Par Moon of Alabama – Le 8 juillet 2022
La nuit dernière, un homme muni d’une arme de fabrication artisanale a tué l’ancien premier ministre du Japon, Shinzo Abe.
Conformément à la tradition familiale, Shinzo Abe a été un impérialiste japonais. Comme l’a écrit Peter Lee à son sujet en 2013 :
Mythe : Shinzo Abe est un membre important de l’équipe des démocraties mondiales et asiatiques qui tiennent tête à la Chine au nom de valeurs universelles comme la « liberté de navigation » et pour contribuer à assurer la paix et la prospérité communes de l’Asie.
La réalité : Shinzo Abe est un nationaliste révisionniste qui utilise les frictions avec la Chine pour poursuivre les intérêts nationaux japonais, placer le Japon du bon côté d’une équation économique à somme nulle face à la Chine, maximiser l’indépendance d’action du Japon en tant qu’hégémon régional, si possible pacifiquement, mais sinon…
Mission pour les médias occidentaux : Gérer la dissonance cognitive entre le réconfortant mythe et l’inquiétante réalité, pour le bien de leurs fidèles lecteurs.
Défi : Expliquer la visite du Premier ministre Abe au sanctuaire Yasukuni, le lendemain de Noël.
Certains des plus monstrueux criminels de guerre de classe A de la seconde guerre mondiale, dont le grand-père d’Abe, ont été enterrés au sanctuaire Yasukuni. Le sanctuaire et son musée sont interdits à la plupart des politiciens japonais. Mais Shinzo Abe s’y est rendu publiquement car il porte l’idéologie de ceux qui y sont enterrés :
Le cœur du révisionnisme historique d’Abe n’est pas seulement que les territoires infestés de bandits de la Chine et de la Corée ont exigé la tutelle du Japon dans les années 1930 et 1940, mais aussi que l’Empire japonais menait la lutte des peuples opprimés d’Asie contre le colonialisme britannique et l’impérialisme américain – en d’autres termes, le véritable crime de guerre de la Seconde Guerre mondiale était l’agression américaine contre le Japon. Les États-Unis, et leurs prétentions à la supériorité morale sur le Japon, ainsi que les prétentions présomptueuses de la Chine et de la Corée à être des victimes vertueuses, ont été la cible de la visite d’Abe à Yasukuni.
Ses politiques visant à renforcer le militarisme et les conflits, en particulier avec la Chine et les deux Corées, tout en faisant bon ménage avec la Russie, sont nées de cette idéologie.
Le dernier mandat de Shinzo Abe en tant que Premier ministre a duré huit ans. C’est une durée étonnante, car au Japon, les premiers ministres ne restent que rarement plus d’un an. Il faut des qualités particulières pour survivre politiquement aussi longtemps que Shinzo Abe.
Les crimes par arme à feu sont extrêmement rares au Japon. Sur la douzaine de crimes par an qui se produisent, la plupart sont commis entre des groupes rivaux de la mafia japonaise, les yakuzas.
La police japonaise va probablement conclure que le tireur était un « individu isolé« . C’est bien possible, mais il y a certainement d’autres personnes qui tireront profit de l’incident. Comme l’écrit William Pesek dans Asia Times :
Bien qu’il soit impossible d’évaluer les motifs et les implications à long terme de cette attaque, une dynamique politique a peut-être été modifiée : Le Premier ministre Fumio Kishida pourrait désormais avoir plus de latitude pour rester en poste au-delà de la première année de son mandat, en octobre prochain.
Même si le camp d’Abe le nie, Tokyo a été le théâtre de discussions sur le fait qu’Abe, qui a quitté ses fonctions en septembre 2020, pourrait jeter son chapeau dans l’arène pour un troisième passage à la tête du pays. Abe a été premier ministre de 2006 à 2007, puis de 2012 à 2020.
Depuis sa démission, Abe a joué un rôle de faiseur de roi en coulisses. Les spéculations allaient bon train sur le fait qu’il n’était pas satisfait de voir Kishida revenir sur les efforts de détente déployés par Abe avec la Russie de Vladimir Poutine.
Abe n’aurait pas non plus apprécié que Kishida s’engage à réformer, enfin, la deuxième économie d’Asie, ce qui impliquerait que les « Abenomics » n’ont pas réussi à mettre le Japon sur une voie plus dynamique.
Les premiers ministres japonais n’ont pas tendance à durer plus de 12 mois. Le mandat de huit ans d’Abe était une exception flagrante. Il suffit de dire que Kishida n’aura pas besoin de surveiller par-dessus son épaule le leader du Parti libéral démocrate (LDP), Abe. Les élections à la chambre haute de ce dimanche devraient permettre à Kishida d’avoir une emprise plus ferme sur son parti, ce qui lui permettra de sortir de l’ombre de ses anciens dirigeants.
Les politiques de Kishida sont pour l’essentiel conformes à celles d’Abe. Il veut un Japon fort et militariste, capable de projeter sa puissance à l’étranger. Les États-Unis favorisent cette évolution en l’aidant avec leurs politiques anti-chinoises. Mais ils doivent faire attention à ce qu’ils souhaitent.
Le Japon est une puissance nucléaire latente, car il a stocké une grande quantité d’uranium et de plutonium :
Le Japon possède 47,8 tonnes de plutonium séparé hautement sensible, dont 10,8 tonnes sont stockées au Japon, ce qui est suffisant pour fabriquer 1350 têtes nucléaires. En outre, le Japon possède également environ 1,2 tonne d’uranium hautement enrichi (UHE) pour les réacteurs de recherche.
Le pays dispose du savoir-faire nécessaire pour manipuler ces matières. En cas de crise, il pourrait rapidement fabriquer des bombes nucléaires. Le Japon dispose de vecteurs à longue portée grâce à son programme spatial. Une fois déchaîné, un Japon révisionniste serait un danger, non seulement pour ses voisins immédiats, mais aussi pour les États-Unis eux-mêmes.
La Chine et les deux Corées seront soulagées que Shinzo Abe, le compétent révisionniste, soit parti.
Je me demande dans quel sanctuaire ses cendres seront enterrées.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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