Par Ibrahim Tabet − Mars 2017
« La guerre est la continuité de la politique par d’autres moyens »
Karl von Clausewitz
De la préhistoire au XXe siècle
L’homo, pas si sapiens que ça, est un animal guerrier et prédateur. Son histoire est jalonnée d’incessantes guerres d’ampleur et de types différents qui culminèrent avec les guerres totales du XXe siècle, celle opposant le néo-djihadisme islamiste à l’Occident au XXIe siècle en étant le dernier avatar. Les petits groupes errants de chasseurs-cueilleurs du paléolithique avaient peu de chance de se croiser. Et c’est à l’occasion de leurs rares rencontres que survinrent probablement les premières luttes à mort de l’espèce pour le contrôle du même territoire. Avec l’apparition, au néolithique, de villages d’agriculteurs-éleveurs, puis de la civilisation au Proche-Orient, ce sont les terres cultivables et les pâturages qui devinrent le principal objet des premières véritables guerres. Celles-ci étaient en gros de deux types : celles opposant les cités-États entre elles, également motivées par la volonté de puissance de leurs souverains, et celles occasionnées par les razzias ou les invasions de tribus nomades en quête de butin. Pour les Huns et les Mongols, face auxquels fut érigée la Grande muraille de Chine, la guerre était une culture et une manière de vivre.
Le premier empire conquérant fut l’Empire akkadien fondé par Sargon en 2350 avant notre ère. Et le premier qui pratiqua des massacres et des déportations à grande échelle fut l’Empire assyrien (930-605 av. J.-C.) Les innombrables armées de l’Empire achéménide (550-330) furent battues par les phalanges macédoniennes d’Alexandre le Grand ; et celles-ci furent à leur tour surclassées par les légions romaines dont l’organisation et la discipline leur permirent d’écraser des hordes barbares bien plus nombreuses avant de finir par succomber sous leurs assauts. L’art de la guerre théorisé par Sun Tsu eut en Hannibal un de ses plus brillants représentants, et sa victoire à Cannes (216 av. J.-C) est un modèle du genre. Mais ce ne fut pas l’une de ces batailles décisives qui changèrent le cours de l’Histoire, comme celle d’Actium (31 av. J.-C), qui préfigure la naissance du régime impérial romain. Parmi les autres batailles décisives, on peut citer Rocroi (1642) qui inaugure la fin de la prépondérance espagnole et le début de celle de la France en Europe, et Waterloo (1815).
Dans l’Antiquité la victoire d’une communauté était aussi la victoire de son propre dieu sur le dieu étranger, du dieu le plus fort sur le dieu le plus faible 1 Mais nul État conquérant ne nourrissait la prétention de convertir, de gré ou de force à ses dieux, les peuples qu’il subjuguait, contrairement aux trois monothéismes qui ouvrirent l’âge des guerres saintes. Des massacres horribles furent commis au nom de Dieu lors des croisades menées par la chrétienté contre les hérétiques, les musulmans et les juifs. L’islam considérait les territoires échappant à sa juridiction comme « dar el harb », et il se propagea par la conquête. Les guerres de religion entre protestants et catholiques, comme celles entre chiites et sunnites, ont revêtu un caractère aussi implacable que celles entre musulmans et chrétiens. Montaigne disait qu’« une guerre étrangère est un mal bien plus doux qu’une guerre civile ».
Cependant, très tôt se développèrent des lois de la guerre, comme la notion de guerre juste ou la trêve de Dieu édictée par l’Église au Moyen Âge. Le facteur psychologique a toujours joué un rôle important dans l’issue des batailles, qu’il s’agisse de ferveur religieuse, nationale ou révolutionnaire. Une même foi anima la conquête par l’islam, en moins d’un siècle, d’un des plus vastes empire de l’histoire et la « Reconquista » espagnole. La Renaissance amorça un progrès décisif des armements. L’apparition des armes à feu qui rendit obsolètes les châteaux forts médiévaux, sonna le glas de l’éthique guerrière de la chevalerie médiévale et des combattants individuels comme les samouraïs. Elle permit à la Russie de s’affranchir du joug tatar en reprenant les terres conquises par les cavaliers de la steppe de la Horde d’Or, issue du partage de l’Empire de Gengis Khan entre ses héritiers. Et la fin du XVIIe siècle marqua le début d’un changement du rapport de force entre les armées européennes et ottomanes qui les avaient longtemps dominées.
Avant l’apparition du nationalisme en Europe au XIXe siècle, puis de la notion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les territoires étaient considérés comme des possessions héréditaires de leurs souverains. D’où les guerres de succession entre puissances européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, dont la plus longue et la plus meurtrière fut la guerre de succession d’Espagne (1702-1713) opposant la France de Louis XIV à la coalition de puissances opposées à l’accession de son petit fils au trône de Madrid. À partir de la Révolution française, qui instaura un nouveau principe de légitimité et opposa le peuple en arme aux troupes d’Ancien Régime, la guerre des peuples remplaça la guerre des princes. Les guerres napoléoniennes ont vu s’affronter des effectifs sans précédent. Clausewitz s’inspira du génie militaire de Napoléon, notamment son art de concentrer ses corps d’armées afin de surprendre et de détruire les armées adverses, pour élaborer ses théories stratégiques, tactiques et opérationnelles. La guerre économique fit partie intégrante de la stratégie de l’Angleterre, qui jouissait de la maitrise des mers, et de la France qui y répliqua par le blocus continental.
Entamée au XVIe siècle par les Portugais et les Espagnols, la colonisation européenne qui vit le partage du monde entre les puissances impérialistes au XIXe siècle fut justifiée par une mission d’évangélisation ou civilisatrice et la prétendue supériorité de l’homme blanc. Certaines guerres impérialistes comme celle de l’opium menée par la Grande-Bretagne contre la Chine, ne s’embarrassaient même pas de considérations morales. La colonisation entraîna l’asservissement des peuples indigènes dont plusieurs, comme les Indiens d’Amérique ou les Noirs du Congo, furent l’objet d’exterminations. Par contre les victimes des guerres intra-européennes étaient essentiellement militaires. Sauf dans le cas des guerres civiles et des guerres de religion comme la guerre de Trente ans (1618-1648), les civils furent relativement épargnés, même lors de la Première Guerre mondiale.
De la Première guerre mondiale à la guerre contre le terrorisme islamiste
Les deux conflits mondiaux illustrent l’opposition géostratégique traditionnelle entre puissances maritimes, comme la Grande-Bretagne et les États-Unis et les puissances continentales comme l’Allemagne. On oppose aussi stratégie et tactique défensive et offensive représentées respectivement par la ligne Maginot et la blitzkrieg qui permit à la Wehrmacht de couper les arrières et d’encercler les armées française et britannique à Dunkerque en 1940. La guerre éclair trouvera cependant ses limites lors de la bataille de Stalingrad, qui témoigne de la difficulté des combats en milieu urbain. Une autre constante des guerres est la difficulté des armées régulières à vaincre les guérillas, comme le montrent l’échec américain face au Vietcong et la tentative infructueuse de Tsahal d’éliminer le Hezbollah en 2006, qui tranche avec ses victoires successives sur les armées arabes, en particulier lors de la guerre de Six Jours (1967).
Si la guerre de 14-18 fit autant de victimes militaires, c’est parce qu’elle associait les tactiques du XIXe siècle à la puissance de feu des armes du XXe siècle, avec des dizaines de milliers de soldats s’élançant à découvert, poitrine nue, en rangs serrés, à l’assaut des tranchées ennemies, sous une pluie d’obus et le feu nourri des mitrailleuses. Un carnage impensable aujourd’hui où les immenses armées de conscrits ont été remplacées par des armées professionnelles plus réduites ; où la moindre perte, amplifiée par les médias, est un véritable drame national ; et où les Occidentaux gagnés par une culture de paix sont moins disposés à verser leur sang pour leur patrie. Attitude qui contraste avec le fanatisme des candidats au djihad, prêts à mener des attaques suicide au nom d’Allah. Les morts de 14-18 s’ajoutèrent à ceux des guerres balkaniques de 1912-1913 causés par le démembrement de l’Empire ottoman, qui se traduisit par des exodes, des épurations ethniques, et des massacres réciproques entre musulmans et chrétiens, ainsi qu’à ceux du génocide arménien de 1915. Considérée à tort comme « la der des ders », la « Grande guerre » suscita la création de la SDN qui n’empêcha pas l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale provoquée par le désir de revanche et de conquête d’un espace vital de l’Allemagne et la montée du nazisme.
Au cours de celle-ci, l’utilisation du couple chars-aviation rendit à nouveau possible la guerre de mouvement, contrairement au long enlisement du front Ouest jusqu’en 1918. Du fait de sa dimension idéologique, démocratie contre nazisme ou défense de l’Occident contre le bolchevisme, la propagande de guerre et la diabolisation de l’ennemi atteignirent une virulence inégalée. La guerre fit environ 50 millions de morts dont 60% de civils. Bilan terrifiant dû non seulement à la puissance destructrice des nouveaux types d’armements, mais au fait que tous les belligérants visèrent délibérément les populations civiles, avec un cortège de villes écrasées sous des tapis de bombes pour briser le moral de l’ennemi, d’atrocités indicibles et de crimes de guerre. Ceux-furent surtout le fait des Japonais, de l’armée Rouge et des SS, coupables du plus grand génocide de l’Histoire qui est à l’origine de l’incorporation de la notion de crime contre l’humanité au droit international public.
Lors de la Guerre froide marquée par le face à face entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, l’équilibre de la terreur nucléaire entre les deux superpuissances empêcha l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale, mais non les conflits militaires locaux ou régionaux entre le « monde libre » et le camp communiste, comme en Corée ou au Vietnam ; ainsi que ceux ayant pour théâtre les pays dits du tiers-monde. Qu’il s’agisse de guerres de libération contre les anciennes puissances coloniales comme en Algérie, de guérillas insurrectionnelles menées par des groupes révolutionnaires ou de conflits ethniques ou religieux comme ceux qui entraînèrent la partition entre l’Inde et le Pakistan et l’éclatement de la Yougoslavie. Depuis l’écroulement de l’Empire soviétique et la déconfiture de l’idéologie communiste, ce dernier type de conflits a remplacé l’affrontement Est-Ouest. Soit sous la forme de guerres interétatiques conventionnelles, comme entre l’Iran et l’Irak, soit sous celle de guerres civiles comme en Syrie qui s’est transformée en guerre par procuration entre l’Iran chiite et les puissances régionales sunnites, sans compter les interventions occidentale et russe. Devenus la seule superpuissance, les États-Unis se comportent en gendarmes du monde, n’hésitant pas à intervenir militairement pour conforter leur hégémonie planétaire, comme lors de leur invasion illégale de l’Irak sous prétexte de sa détention d’armes de destruction massives. Un autre prétexte invoqué par l’Occident pour provoquer des changements de régime est le droit d’ingérence afin d’instaurer la démocratie ou de protéger les populations civiles, qui a entraîné des conséquences aussi catastrophiques en Libye qu’en Irak.
Mais le phénomène le plus marquant de ce début du XXIe siècle est la montée de l’islamisme radical à l’origine du terrorisme transnational devenu l’ennemi public de la communauté internationale. Cela dit, il est exagéré de parler de nouvelle guerre mondiale tant les pertes en vies humaines susceptibles d’être causées par le terrorisme sont sans commune mesure avec celles des deux précédentes. Et du fait de l’énorme écart technologique et militaire entre d’une part les groupes terroristes et, d’autre part, les armées professionnelles et les forces de l’ordre occidentales. On a en effet affaire en l’occurrence à une guerre hybride, asymétrique et de basse intensité. Et la fiction d’une guerre menée contre de tels groupes, avec zéro mort parmi les forces armées, sinon les civils, occidentaux, deviendra peut-être la réalité de demain avec l’usage intensif de drones, de robots et d’armes intelligentes.
Cet ouvrage a pour thème l’invention et l’évolution de l’idée de Dieu. Une brève histoire qui a commencé à s’écrire il y a seulement dix millénaires. Il décrit le passage de l’humanité de l’animisme au polythéisme puis, pour les « religions du Livre », au monothéisme et la différence entre leur Dieu personnel et le concept d’Absolu impersonnel élaboré par l’hindouisme. Ainsi, l’auteur aborde ici aussi bien la philosophie grecque, le zoroastrisme, le bouddhisme, que les sagesses chinoises ou l’islam, toujours dans le but de comprendre le rapport de l’Homme à l’idée de Dieu.
Note du Saker Francophone L'auteur commence par un constat hobbesien, « L’homo, pas si sapiens que ça, est un animal guerrier et prédateur », qui semble donner raison à ceux qui désespèrent d'une humanité apaisée et ceux qui entendent en profiter pour la reconstruire en profondeur. Dans son livre Entraide, Pierre Kropotkine dit exactement le contraire et démontre qu'entre les guerres régnait surtout la paix, que les tribus primitives ne choisissaient le conflit qu'en dernier ressort et que, plus probablement, elles échangeaient savoir et gènes.
Liens
- Le Monothéisme le pouvoir et la guerre, Ibrahim Tabet. L’Harmattan, Paris 2015 ↩
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