Par Zénon − décembre 2016
« Tout le monde tient le beau pour le beau,
C’est en cela que réside sa laideur.
Tout le monde tient le bien pour le bien,
C’est en cela que réside son mal. »
Lao-Tseu – Tao-tö King
Un premier coup de semonce eut lieu le 21 avril 2002. Le peuple français, apeuré de son propre élan nationaliste, fit alors machine arrière en promettant qu’on ne l’y reprendrait plus. Puis pour ainsi dire amende honorable en s’infligeant quinze ans de néolibéralisme à la sauce yankee… Tout était bon pourvu qu’étouffe l’hydre visqueuse couvée chez nous. Rassurée de voir le troupeau regagner l’enclos républicain, la classe politique n’a jamais admis que ce vote ne reflétait pas tant l’opinion des masses populaires, que leur profond
dégoût devant les magouilles et autres innombrables trahisons de leurs gouvernements successifs… Les mêmes causes produisant mécaniquement les mêmes effets, se poser en éternels garants des droits de l’Homme et de la liberté n’aura pas suffi aux « démocrates » pour enrayer la gangrène « fasciste »… Nous l’observons aujourd’hui partout : avec le parti Jobbik en Hongrie, l’AfD allemand, plus récemment avec le Brexit ou encore l’élection de Trump. En France, le Front national semble d’office pressenti pour le second tour en mai prochain. Les journalistes, politologues et autres experts s’interloquent et s’indignent en chœur de l’indocilité du votant… Se foutent-ils tout simplement de nos gueules ? Ou sont-ils schizophrènes au point d’oublier en avoir été les principaux artisans ?
D’abord dans l’antiquité puis au Moyen Âge, les premières structures de l’État, articulées autour de la Cité, de la région et de l’Empire, reposaient sur le contrat suivant : l’échange d’une partie des fruits du labeur contre une garantie de sécurité physique. En somme, ni plus ni moins que ce que propose aujourd’hui encore la mafia, mais là n’est pas le sujet… Au fur à mesure des siècles et des découvertes technologiques, l’accord initial s’est peu à peu étendu à des sphères de rapports humains jusque-là restées naturelles : les bases de l’échange, dans une société d’accumulation, devant êtres régies par un code et bénies par un magistrat. L’éducation et la pratique de la médecine supervisées par l’autorité ad hoc. Plus les prétentions bourgeoises ont essaimé parmi les peuplades autonomes, plus s’est approfondi l’assujettissement de l’individu aux lois et aux normes… Le contrôle étatique a conquis les domaines de l’alimentaire, de la circulation des personnes et des biens, des principales ressources vitales que sont l’eau et l’espace public, ou encore du récit officiel de la légende nationale.
Ainsi avons-nous, par habitude et goût d’un certain confort mais sans doute également par peur des représailles, progressivement accepté l’extension des prérogatives de l’État jusqu’au degré d’immixtion dans la vie privée que nous connaissons. Nous avons accepté d’aller faire la guerre sous des motifs rivalisant d’inventivité. Le fichage et la surveillance généralisés. La pollution de l’air, de la terre et des eaux. Accepté les croisades coloniales, les assassinats ciblés et les génocides. Accepté d’être continuellement traités comme des chiens nous et nos familles… Irons-nous jusqu’à l’abattoir sans même essayer de nous en sortir ?
Toutes ces petites compromissions ; tous ces renoncements anodins ont conduit nombre de possédants à nous considérer indignes du libre arbitre inhérent à l’espèce humaine… Ils ont décidé la surenchère esclavagiste entre les peuples au grand bénéfice des sociétés apatrides. Ont utilisé certains d’entre nous comme cobayes à des fins d’extension de leur arsenal répressif… Ils ont ravagé des pays entiers. Pillé, affamé leurs populations pour en contraindre les dirigeants rétifs à se plier au diktat mondialiste. Ils ont étudié toutes nos tentatives d’émancipation pour mieux les tuer dans l’œuf, et perfectionné leurs façons de nous convaincre que leur projet serait l’émanation du bon sens commun… Ils continuent
de nos jours à favoriser l’injustice et les inégalités. À distiller dans le cœur des peuples la haine de l’Autre, la peur, et la soumission à la pression normative. À démanteler tous les droits et protections sociales acquis de haute lutte… Ils continuent, sous prétexte d’anti-terrorisme, de violer chaque jour le peu qu’il nous reste de libertés… Et nous continuons de nous indigner, pas trop fort tout de même, car nous savons bien que Big Brother nous surveille.
S’ils sont parvenus jusque-là sans provoquer un soulèvement général, c’est en raison de leur connaissance multiséculaire des moyens de maintenir les populations divisées. Par une répartition asymétrique des droits et des charges. Par l’injonction constante au culte de soi. Et par l’identification à des principes idéologiques en apparence antagonistes… En effet, la fausse alternance « droite-gauche » tout comme l’opposition du « communisme » au « capitalisme » auront permis d’occuper les esprits, tandis que s’organisait la concordance
des volontés mondialistes. L’effondrement du modèle soviétique a redistribué les cartes du poker menteur impérial… Il fallait fabriquer dare-dare un autre épouvantail à brandir aux peuples désenchantés par l’illusion démocratique. D’abord l’islam salafiste, puis les populistes d’extrême-droite en ont rempli la fonction. Ainsi s’est vu formé leur soi-disant « front républicain » contre les « extrêmes »… Pris en otages entre la culpabilité xénophobe et la menace djihadiste, les électeurs n’auront d’autre option acceptable que de souscrire
à leur asservissement absolu. Du moins est-ce l’aboutissement espéré par les oligarques.
Ils ont déjà si bien avancé le dépeçage de l’humanité, leurs trahisons et leurs crimes sont devenus si flagrants qu’ils sont obligés d’en revenir aux fondamentaux ; et n’ont plus que la sécurité pour se parer d’un semblant de légitimité… Voyez comme ils en ont fait l’objet de leurs campagnes et de leurs promesses. Pourquoi dès lors s’étonner de l’explosion de la délinquance, de l’impunité, de l’incroyable taux de récidive, de la violence endémique en périphérie de nos villes ? N’imaginez pas que tel ou tel parti politique a l’intention de remédier à ce problème. Comment pourraient-ils se passer du terrorisme ou des petites frappes de quartiers, alors qu’il s’agit du meilleur moyen de faire accepter leurs propres méfaits comme dérisoires en comparaison ? Mais aussi, et surtout, de justifier la création d’un État policier algorithmique et eugéniste ?
On observe ainsi toute la perfidie d’un double discours dans lequel, d’un côté, on accuse l’islam radical de menacer les « valeurs » nationales, tandis qu’on finance de l’autre toutes les infrastructures nécessaires à son développement, qu’il s’agisse des mosquées ou bien d’organismes de prosélytisme associatif… On laisse les pétromonarchies du Golfe investir dans les cités tout en prétendant défendre une laïcité dans les faits à géométrie variable. On refuse la liste des djihadistes revenus de Syrie sur le territoire, puis on va bombarder
au lendemain d’attentats chez nous des populations civiles qui n’y sont pour rien… Vous aurez compris le principe. Parallèlement, la même méthode est utilisée avec l’« extrême-droite », que l’ensemble du spectre politique s’accorde à diaboliser comme il se doit, alors même que sa surreprésentation médiatique lui assure une place de choix sur l’échiquier mondialiste.
« La guerre civile ou la dictature », tel est, en substance, le dilemme qui nous est imposé. Avec bien sûr une troisième voie, présentée comme un « moindre mal » : celle d’un subtil mélange des deux dans des proportions raisonnables, moyennant une totale soumission et l’acceptation du retour au servage de la part des classes laborieuses… L’accroissement des tensions communautaires, la radicalisation des mentalités ne sont pas fortuites. Elles participent à la transition voulue par l’oligarchie d’une dictature molle à un totalitarisme
pleinement assumé.
Tout est mis en œuvre pour nous y préparer. Regardons comme se fondent les anciennes délimitations entre politiques « libérales » et celles dites « sociales ». Regardons le bourbier de contradictions dans lequel s’empêtrent les idéologues du moment, lorsqu’ils essayent de soutenir tel ou tel parti pris. Regardons comme les gens sont perdus, ne savent plus à quelle conviction ni à quel espoir se raccrocher. De quelque côté où l’on se tourne, l’étau se resserre de partout. Et le piège semble inextricable.
Regardons par ailleurs comme ils associent toutes les voix dissidentes, tous les lanceurs d’alertes et dénonciateurs de leurs bobards en une hypothétique « fachosphère », repaire comme chacun sait d’ignorants crédules et d’odieux nazillons aux chapeaux pointus. Que vous vous réclamiez de l’anarchie, du marxisme, du souverainisme, de l’écologie radicale ou même d’aucune école de pensée particulière n’a pour les tenants de la pensée unique plus la moindre espèce d’importance. Avisez-vous de remettre en question l’ordre établi
de spoliation institutionnelle, de contester la légitimité des lignées parasites au pouvoir depuis des siècles ou de démentir l’interprétation officielle des évènements se déroulant sous nos yeux, vous serez taxé au choix de « conspirationnisme », de « rouge-brunisme », de « crypto-fascisme » ou encore – ultime trouvaille sémantique en vogue chez les nouveaux censeurs – de « confusionnisme »… Reconnaissons cependant aux autoproclamés « antifas » un art consommé de pousser à fond le paradoxe. Car prétendre établir ce qui est dicible et ce qui ne l’est pas ; vouloir interdire toute voix opposant une contradiction à la sienne, n’est-il pas le commencement et le principe même du fascisme ?
Les postures politiciennes ne doivent plus nous y tromper : nous sommes d’ores et déjà en dictature. Et c’est précisément, car de plus en plus de personnes à travers le monde en prennent conscience, que l’Empire aux abois se retranche dans sa dernière forteresse. En insinuant sa « guerre de tous contre tous », il espère tirer profit au lieu de subir la colère des peuples… Non seulement cette stratégie est vouée à l’échec. Mais elle est en train de se retourner contre lui. Car ironiquement, ses employés ne comprennent pas qu’associer l’intégralité des courants de pensée qui lui sont hostiles ne fait qu’en fédérer les groupes, et nous aider à tracer les lignes de force d’une résistance cohérente. En outre, la question des clivages idéologiques apparaîtra dérisoire lorsque la misère touchera les travailleurs toutes catégories confondues. Et la capacité d’entraide sera bientôt la plus sûre façon de s’assurer les meilleures chances de survie.
L’avenir qu’ils nous réservent est une fusion des modèles totalitaires passés et présents. Un village global où pour accéder au statut de « surhomme » implanté, il faudra d’abord se départir de toutes ses qualités humaines… Devant les attaques multiples et coordonnées que nous subissons, nous devons songer aux moyens d’y répondre de façon stratégique ; et non plus seulement réagir dans l’emphase émotionnelle. Car ils ne renonceront pas à leurs privilèges sur la base de jérémiades et simples protestations de forme. Il ne suffira pas de ne pas voter pour déminer ce énième piège qui nous est tendu, ni pour mettre un terme une fois pour toutes au règne de l’absolutisme marchand. Il faudra tout faire pour empêcher son prochain représentant d’usurper le pouvoir sous prétexte d’assentiment de 2% ou 3% de la population. Il doit être clair que manifester après coup notre désaccord dans la rue n’est plus d’actualité. Qu’il est inutile d’attaquer le mal à coups de banderoles et de slogans ou même au lance-pierres. Chacune de nos réactions violentes le renforce… Mais si la Bête ne peut être abattue en lui tirant dessus, elle peut cependant l’être si nous cessons de l’alimenter.
Notre contre-attaque devra se focaliser sur les moyens de subsistance de l’Empire, c’est-à-dire le priver dans toute la mesure du possible des ressources que sont l’impôt, la TVA payée sur chaque produit de consommation courante, et les intérêts versés pour chaque prêt bancaire… Il est nécessaire pour cela de nous unir, quelles qu’aient été jusque-là nos croyances et nos opinions. De nous organiser de sorte de ne plus dépendre d’un emploi au service du capital pour se nourrir et se loger. Sortir de sa bulle et son quant-à-soi. Élargir au maximum des réseaux locaux d’échange et d’entraide, pour contrer l’atomisation des rapports humains que nous observons. De mutualiser les outils, les repas, de prendre le
temps de se parler, de partager nos savoirs-faire et de nous instruire ; contre le modèle individualiste et débilitant de la société de consommation. De soustraire son argent des banques pour l’investir dans des biens concrets : qu’il s’agisse de terres, de caravanes, de groupes électrogènes ou de matériels de soins… Il sera certes difficile à chacun d’agir sur tous ces fronts à la fois. Mais il suffit que dans cet effort, quiconque prenne la part qui lui est possible, et le rapport de force alors tournera en faveur des peuples.
À ceux qui objecteraient qu’une société sans État ouvrirait la voie au chaos généralisé, je demanderais de réfléchir à ce qu’ils observent aujourd’hui. N’est-ce pas justement l’État, vendu aux intérêts de la finance internationale, l’actuel plus grand fauteur de troubles à l’ordre public ? Par ailleurs, jamais les peuples autochtones n’ont fait preuve d’autant de violence que les régimes soi-disant « civilisés ». Ni les insurgés de tous pays plus de morts que les guerres et les entreprises coloniales. L’individu lambda n’est pas sanguinaire par
nature. Il le devient par suite d’un lent et profond travail de conditionnement collectif.
S’il vous indiffère de voir se déliter sous vos yeux l’univers sécurisé que vous connaissiez, de voir se faner l’innocence des mômes avant même d’avoir grandi, d’être libre ou non et d’avoir l’inestimable chance d’être en vie, alors continuez d’obéir et de voter au prochain tour. Mais si pour vous, comme à beaucoup d’autres, cette condition de sous-hommes est inacceptable, rejoignez les rangs des Indivisibles au fond de l’arrière-cour. Il arrive qu’on y manque d’eau chaude et nous vivons à l’ombre des lumières de la ville… Mais la chaleur humaine y est bien présente, et par-dessus tout, nous sommes libres.
Nous n’avons pas de nom ni d’appartenance, et notre cercle n’a pas de centre. Notre seul dénominateur commun est la conscience de notre force. L’amour de la vie et de la beauté nous importe plus que le sort de nos petites personnalités. Nous portons en nous la foi et l’espoir que le temps nous enseigne assez de sagesse pour vivre en paix et en harmonie… Car nous savons que tout mouvement de l’Histoire induit mécaniquement son inverse, et que tôt ou tard, vous y viendrez… Nous veillons sur la flamme en attendant votre arrivée.
Zénon
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