soviétique d’« Empire du Mal ». Il survenait seulement trois semaines après que le vol 007 de Korean Air Lines eut pénétré dans l’espace aérien soviétique et été abattu, à la suite de quoi l’état des relations entre les États-Unis et l’Union soviétique s’est encore détérioré.

En ce mois de novembre, lorsque l’OTAN a tenu un exercice militaire sous le nom de Able Archer 83, les responsables soviétiques ont interprété les mouvements de troupe comme des préparatifs en vue d’une frappe préventive. Le pays mettait en place un arsenal nucléaire destiné à grandir, et l’Occident semblait prêt à monter en puissance lorsqu’un agent des services de renseignements au sein de l’Armée de l’Air US, Leonard H. Perroots – comme le Col. Petrov avant lui – a décidé de ne pas répondre à cette provocation apparente. (L’incident a inspiré une série télévisée récente intitulée « Deutschland 83 ».)

Pourtant, alors que Perroots a été félicité à l’époque et promu directement à l’Agence de renseignements de la Défense, le Col. Petrov est devenu un paria dans le monde militaire soviétique et un bouc émissaire pour ce qui s’est révélé être finalement une erreur d’identification du logiciel du système d’alerte avancée.

Au lieu d’identifier un groupe de missiles, le software avait repéré la réflexion du soleil sur le plafond de nuages.

Le Col. Petrov a déclaré que dès le départ il doutait qu’il y ait eu un lancement, car seul un petit nombre de missiles avait été lancé. « Quand on commence une guerre, on ne la commence pas avec seulement 5 missiles », a-t-il dit au Post et aussi parce que le système soviétique de radar au sol n’avait révélé aucun indice d’une attaque.

Mais une enquête militaire a incriminé le Col. Petrov, qui a été finalement réaffecté. Son tort a été en grande partie de ne pas avoir tenu un compte rendu détaillé de ses actions pendant les cinq minutes qu’il a mises pour décider que l’alarme était fausse. (Ses mains étaient occupées, s’est-il défendu.) Il a aussi remis en cause un protocole destiné à retirer au contrôle des humains une décision aussi lourde de conséquences. Un ordinateur, plutôt qu’un officier, devait décider si une attaque de missiles était imminente et par conséquent, si une action de représailles semblait nécessaire.

Par la suite, le Col. Petrov a répété qu’il avait été « au bon endroit au bon moment ». La plupart de ses camarades, selon lui, aurait confirmé l’approche de missiles, au lieu de mettre en doute les alertes de l’ordinateur.

En fait, selon Peter Anthony, un cinéaste danois qui a dirigé en 2014 un documentaire sur le Col. Petrov intitulé L’Homme qui a sauvé le Monde, le colonel n’était pas censé occuper cette place. Selon Anthony, « un autre officier était malade, et c’est Stanislav qui a pris sa place ».

Stanislav Yevgrafovich Petrov est né le 7 septembre 1939 à Chernigovka, une base aérienne située au nord de Vladivostok. Sa mère était infirmière et son père mécanicien sur avions, et avait volé sur des chasseurs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été abattu par les Japonais et s’en est tiré avec une grave lésion à la tête. À son fils attiré par l’aviation, il a donné cette injonction : ne jamais voler !

Lorsque sa mère est tombée enceinte d’un deuxième enfant, ses parents ont décidé qu’ils n’avaient pas les moyens d’entretenir une famille de quatre personnes et ont inscrit leur fils dans une académie militaire.

Il a étudié les systèmes de radar à longue distance et a été stationné en Extrême-Orient, où il a rencontré sa femme, Raïsa, qui travaillait comme projectionniste sur une base militaire du Kamchatka.

Le Colonel Petrov a finalement donné sa démission de l’armée pour s’occuper de son épouse qui suivait un traitement contre un cancer du cerveau. Vivant presque uniquement de sa retraite d’État, il en a été réduit au point où il devait cultiver des pommes de terre au pied de son appartement pour nourrir sa famille. Pendant un temps, il préparait la soupe en faisant bouillir de l’eau et en y ajoutant sa ceinture de cuir pour lui donner du goût.

Sa femme est décédée en 1997. Outre son fils, le Col. Petrov a laissé une fille, Elena, et deux petits enfants.

Son histoire a fini par trouver un large écho vers la fin des années 1990, après que le Général à la retraite Iuri Votintsev, ancien chef de la défense anti-missile soviétique, a publié un mémoire où il décrit le rôle – jusque là tenu secret – du Col. Petrov dans la prévention d’une catastrophe nucléaire.

Jusqu’au jour où un journaliste de la Pravda a frappé à la porte de l’appartement familial, comme le rapporte Anthony, Raïsa Petrov pensait que son mari était pilote.

« Oh ! Votre mari a sauvé le monde d’une guerre nucléaire », a déclaré le reporter, ce qui a amené le Col. Petrov à claquer la porte, et dans un premier temps, à dire à son épouse que le reporter mentait.

Il avait peur, selon Anthony, « d’être mis à l’épreuve ».

Harrison Smith

Traduit par JMB, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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