Quel avenir pour le prolétariat du Venezuela ?


Par Robert Bibeau – Le 30 janvier 2019 – Source Les 7 du Québec

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L’inflation au Venezuela a atteint 1 000 000% à la fin de 2018 et le PIB du pays, en crise financière et humanitaire, s’est contracté de 18% selon des statistiques du FMI publiées récemment.

Le FMI souligne en outre que les pays voisins risquent d’être de plus en plus exposés aux répercussions de l’effondrement de l’économie vénézuélienne. La pénurie de nourriture, les difficultés croissantes pour accéder aux soins de santé, à l’électricité, à l’eau, aux transports, combinés aux problèmes d’insécurité, ont fait fuir en masse la population qui se réfugie, notamment, en Colombie et au Brésil.


Ces réfugiés sont pour la plupart, d’anciens électeurs d’Hugo Chavez. Ils viennent des quartiers pauvres des grandes villes. Beaucoup portent encore le t-shirt rouge de la révolution bolivarienne. Parmi eux, il y a Mildre, qui a fait des heures de bus. Cette jeune femme de 30 ans vient de Ciudad Caribia, une cité de logement social près de Caracas, construit par Chavez en 2011 et alors fierté du régime. « On s’est vraiment trompés avec eux. On pensait que ça serait un bon gouvernement pour le Venezuela, même après Chavez, mais voyez par vous-même, il n’y a plus rien à y faire », explique la jeune femme qui se définit comme une ancienne chaviste, mais certainement pas comme une maduriste. Trois millions de Vénézuéliens auraient quitté leur pays depuis 2013, selon des chiffres de l’opposition. Une majorité de Vénézuéliens n’a pas voté lors du dernier scrutin présidentiel.

« Le Venezuela reste englué dans une profonde crise économique et sociale », résume Alejandro Werner. Et, en 2018, le pays pétrolier enregistra une récession à deux chiffres pour la troisième année d’affilée, précise-t-il. La contraction du PIB devrait être pire qu’escomptée au printemps (-3 points de pourcentage) et encore plus marquée qu’en 2017 (-16,5%) alors que la production de pétrole, principale ressource du pays, continue de s’effondrer.

Le Venezuela, une mono-économie, tire 96% de ses revenus internationaux du pétrole brut. Or, sa production de pétrole s’est effondrée d’au moins la moitié en un an et demi, faute de liquidités pour moderniser les champs pétroliers. Et la production de brut a poursuivi sa chute en juin, à 1,5 million de barils par jour (mbj), soit son plus bas niveau en 30 ans, a indiqué l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

La gauche internationale, qui a mis tant de ferveur à prêcher la « Révolution bolivarienne chrétienne et citoyenne » garde le silence sur ce bilan désastreux de la bourgeoisie vénézuélienne alignée sur le camp russo-chinois, comme elle faisait l’impasse sur le bilan soviétique dans les années quatre-vingt. Aujourd’hui, les bobos déchirent leur chemise sur les ondes des médias mainstream pour dénoncer le « coup d’État » orchestré depuis la Maison-Blanche et mené par un petit arriviste, Juan Guaido, sans se demander pourquoi et comment ce réactionnaire de peu d’envergure peut-il mobiliser des millions de citoyens pour protester contre la Révolution bolivarienne nationaliste et « socialiste » tant aimée.

En réalité, le jeu de Juan Guaido n’a pas été dessiné à Washington, mais au Brésil. Itamaraty est devenu le véritable siège de l’opposition vénézuélienne et le gouvernement Bolsonaro n’a pas hésité à utiliser tous les arguments disponibles pour justifier son intervention. C’est que le Brésil et le Chili entendent développer une politique impérialiste adossée aux États-Unis et donc en opposition avec le camp russo-chinois qu’a choisi Maduro et sa clique. Les mesures de réalignement de l’Amérique latine sous le giron américain ne manquent pas, dont le lancement de l’organisation régionale remaniée (Mercosur) et la réinterprétation du nouveau traité entre le Mercosur et l’Union européenne avec la bénédiction de Washington qui y voit une façon de remettre la monnaie de sa pièce à l’UE récalcitrante.

Le cyclone économique qui emporte le Venezuela semble sans fin, et si la dépendance de chaque faction bourgeoise nationaliste envers le camp impérialiste occidental (OTAN), ou envers le camp impérialiste asiatique (Alliance de coopération Shanghai) est évidente, une constante frappe l’observateur prolétarien, soit l’impossibilité d’un développement indépendant du capitalisme national vénézuélien sous les conditions de l’impérialisme contemporain. Il n’y a pas un pays – pas un capitalisme national – qui puisse échapper aux conditions de l’impérialisme contemporain. C’est pourquoi il n’y a pas de « libération nationale » ni de nationalisme économique viable comme nous l’avons démontré à partir de l’exemple soviétique dans notre essai « La question nationale sous l’impérialisme moderne », que ce nationalisme réactionnaire soit chaviste ou d’opposition « guaidiste », tout nationalisme n’est rien d’autre qu’une prison nationale pour la classe prolétarienne internationale.

Pourquoi la classe prolétarienne verserait-elle son sang pour soutenir la faction de la bourgeoisie bolivarienne soumise aux intérêts du camp impérialiste asiatique – et pourquoi la classe prolétarienne verserait-elle son sang pour soutenir la faction de la bourgeoisie vénézuélienne soumise aux intérêts du camp impérialiste occidental ?

Au Venezuela, comme partout ailleurs dans le monde capitaliste, la véritable alternative pour la classe prolétarienne est d’être le porte-étendard d’une bataille entre les deux factions du capital national ou de se battre de manière indépendante, en tant que travailleurs, pour satisfaire leurs besoins fondamentaux en laissant de côté « l’intérêt national » ; parce que l’intérêt national chauvin n’est rien d’autre que l’intérêt du capital national qui ne mène qu’à la ruine, l’hyperinflation, la fuite hors du pays en tant que réfugiés économiques et à la guerre. La classe prolétarienne vénézuélienne doit cesser de faire la politique des autres classes et mener sa propre politique de classe dans son propre intérêt internationaliste.

Robert Bibeau

En cette époque impérialiste moderne il faut revoir la politique prolétarienne sur la question nationale afin de la replacer dans une perspective de lutte des classes – la gauche a oublié que le prolétariat n’a pas de patrie et que les luttes de libération nationale bourgeoises n’entraîneront jamais de combat révolutionnaire des prolétaires pour ériger le mode de production communiste. Afin de le démontrer, l’auteur présente et commente six textes d’auteurs marxistes.

Note du Saker Francophone

Robert Bibeau anime le blog les 7 du Québec et propose régulièrement des analyses géopolitiques pertinentes, des traductions, dont celle du Saker Francophone et l'analyse d'autres éditorialistes. Une récente interview début 2019, « Le capitalisme, c’est la guerre », et son livre ci-dessus indiquent la vision marxiste de l'auteur.
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