Dette: le facteur clé de la connexion entre l’énergie et l’économie


Par Gail Tverberg – Le 2 mai 2016 – Source ourfiniteworld.com

Nombreux sont ceux qui croient que l’utilisation de l’énergie est essentielle à la croissance de l’économie. En fait, je fais partie de ces gens. C’est un point de vue contre-intuitif de penser que la croissance de la consommation d’énergie dépend de la croissance de la dette. Tant l’énergie que la dette ont des caractéristiques proches de la magie, par rapport à la croissance de l’économie. La croissance économique ne peut avoir lieu que lorsqu’une dette croissante (ou un substitut très proche, comme les actions en bourse) est disponible pour permettre l’utilisation de produits énergétiques.


La raison pour laquelle la dette est importante, est que les produits énergétiques permettent la création de nombreux types de biens d’équipement, qui sont souvent achetés à crédit. Des exemples commerciaux en sont les outils métalliques, les usines, les raffineries, les pipelines, les usines de production d’électricité, les lignes de transport d’électricité, les écoles, les hôpitaux, les routes, les pièces d’or, et les véhicules utilitaires. Les consommateurs bénéficient également du fait que les produits énergétiques permettent la production de maisons et d’appartements, de voitures, de bus et de trains de voyageurs. Dans un sens, la création de ces biens d’équipement est une forme de profit de l’énergie qui est obtenu à partir de la consommation d’énergie.

La raison pour laquelle la dette est nécessaire, est que tandis que les produits de l’énergie peuvent en effet produire un grand profit de l’énergie, ce bénéfice de l’énergie est réparti sur de nombreuses années dans le futur. Pour être effectivement en mesure d’obtenir ce bénéfice de l’énergie dans un délai où l’économie peut l’utiliser, le système financier doit ramener une partie ou la totalité des bénéfices de l’énergie à une période antérieure. C’est seulement quand les entreprises peuvent faire cela, qu’elles ont de l’argent pour payer les travailleurs. Ce décalage temporel permet également aux entreprises de gagner elles-mêmes un profit financier. Les gouvernements en bénéficient ainsi indirectement, car ils peuvent alors taxer les revenus plus élevés des travailleurs et des entreprises, de sorte que les services gouvernementaux puissent être fournis, comme par exemple les routes pavées et de bonnes écoles.

Dette et autres promesses

Il est clair que, si l’économie produisait seulement les articles de consommation courante, par exemple si les chasseurs et les cueilleurs n’avaient qu’à trouver de la nourriture à manger et du bois à brûler, afin qu’ils puissent faire cuire cette nourriture, alors il n’y aurait pas besoin de la fonction de décalage de temps de la dette. Mais il y aurait probablement encore besoin de promesses, telles que : «Si vous chassez pour nous nourrir, je cueillerai des plantes et prendrai soin des enfants.» Avec l’utilisation de promesses, il est possible d’avoir une division du travail et des économies d’échelle. Les promesses permettent à une entreprise de payer les travailleurs à la fin du mois, au lieu de tous les jours.

Comme une économie devient plus complexe, ses besoins changent. Dans un premier temps, les marchés centraux peuvent être utilisés pour faciliter l’échange des marchandises. Si une personne apporte plus sur le marché qu’il ne rapporte à la maison, un enregistrement de son solde créditeur peut être conservé sur une tablette d’argile pour être utilisé un autre jour. Cette approche fonctionne tant que le crédit n’est utilisé que sur ce marché particulier. Si le solde de crédit doit être utilisé ailleurs, ou si le solde doit conserver sa valeur sur une période de plusieurs années, une approche différente, plus souple, est nécessaire.

Au fil des ans, les économies ont mis au point un large éventail de dettes et de produits semblables. Aux fins de cette discussion, j’inclurai tous ces produits sous le terme dette, dans un sens large. L’un des types est ce que nous considérons comme l’argent. L’argent est vraiment une promesse portable pour une part de la production future de l’économie. Il peut fournir le décalage temporel, si cet argent est conservé pendant un certain temps avant d’être dépensé.

Un autre type de dette est un prêt d’une durée fixe, comme un prêt hypothécaire ou pour un achat de voiture. Un tel prêt fournit le décalage temporel, permettant au paiement de quelque chose d’être étalé sur une part importante de sa durée de vie. Le financement d’actions pour une entreprise n’est pas vraiment un prêt, mais lui aussi, permet le décalage temporel. Ceux qui achètent des actions le font avec l’espoir qu’ils seront remboursés à l’avenir, grâce à l’appréciation des prix et aux dividendes. Cela agit donc beaucoup comme un prêt, dans l’optique de cette discussion. Il y a beaucoup d’autres types de promesses étroitement liées concernant le financement futur qui sont par exemple, des garanties de prêts du gouvernement, les produits dérivés, les ETF, et les promesses de pension faites par le gouvernement. Tous ajoutent indirectement à la volonté des gens et les entreprises de dépenser de l’argent maintenant ; quelqu’un d’autre a en quelque sorte fait des promesses qui lèvent les incertitudes concernant les futurs flux de revenus ou futures obligations de paiement.

Les choses magiques que fait la dette

Il n’est pas immédiatement évident de voir à quel point la dette est importante. En fait, les économistes néoclassiques ont eu tendance à ignorer le rôle de la dette. Je vois plusieurs moyens, quasi-magiques, par lesquels la dette aide l’économie.

  1. La dette avance la date à laquelle une personne ou une entreprise peut se permettre d’acheter des biens d’équipement. Sans dette, la seule façon de permettre un tel achat serait d’économiser jusqu’à la totalité du prix à l’avance. En utilisant la dette, une entreprise peut ajouter une nouvelle machine pour lui permettre de produire davantage de marchandises, avant d’avoir économisé sur ses activités antérieures. Une jeune personne peut se permettre d’acheter une maison ou une voiture, bien avant qu’elle ne puisse économiser les fonds pour un tel achat. Avec l’aide de la dette, le prix des biens d’équipement peut être financé sur une grande partie de leur durée de vie.
  2. Ajouter de la dette augmente les prix des matières premières. Les matières premières, comme le bois, le fer, le cuivre, et le pétrole sont ce que nous utilisons pour faire des voitures, des maisons et des usines. La demande pour ces produits augmente parce que davantage de gens et d’entreprises peuvent se permettre d’acheter des biens d’équipement qui utilisent ces produits énergétiques. Souvent, ces biens d’équipement utilisent également des produits énergétiques au cours de leur vie (par exemple, l’essence pour l’utilisation d’une voiture), donc il y a un impact à long terme sur la demande de produits énergétiques, en plus de la demande associée à la fabrication des biens d’équipement. Bien sûr, avec des prix plus élevés, il devient rentable d’extraire du pétrole et d’autres ressources énergétiques des zones plus marginales de production. Plus d’entreprises entrent sur le terrain. Tant que les prix restent élevés, elles sont en mesure de réaliser un profit.
  3. Ajouter de la dette stimule l’économie, presque comme le fait de tourner le bouton d’augmentation de la chaleur sur un poêle. Lorsque la dette est ajoutée à toute fin, même pour entamer une guerre , elle initie toute une chaîne d’achats, dont chaque maillon stimule l’économie. Si une jeune personne prend un prêt pour acheter une voiture, l’achat de la voiture contribue à augmenter les revenus du vendeur, qui aura alors plus d’argent pour acheter des biens pour sa famille. La société de vente des voitures est en mesure de faire un plus grand profit, que l’entreprise peut réinvestir ou payer aux actionnaires sous forme de dividendes. L’achat de la voiture conduit à une plus forte demande pour les métaux utilisés pour fabriquer la voiture, et donc tend à augmenter le nombre d’emplois dans les mines. Chaque nouveau travailleur à son tour est en mesure d’acheter plus de biens et services, à partir d’un cycle bénéfique qui irradie progressivement à travers l’économie.
  4. Ajouter de la dette a tendance à conduire à des prix plus élevés d’actifs. De toute évidence, (voir point 2), l’ajout de dette peut augmenter le prix des matières premières. L’ajout de la dette peut également permettre à plus de gens d’acheter des biens immobiliers et d’investir dans le marché boursier. Par exemple, le Japon a grandement augmenté son niveau d’endettement entre 1965 et 1989.
Figure 1. Annual growth in non-financial debt (in Yen), separated into private and government debt, based on Bank of International Settlements data.

Figure 1. La croissance annuelle de la dette non financière (en yens), séparée en dette privée et de gouvernement, sur la base des données de la Banque des Règlements Internationaux.

Durant cette période, une bulle foncière majeure s’est constituée (Figure 2).

Figure 2. Land Prices in Japan. Figure from Of Two Minds by Charles Hugh Smith.

Figure 2. Les prix des terres au Japon. Figure de Of Two Minds par Charles Hugh Smith.

Il y a une raison pour laquelle cette bulle a pu se produire. En raison de l’effet stimulant que la dette a eu sur l’économie, davantage de gens ont eu les moyens d’acheter des biens immobiliers, en particulier s’ils ont aussi été vendus à crédit. Une fois que le niveau d’endettement privé a cessé d’augmenter rapidement, les niveaux de prix se sont écrasés, à la fois pour la terre et pour les prix boursiers. TheBubbleBubble.com explique ce qui s’est passé : «En 1989, les responsables japonais sont devenus de plus en plus préoccupés par les bulles de plus en plus d’actifs du pays et la Banque du Japon a décidé de resserrer sa politique monétaire», faisant par là-même dévisser les prix immobiliers et fonciers et le cours des actions surévaluées.

5. Ajouter de la dette ajoute au PIB. Le PIB est une mesure des biens et services produits au cours d’une période. Beaucoup de ces produits et services sont achetés en utilisant la dette, il n’est donc pas surprenant que l’ajout de plus de dette tende à ajouter plus de PIB. Le montant du PIB ajouté est inférieur au montant de la dette supplémentaire, même si la croissance de l’inflation est considérée comme faisant partie du PIB.

Figure 3. United States increase in debt over five year period, divided by increase in GDP (with inflation!) in that five year period. GDP from Bureau of Economic Analysis; debt is non-financial debt, from BIS compilation for all countries.

Figure 3. Augmentation des États-Unis de la dette sur une période de cinq ans, divisée par l’augmentation du PIB (y compris inflation) pendant cette période de cinq ans. Données PIB du Bureau of Economic Analysis; la dette est la dette non financière, de la compilation du BIS pour tous les pays.

La tendance générale va vers la nécessité d’une quantité croissante de dette par dollar de PIB ajouté. Cela est particulièrement le cas lorsque les prix du pétrole sont élevés. Aux États-Unis, le ratio de la dette non financière au PIB ajouté était presque de 1: 1 à un certain moment, à l’époque où les prix du pétrole étaient à moins de 20 $ par baril (en US-dollars d’aujourd’hui).

6. Ajouter de la dette tend à augmenter la disparité de la richesse. L’ajout d’endettement tend à diviser de plus en plus une économie en nantis et démunis. Un grand nombre des «nantis» possèdent les moyens de production, y compris une quantité sans cesse croissante de biens d’équipement, et peuvent ainsi gagner des bénéfices et des dividendes de ces biens d’équipement. D’autres sont des cadres de haut niveau dans les entreprises et le gouvernement, qui gagnent des salaires élevés. Les paiements d’intérêts ont également tendance à transférer les paiements depuis les pauvres vers les plus riches. On pourrait dire que les revenus des travailleurs ordinaires sont de plus en plus gelés sur place dans une économie qui, par ailleurs, se réchauffe. Ce changement a commencé à avoir lieu aux États-Unis vers 1981.

Figure 3. Chart comparing income gains by the top 10% to income gains by the bottom 90% by economist Emmanuel Saez. Based on an analysis IRS data, published in Forbes.

Figure 4. Graphique comparant les gains de revenus entre le top 10% des gains de revenus et les 90% restants, par l’économiste Emmanuel Saez. Basé sur une analyse des données de l’IRS, publié dans Forbes.

7. Ajouter de la dette est quelque chose que les gouvernements peuvent influencer, soit en abaissant les taux d’intérêt, soit en empruntant l’argent eux-mêmes. Les mesures prises par les gouvernements pour réduire les taux d’intérêt peuvent être efficaces, car elles réduisent les paiements mensuels que les emprunteurs doivent faire pour rembourser un prêt d’un montant donné. Ainsi, elles ont tendance à encourager l’emprunt. Dans la figure 5, ci-dessous, notez que la baisse des taux d’intérêt en 1981 correspond précisément à la hausse de la dette par rapport au PIB dans la figure 3 et au changement dans la structure des revenus dans la figure 4.

Figure 4. Ten year treasury interest rates, based on St. Louis Fed data.

Figure 5. Taux d’intérêt du Trésor à Dix ans, selon les données St. Louis Fed.

La figure 6, plus loin dans ce billet, montre que les changements dans le Quantitative Easing (QE) (qui affecte les taux d’intérêt et le niveau du dollar américain par rapport aux autres monnaies) correspondent aussi à des variations brutales des prix du pétrole. Les variations du niveau du dollar affectent également la demande de pétrole. Voir un post récent lié à cette question.

Quels sont les effets négatifs de l’ajout de dette?

Il ressort de la discussion jusqu’ici, que pas mal de choses vont mal. Voici quelques éléments supplémentaires.

  1. Il y a des limites à la manipulation par le gouvernement des niveaux d’endettement. Tout d’abord, les taux d’intérêt finissent par tomber si bas, qu’ils deviennent négatifs dans certains pays. Des taux d’intérêt négatifs ont tendance à provoquer une baisse de la rentabilité des banques et à conduire à la thésaurisation par ceux qui ont planifié d’utiliser leur épargne pour leur retraite. Deuxièmement, les emprunts du gouvernement ne fonctionnent pas aussi bien pour stimuler l’économie via les investissements réalisés par le secteur privé. Une raison probable en est que les investissements du secteur privé sont effectués lorsque l’emprunteur estime que le retour sur investissement sera suffisamment élevé pour rembourser la dette avec intérêt, et encore faire un profit. Les investissements du gouvernement ne répondent souvent pas à cette norme. Certains rapports indiquent que le gouvernement japonais a utilisé l’argent emprunté pour financer des ponts vers nulle part et des maisons inoccupées. L’économie centralisée de la Chine semble également conduire à de semblables problèmes d’emprunts excessifs. Les entreprises chinoises empruntent aussi pour couvrir les intérêts sur les prêts antérieurs.
  2. Les ratios de la dette au PIB ont tendance à augmenter, ce qui inquiète les dirigeants gouvernementaux. La dette est un moyen d’accéder aux avantages procurés par l’énergie physique (en kWh, TEP, ou autre unité), en avance sur le temps où ils seront vraiment disponibles. Comme la quantité de pétrole facile à extraire s’épuise, le coût d’extraction du pétrole augmente progressivement. Malheureusement, la quantité de travail qu’un baril de pétrole permet d’effectuer, par exemple la distance qu’il peut faire parcourir à un camion, n’augmente pas dans les mêmes proportions. En conséquence, le prix plus élevé reflète simplement l’augmentation de l’inefficacité de l’extraction, et donc la nécessité d’utiliser une plus grande part de la production de l’économie pour extraire le pétrole. Le montant de la dette nécessaire pour maintenir un PIB croissant ne cesse d’augmenter, en partie parce que le pétrole est de plus en plus cher à extraire, et en partie parce que le coût des biens qui utilisent le pétrole dans leur production a également tendance à augmenter. En conséquence, le ratio de la dette au PIB tend à s’envoler.
  3. L’augmentation de la Dette permet une fausse évaluation temporaire des bénéfices des produits énergétiques. La vraie valeur du pétrole et des autres produits énergétiques provient principalement de la quantité d’énergie physique qu’ils fournissent (kWh, TEP, etc.), comme la distance qu’ils permettent à un camion de parcourir. Ainsi, nous nous attendons à ce que la valeur réelle des produits énergétiques demeure relativement constante au fil du temps. En fait, la valeur des produits énergétiques tend à augmenter légèrement (de l’ordre de 1% par an) en raison des améliorations technologiques conduisant à une augmentation de l’efficacité dans leur utilisation. Ce que nous considérons comme la main magique de l’économie, détermine un prix pour les produits en tout temps, sur la base de l’offre et de la demande. Ce prix est clairement assez éloigné du futur profit en énergie que les produits énergétiques seront effectivement en mesure de fournir, car il a tendance à varier considérablement dans le temps. Nous ne savons pas quelle est la vraie valeur d’un baril de pétrole pour la société. Si sa valeur réelle est de 100 $ par baril (en argent d’aujourd’hui), alors lorsque les prix du pétrole étaient de 10 $ ou 20 $ par baril (en argent d’aujourd’hui), il y aurait eu 80 $ à 90 $ (égal à 100 $ moins le prix réel) de “profit en énergie” qui aurait pu être réinjecté dans l’économie, sous forme de gains de productivité pour les travailleurs, d’intérêts sur la dette, de dividendes sur les actions, de recettes fiscales, et de fonds pour les nouveaux investissements. L’économie pourrait (et l’a d’ailleurs fait) croître rapidement. Il y avait moins besoin de dette supplémentaire, parce que les biens fabriqués avec le pétrole étaient peu onéreux. Les salaires des travailleurs pouvaient augmenter rapidement, comme ils l’ont fait dans la période 1950-1968 (Figure 4). Si les prix se rapprochaient de la valeur réelle du pétrole (supposé être de 100 $ par baril), le bénéfice de l’énergie supplémentaire viendrait à peu près à disparaître. L’économie serait de plus en plus évidée. Les gains de productivité qui permettent les gains de revenus viendraient essentiellement à disparaître. Les entreprises auraient du mal à gagner des bénéfices suffisants et réduiraient les dividendes. Certaines entreprises pourraient avoir besoin d’emprunter de l’argent afin de payer des dividendes. La croissance économique mondiale devrait ralentir. Les prix peuvent même dépasser temporairement leur valeur réelle à l’économie, puis baisser fortement. Cela arrive parce que les prix sont fixés par la demande, et la demande dépend d’une combinaison de niveaux de salaires et de niveau d’endettement. Les prix du pétrole peuvent être élevés pendant un certain temps, si le niveau d’emprunt est temporairement élevé, puis retomber lorsqu’il devient clair que des investissements rentables ne sont pas vraiment disponibles si le pétrole est à un niveau de prix élevé.
  4. Les salaires des travailleurs ordinaires ont tendance à chuter trop bas. Les travailleurs jouent un rôle très particulier dans l’économie: ils sont tout à la fois (a) fournisseurs de la main-d’œuvre et (b) consommateurs. Si les travailleurs ne gagnent pas assez, il y a un problème, car beaucoup d’entre eux ne sont alors pas en mesure d’acheter les produits et services que l’économie produit. Cela est particulièrement le cas pour les produits tels que les maisons et les voitures, qui sont souvent achetés en utilisant la dette. Indirectement, ce manque de capacité à écouler la production du système met une pression à la baisse sur le prix des matières premières, en particulier les matières premières énergétiques. Les prix peuvent tomber en-dessous du coût de production, ou tout au moins ne peuvent pas monter assez haut.
    Figure 6. World oil supply and prices based on EIA data.

    Figure 6. L’offre mondiale et les prix du pétrole à partir des données de l’EIA.

    La raison pour laquelle les salaires des travailleurs, non-cadres ou moins instruits ont tendance à rester à la traîne est liée à la question des rendements décroissants. Une solution de contournement est une société plus complexe, avec de plus grandes entreprises, un plus grand gouvernement, plus de biens d’équipement, et plus de dettes. Dans certains cas, la fabrication est déplacée vers les régions du monde ayant des salaires plus bas. Les travailleurs ordinaires se retrouvent alors de plus en plus avec une part trop faible de la production de l’économie. La figure 7 montre des influences qui ont tendance à conduire à de trop bas salaires pour les travailleurs ordinaires.

    Figure 7. Illustration by author of why an economy that doesn't grow leads to falling wages for workers.

    Figure 7. Illustration par l’auteur des raisons pour lesquelles une économie qui ne croît pas, conduit quand-même à la baisse des salaires pour les travailleurs. Tous les montants sont librement estimés, pour montrer un principe général.

    Lorsque les salaires pour une part importante des travailleurs tombent trop bas, il y a un problème car ceux-ci n’ont pas assez d’argent pour acheter des biens comme les voitures et les maisons. L’économie tend à se contracter. Ceci est une forme différente du trop faible retour en énergie sur l’investissement énergétique (EROEI) auquel la plupart des gens pensent. À mon avis, le faible rendement du travail humain est le type d’EROEI le plus important. La baisse des salaires d’une part importante des travailleurs peut conduire à l’effondrement économique, car il n’y a pas assez d’acheteurs pour l’écoulement de la production du système.

  5. Finalement, les défauts sur la dette deviennent un problème. Alors que le monde se divise de plus en plus entre nantis et démunis, la baisse de capacité à rembourser une dette devient plus problématique. Dans une certaine mesure, cela se produit au niveau individuel, avec les prêts automobiles, la dette des étudiants et les prêts hypothécaires. Si les prix des matières premières tombent ou restent trop bas, cela affecte également les producteurs de matières premières, y compris les producteurs de pétrole. Cela affecte aussi certains pays, en particulier ceux qui sont tributaires des exportations de matières premières. La hausse du coût de l’extraction du pétrole est un autre facteur. Comme le coût de l’extraction commence à dépasser le bénéfice apporté à l’économie (supposé ci-dessus à 100 $ par baril), le bénéfice de l’énergie à partir du pétrole ne suffit plus pour permettre à l’économie de croître comme dans le passé. Sans croissance économique, il devient beaucoup plus difficile de rembourser la dette avec intérêt.

    Figure 7. In a period of economic decline (Scenario 2), the amount a debtor has left over after repaying debt plus interest is disproportionately large, leaving the debtor with inadequate funds for paying other expenses. In a period of economic growth (Scenario 1), the overall growth in incomes tends to compensate for the need to pay back the debt with interest.

    Figure 8. Dans une période de déclin économique (scénario 2), le montant qu’un débiteur doit rembourser pour la dette avec intérêts est disproportionné, laissant le débiteur avec des fonds insuffisants pour payer les autres dépenses. Dans une période de croissance économique (scénario 1), la croissance globale des revenus tend à compenser la nécessité de rembourser la dette avec intérêts.

  6. À un certain moment, nous atteignons la limite acceptable pour la dette. L’économie agit comme une pompe. Tant qu’il y a des bénéfices énergétiques suffisants apportés au système (basé sur 100 $ par baril moins le prix réel du pétrole, dans notre exemple), les salaires peuvent augmenter et les bénéfices des entreprises peuvent augmenter. Les prix des actifs peuvent augmenter, et les prix de l’énergie peuvent rester élevés. Une fois que ces profits énergétiques commencent à baisser, les salaires stagnent et les bénéfices des entreprises baissent. Les entreprises réduisent leurs emprunts, parce qu’elles voient moins d’opportunités rentables pour l’investissement. Les individus réduisent leurs emprunts, parce qu’avec leurs salaires plus bas, il devient plus difficile d’acheter une maison ou une voiture. Les gouvernements tentent de lutter contre la baisse de la demande de dette, mais finissent par atteindre les limites de la tolérance de l’économie pour les taux d’intérêt négatifs. Une fois que la dette commence à se contracter, la contraction a tendance à faire baisser les prix des produits de base. Ceci est un énorme problème pour les producteurs de matières premières, parce qu’ils ont besoin de prix qui sont suffisamment élevés pour couvrir leurs coûts de production. En fin de compte, la diminution de la dette, ainsi que la baisse des salaires, et le manque de profit de l’énergie ont le potentiel de faire tomber le système.

Conclusion

La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, est celle dans laquelle une dette croissante a soutenu les prix du pétrole et des autres matières premières pendant une longue période. Nous atteignons maintenant les limites de ce processus, comme en témoignent la disparité croissante des richesses, les prix des matières premières, et les actions frénétiques des dirigeants de gouvernements à travers le monde, en ce qui concerne la croissance économique lente et la nécessité de plus de relance. Ces questions sont de plus en plus importantes dans les prochaines élections politiques aux États-Unis.

Ceux qui étudient les questions pétrolières dans une perspective EROEI ont tendance à manquer la connexion avec la dette, parce que l’analyse EROEI omet de prendre en compte les différences temporelles. À mon avis, la dette est essentielle pour l’extraction du pétrole, car elle anticipe une estimation de la valeur du pétrole et des autres produits énergétiques, de sorte que les entreprises de toutes sortes peuvent faire usage du profit de l’énergie dans le paiement de leurs employés et de leurs impôts. La plupart des gens ne pensent pas à la question de cette façon.

Dans cet article, je propose une autre façon de penser à la limite que nous sommes en train d’atteindre, à savoir que les produits pétroliers ne peuvent pas dépasser une certaine limite de prix sans affecter négativement l’économie. Ce sont les économies en dessous de cette limite qui aident la croissance de la productivité et le financement du gouvernement. Peut-être que les chercheurs devraient examiner cette approche de limite de prix plus attentivement. Ce n’est pas la même approche que l’analyse EROEI, mais présente l’avantage de poser moins de «questions de périmètre». Elle offre également une possibilité de contrôle du caractère raisonnable des indicateurs EROEI développés par l’analyse classique. Si un produit énergétique a besoin d’une subvention du gouvernement, il est douteux que ce produit énergétique puisse vraiment fournir un bénéfice énergétique à l’économie.

Gail Tverberg

Traduit par Stéphane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone

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