Pourquoi l’Iran ne fait pas confiance aux USA sur le dossier nucléaire


Par Ray McGovern – Le 1er avril 2015 – Source consortiumnews.com

Exclusif : Les médias de masse US présentent les Iraniens comme des bons gars imposant un peu de bon sens à leurs mauvais gars. Mais la véritable histoire du comportement des Occidentaux sur le programme nucléaire de l’Iran montre la mauvaise foi du gouvernement US, comme le décrit dans cet article l’ancien analyste de la CIA, Ray McGovern.

Les Iraniens pourraient très bien être du genre parano, il n’en demeure pas moins qu’il y a peut-être des gens qui les attendent au tournant, comme dit le proverbe: Ce n’est pas parce qu’on est paranoïaque qu’on n’est pas persécuté. En vérité, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et ses affidés dévots de Washington, sont clairement en embuscade – et ça, les Iraniens le savent pertinemment.

Nulle part ailleurs, cette situation n’est plus évidente qu’en Suisse où, dans un cadre assez surréalistes, se tiennent des négociations non pas sur base de preuves tangibles, mais uniquement sur l’hypothèse d’une supposée ambition de la part de l’Iran de devenir une puissance dotée de la dissuasion nucléaire – un peu comme Israël, État qui dispose en secret d’un arsenal sophistiqué d’armes nucléaires d’à peu près 200 têtes. La menacée supposée réside dans le fait que l’Iran puisse s’en constituer un. [Clairement un procès d’intention, NdlR] 

Femmes iraniennes lors d’un prêche du Leader Suprême Ali Khameini (photo du gouvernement iranien)

Israël et les USA savent très bien, grâce à leurs services de renseignement, que l’Iran n’a pas de programme d’armes nucléaire en activité, mais ils ne sont pas disposés à laisser la vérité s’immiscer dans leur projet concerté de marginaliser l’Iran. Et d’offrir au monde un scénario apocalyptique, en imaginant la menace d’un programme nucléaire iranien qu’il faudrait arrêter à tout prix – y compris par la guerre.

Parmi les aspects les plus étonnants, c’est le fait que la plupart des alliés US soient si désireux de s’accommoder de la fable de Washington, et de sa solution fourre-tout – les sanctions –, alors même que les tenants de la solution dure aux USA et en Israël en appellent ouvertement à une campagne de bombardements des sites nucléaires iraniens, qui provoquerait une perte énorme en vies humaines, sans parler de la catastrophe environnementale.

Le 26 mars 2015, l’hyper-conservateur archi-néocon John Bolton, l’ancien ambassadeur de George W. Bush aux Nations Unies a honoré les pages du New York Times de son plus récent appel pour une attaque de l’Iran. Bolton est allé peut-être un peu trop loin, en citant le rapport de la National Intelligence Estimate (NIE) daté de novembre 2007, et validé unanimement par les seize agences de renseignements US. Il a probablement parié que, puisque les médias grand public mentionnaient rarement ce rapport – intitulé Iran: intentions nucléaires et capacités effectives – il pourrait très bien réinterpréter librement les découvertes majeures dudit rapport, lesquelles statuaient:

Nous affirmons avec une grande certitude qu’à la fin de l’année 2003, Téhéran avait cessé son programme d’armes nucléaires; nous estimons avec une confiance moyenne voire élevée que Téhéran garde ouverte à minima l’option du développement d’armes nucléaires… Nous postulons avec une confiance moyenne que Téhéran n’avait pas relancé son programme nucléaire à la mi-2007, mais nous sommes incapables de dire s’il a actuellement l'intention de le développer… 

Notre évaluation concernant l’arrêt par l’Iran de son programme en 2003, en réponses aux pressions internationales, indique que les décisions de Téhéran sont guidées par une approche dite avantages-inconvénients plutôt qu’une course à l’armement indépendante quels qu'en soient les coûts politiques, économique et militaires.

Un autre fait important – tout autant ignoré par les médias de masse – est que les avis émis par la NIE ont été validés ensuite, chaque année, par la communauté des renseignements. Mais la réalité est rarement une contrainte pour Bolton. En qualité de sous-secrétaire d’État au contrôle des armes, Bolton s’est fait un nom dans la place en arguant que c’était la fonction première d’un décideur politique comme lui – et non de simples analystes du renseignement – d’interpréter les preuves issues des agences de renseignements.

Quelque chose d’embarrassant…

Aussi, ceux qui sont familiers de la crédibilité nuancée de Bolton n’ont pas dû être choqués par son édito du New York Times, intitulé Pour neutraliser la bombe iranienne, bombardons l’Iran. Nous avons été encore moins choqués de le voir rejeter le rapport optimiste de la NIE de 2007, le qualifiant d’embarrassant.

En fait, il était effectivement gênant, mais pas de la façon que suggérait Bolton. Plus embarrassant encore est le fait que Bolton était parmi ceux qui poussaient le président Bush à bombarder l’Iran. Et puis, assez soudainement, un rapport honnête de la NIE est paru, exposant le fait que le programme nucléaire iranien avait cessé depuis 2003, ce qui démentait non seulement la propagande des néocons, mais aussi les affirmations de Bush selon lesquelles les dirigeants de Téhéran avaient admis qu’ils développaient des armes nucléaires (alors qu’ils avaient en réalité affirmé le contraire).

Bush s’y réfère dans ses mémoires, intitulées Points décisifs. Le plus révélateur, c’est qu’il se plaint amèrement du fait que la NIE lui liait les mains par l’argument militaire et qualifiait même ses découvertes d’incroyables.

Bush, mécontent, écrit encore : «Le retour de manivelle fut immédiat. Le président iranien Mahmoud] Ahmadinejad saluait le rapport du NIE comme une grande victoire.» La logique apparente de Bush consiste à miser sur le dédain dont est victime Ahmadinejad pour discréditer le NIE, par le truchement des associations d’idées: tout ce que vante Ahmadinejad doit être faux.

Mais peut-on blâmer Bush, alors qu’il est si dépité par son échec? De fait, le NIE a démoli par la bande la machine de propagande anti-iranienne, importée gratuitement depuis Israël et réglée par les neocons à Washington.

Dans ses mémoires, il se lamente même : «Je ne sais pas pourquoi le rapport du NIE fut rédigé en ce sens… Quelle qu’en soit la raison, le NIE eut un grand impact, et pas un bon.» Précisant en quoi le rapport avait lié ses mains à l’argument militaire, Bush allait inclure un nouvel éclairage (apparemment inédit) : «Mais après le NIE, comment pouvais-je encore justifier l’utilisation de la force militaire pour détruire les infrastructures nucléaires d’un pays vis-à-vis duquel nos services de renseignements disaient qu’il n’avait pas de programme d’armes nucléaires en activité?»

Il convient de rappeler que les éléments fondamentaux du rapport du NIE de 2007 ont été confirmés chaque année depuis lors. En ce qui concerne l’urgence supposée d’imposer des sanctions pour empêcher l’Iran de faire ce que nous sommes plutôt sûr qu’ils ne sont pas en train de faire – peut-être devrions-nous prendre conseil auprès de la Reine de Cœur, qui se vantait de pouvoir, dans sa jeunesse, croire «six choses absolument impossible rien qu’avant le petit-déjeuner», et de conseiller à Alice de pratiquer en ce sens.

Des sanctions à la rescousse, malgré tout, pour sauver l’honneur

Malgré les conclusions des services de renseignements US, les États-Unis et d’autres pays ont imposé ostensiblement des sanctions sans précédent afin de blâmer l’Iran pour d’illicites activités nucléaires tout en exigeant de lui qu’il prouve son innocence en se défendant d’allégations faites à partir de renseignements fournis par Israël et ses vassaux, qui ont toutes les qualités requises pour susciter les plus vives craintes au sein de la communauté internationale à propos du programme nucléaire iranien.

Et il y a toujours le truc qui coince, le diable dans les détails. La plupart des observateurs partagent la conclusion de l’historien et journaliste Gareth Porter, selon laquelle le point principal de désaccord durant cette semaine de négociations à Lausanne reste le problème de la méthode et du calendrier de levée des sanctions contre l’Iran. Et, spécifiquement, si elles seront levées dès que l’Iran aura entrepris les actions irréversibles pour appliquer les éléments essentiels de l’accord.

À Lausanne, le groupe des six pays (les cinq membres permanents du conseil de sécurité plus l’Allemagne) souhaite – selon les dires – que le système légal sur lequel reposent les sanctions reste en place, même après que celles-ci auront été levées, jusqu’à ce que l’agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) ait conclu officiellement que les activités nucléaires de l’Iran sont exclusivement pacifiques – un processus qui pourrait prendre quelques années.

L’expérience de l’Iran avec l’IAEA – largement influencé par les USA et Israël – n’a pas été des plus agréables, en particulier depuis décembre 2009, sous la présidence du directeur général Yukiya Amano, un diplomate japonais dont des notes du département d’État révèlent qu’il roule pour Washington.

Des notes classifiées diffusées par Pvt. Bradley (aujourd’hui Chelsea) Manning et WikiLeaks montrent qu’Amano a dû son accès au poste de directeur général largement grâce au soutien du gouvernement US, et qu’il devait rapidement tendre la main pour recevoir son enveloppe.

De plus, Amano n’a laissé planer aucun doute sur le fait qu’il travaillerait pour les USA dans le cadre de la confrontation avec l’Iran, et qu’il allait même secrètement rencontrer des officiels israéliens, soi-disant pour étudier les preuves alléguées du programme (hypothétique) d’armes nucléaires, tout en restant muet en ce qui concerne l’arsenal d’armes nucléaires israéliens.

Selon des notes de l’ambassade des USA à Vienne (Autriche), là ou se trouve le quartier général de l’IAEA, les diplomates américains se congratulaient de voir Amano porter les intérêts US, d’une façon que le directeur général sortant Mohamed El Baradei n’aurait jamais osé faire.

Dans une note du 9 juillet 2009, le chargé d’affaires Geoffrey Pyatt – oui, tout à fait, le même qui allait aider la secrétaire adjointe Victoria Nuland à choisir «Yats»  (Arseniy Yatsenyuk) comme premier ministre ukrainien après le coup d’État – rappelait qu’Amano remerciait chaleureusement les USA pour son soutien durant son élection, notant que «l’intervention US avec l’Argentine fut particulièrement décisive».

Un Adamo reconnaissant a confié à Pyatt qu’en tant que directeur général du IAEA, il adopterait une «approche différente de celle d’El Baradei», et qu’il «voyait comme rôle premier [de sa fonction, NdT], l’implémentation des sanctions conduites par les USA, et des autres exigences envers l’Iran» .

Pyatt notait aussi qu’Amano avait rencontré l’ambassadeur israélien Michaeli «immédiatement après sa nomination» et que Michaeli «était absolument confiant dans le fait qu’Amano porterait ses priorités sur les problèmes de vérification». Pyatt a ajouté qu’Amano avait donné son accord, en privé, sur le principe de consultations avec le chef de la commission israélienne sur l’énergie atomique.

En d’autres mots, Amano a démontré de lui-même son désir irrépressible de souscrire aux vues favorisées par les USA et Israël, singulièrement en ce qui concerne le programme nucléaire iranien. Son comportement contraste avec celui, plus frondeur, d’El Baradei, qui a tenu bon face aux déclarations essentielles de Bush concernant le programme nucléaire supposé de l’Irak, et même a dénoncé ouvertement de faux documents au sujet des poudres de minerai d’uranium comme non authentiques. (Pour plus d’information sur Amano, voir le site Consortiumnews.com’s America’s Debt to Bradley Manning.).

C’est une évidence que de dire qu’El Baradei manquait à l’Iran; et c’est très clair également qu’il sait très bien à quoi s’attendre avec Amano. Si vous étiez l’Iran, à la table des négociations, vous voudriez que l’IAEA soit l’interlocuteur final qui décide si l’ensemble du système légal autorisant les sanctions soient maintenus ou pas?

Sabotage de bien meilleurs accords de 2009 et 2010

On a peu écrit pour contextualiser comme il se doit la négociation actuelle à Lausanne et combien les efforts de 2009 et 2010 ont été sabotés – le premier par Jundullah, un groupe terroriste en Iran, et le deuxième par la secrétaire d’État Hillary Clinton. Si vous voulez comprendre pourquoi l’Iran reste sceptique dans le cadre de ces négociations avec l’Ouest, malgré l’optimisme ambiant, un petit retour en arrière peut aider.

Durant la première année du mandat de Barack Obama, la première rencontre d’importance entre négociateurs américaines et iraniens, incluant le sous-secrétaire d’État d’alors William Burns et le négociateur en chef du nucléaire iranien Saeed Jalili, en octobre 2009, semblait produire de surprenants résultats positifs.

Beaucoup parmi les intéressés à Washington ont été choqués en apprenant que Jalili transmettait l’accord de principe de Téhéran d’envoyer à l’étranger 2 640 livres d’uranium appauvri [+/- 1195 kg, NdT], ce qui constituait à peu près 75% du total de l’uranium iranien, afin qu’il devienne le combustible d’un petit réacteur pour des recherches médicales.

Jalili approuvait l’accord de principe, lors d’une rencontre à Genève des membres représentants du conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne. Même le New York Times reconnaissait que si «cela se révèle exact, cela représenterait une avancée majeure pour l’Ouest, en réduisant la capacité de l’Iran de fabriquer une arme nucléaire avant longtemps, et de fait de gagner du temps pour que les négociations portent leurs fruits».

Le narratif convenu des médias de l’Ouest veut que Téhéran a rejeté cet accord. C’est vrai… mais c’est là seulement la moitié de l’histoire, l’autre partie rappelle que les priorités d’Israël (et des néocons) sur le nucléaire iranien impliquaient un changement de régime en Iran avant toute avancée. Le transfert d’uranium avait le soutien initial du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Et une rencontre de poursuite des négociations était prévue le 19 octobre 2009, à l’agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) de Vienne.

L’accord, très vite, devait subir le feu des critiques, et étonnamment, venant de groupes d’opposition en Iran, incluant le mouvement vert conduit par le candidat présidentiel malheureux Mir Hossein Mousavi, qui avait des liens avec les néocons américains et Israël depuis la période d’insurrection contre l’Iran des années 1980, quand il était premier ministre, et collaborait sur des contrats d’armement secrets.

Au premier abord, il semblait bien étrange que ce soit l’opposant politique Mousavi, le favori US, qui mène l’assaut contre l’accord sur le nucléaire, le dénonçant comme un affront à la souveraineté de l’Iran et de suggérer qu’Ahmadinejad n’était pas assez ferme.

Puis, le 18 octobre, un groupe terroriste appelé Jundullah, agissant sur la base de renseignements d’une surprenante précision, a fait exploser une voiture piégée lors d’une rencontre de commandants des Gardes de la révolution iranienne et de chefs tribaux dans la province du Sistan-Baluchistan, dans le sud-est de l’Iran. Un bus remplis de Gardiens a aussi été attaqué.

Un général de brigade, qui était responsable des forces terrestres des Gardes de la Révolution, le brigadier des Gardes de la Révolution commandant la zone frontalière du Sistan-Baluchistan, et trois autres chefs de brigade ont été tués dans l’attaque; des dizaines d’autres officiers militaires ainsi que des civils ont été tués ou blessés.

Jundullah a revendiqué l’attentat à la bombe, qui faisait suite à des années d’attaques meurtrières contre les Gardes de la Révolution et des policiers iraniens, incluant une tentative d’embuscade sur la personne du président Ahmadinedjad, présent dans un convoi de voitures officielles en 2005.

Téhéran a affirmé que Jundullah est soutenu par les USA, la Grande-Bretagne et Israël, et l’ancien chef des opérations de la CIA pour le Moyen-Orient Robert Baer a désigné Jundullah parmi les bons groupes terroristes bénéficiant de l’aide des Etats-Unis.

Je pense que l’attaque du 18 octobre – la plus sanglante depuis la guerre Iran-Irak de la décennie 1980 – n’a pas été menée par pure coïncidence un jour avant les pourparlers sur le nucléaire qui devaient se renouer à Vienne au siège de l’IAEA après la percée du 1er octobre. Il était certain que ces assassinats mettraient des doutes dans l’esprit des Iraniens sur la sincérité des US.

On peut parier qu’après l’attaque par Jundullah, les Gardes de la Révolution sont allés directement voir le grand patron, le dirigeant suprême Ali Khamenei, en arguant que l’explosion et l’attaque du convois prouvaient que l’Ouest n’était pas digne de confiance. Khamenei a condamné le 19 octobre les terroristes, qu’il a accusés «d’être soutenus par des agences d’espionnage de pouvoirs arrogants».

Le commandement des forces terrestre des Gardes qui a perdu son chef durant l’attaque, a accusé les terroristes «d’avoir été entraînés par les USA et la Grande-Bretagne dans des pays limitrophes», le commandant en chef des Gardes de la Révolution a menacé de prendre des mesures de représailles.

L’attaque a fait la une des medias en Iran, mais pas aux USA, où les medias de masse ont jeté rapidement aux oubliettes cet incident. Les médias US ont également commencé à qualifier la colère de l’Iran résultant de cet acte de terrorisme – et son exaspération croissante de voir des étrangers traverser sa frontière – comme un effort visant à intimider des groupes pro-démocratie soutenus par l’Ouest.

Malgré l’attaque de Jundullah et les critiques des groupes d’opposition, une délégation de moindre envergure, composée de techniciens, est allée à Vienne pour la rencontre du 19 octobre, mais Jalili est resté à l’écart dudit événement. Les Iraniens ont questionné les pouvoirs occidentaux sur leur loyauté, et fait quelques objections de détail, comme par exemple où devraient avoir lieu les transferts. Les Iraniens ont lancé des pistes de propositions alternatives, valant la peine d’être étudiées, comme celles de réaliser le transfert de l’uranium depuis le territoire iranien ou tout autre lieu réputé neutre.

Mais l’administration d’Obama, sous la pression intérieure croissante d’être plus dur avec l’Iran, rejeta les contre-propositions iraniennes d’un revers de main, selon certains à l’instigation du chef de la délégation de la Maison Blanche Rahm Emanuel et de l’émissaire régional néocon Dennis Ross.

Si tu ne réussis pas du premier coup…

Observant la scène, le président brésilien Luiz Inacio Lula Da Silva et le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, décelaient des parallèles flagrants entre la volonté véhémente de Washington de pousser à l’escalade et à la confrontation avec l’Iran, et celle qui a amené les etats-Unis à conduire le monde, étape après étape, à l’invasion de l’Irak.

Au printemps 2010, avec l’espoir d’éviter une autre catastrophe, les deux dirigeants ont déterré l’initiative de transfert d’uranium du 1er octobre, et ont amené Téhéran à accepter la formule selon des conditions similaires, et ce le 17 mai 2010. Tout deux en ont appelé à envoyer les 2 640 livres (+/- 1 195 kg) d’uranium appauvri à l’étranger pour l’échanger contre des barres de matériel nucléaire sans utilité pratique pour l’élaboration d’une arme nucléaire. En mai 2010, cela équivalait à envoyer à peu prês 50% de la quantité d’uranium appauvri dont dispose l’Iran vers la Turquie en échange d’uranium enrichi pour des finalités médicales.

Cependant, au lien de saisir cette concession iranienne comme au moins un élément significatif dans la bonne direction, les officiels US ont cherché à la saborder en insistant pour plus de sanctions. Les médias US ont joué leur rôle en argumentant que c’était là encore une astuce iranienne pour garder suffisamment d’uranium pour pouvoir, en théorie, fabriquer une bombe nucléaire.

Un éditorial du Washington Post publié le 18 mai 2010, titrait Mauvais Accord, et mi-amer mi-enjoué concluait : «Il est même possible que Téhéran revienne en arrière sur les conditions qu’il avaient proposées au Brésil et à la Turquie – auquel cas, ces deux pays seraient obligés de soutenir les sanctions de l’ONU.»

Le 19 mai, un éditorial du New York Times suggérait, par allusion, que les dirigeants du Brésil et de la Turquie n’étaient que deux braves paysans qui s’en étaient allés se perdre dans la grande ville qu’est la diplomatie globale. Le Times écrivait: «Le Brésil et la Turquie… sont désireux de jouer un rôle international plus large. Et ils sont désireux d’éviter un conflit avec l’Iran. Nous respectons ces vues. Mais à peu près comme tout le monde, ils se sont fait avoir par Téhéran».

Le dédain envers l’ultime concession iranienne était partagée par la secrétaire d’État Hillary Clinton, qui s’efforçait d’affiner sa réputation de fermeté en faisant tout ce qu’elle pouvait pour affaiblir l’initiative turco-brésilienne. Elle poussait au contraire à de plus sévères sanctions.

«Nous avons conclu un accord sur un projet fort (une résolution de sanction), avec la coopération tant de la Russie que de la Chine», a déclaré Clinton devant le Comité des relations extérieures du Sénat le 18 mai, faisant clairement comprendre qu’elle considérait l’opportunité des sanctions comme une riposte à l’accord irano-turco-brésilien.

«Cette annonce est la réponse la plus convaincante que nous puissions donner, dans l’effort que nous avons entrepris envers Téhéran durant ces derniers jours.» Son porte-parole, Philip J. Crowley, fut chargé de la difficile tâche d’expliquer le fait évident que Washington utilisait les nouvelles sanctions pour saborder le plan consistant à transférer la moitié de l’uranium enrichi d’Iran hors du pays.

Obama au rancard ?

La secrétaire d’État Clinton a eu sa résolution à l’ONU, et a mis le holà à l’arrangement que le Brésil et la Turquie s’étaient employés à conclure avec l’Iran. L’administration d’Obama a célébré sa victoire en obtenant du Conseil de sécurité de l’ONU, le 9 juin 2010, qu’il approuve une quatrième vague de sanctions économiques contre l’Iran. Obama a même donné son accord pour de plus draconiennes sanctions devant passer par le Congrès.

Il s’est avéré, cependant, qu’Obama avait plutôt encouragé le Brésil et la Turquie, auparavant, à travailler à un accord pour que l’Iran transfère la moitié de son uranium appauvri vers la Turquie en échange d’uranium enrichi qui ne pouvait matériellement être utilisable que pour des applications médicales pacifiques. Mais attendez! N’est-ce pas exactement ce que le Brésil et la Turquie avaient réussi à conclure?

On comprend que Lula Da Silva et Erdogan aient été interloqués, et Da Silva a transmis en fait à la presse une copie de la lettre d’encouragement d’Obama, reçue un peu plus tôt.

Rien n’y fit. L’accord tripartite fut dénoncé par la secrétaire d’état Clinton, et ridiculisé par les médias de masse. Et ce fut la Bérézina. Même après que le Brésil eut rendu public la lettre de soutien d’Obama, le président n’allait plus défendre en public la position qu’il soutenait un peu plus tôt.

Donc, une fois encore: imaginons que vous êtes le négociateur iranien. Faites confiance, mais vérifiez tout, c’était la méthode de Ronald Reagan. Nous verrons vraisemblablement bientôt s’il existe un niveau de confiance suffisant pour commencer à négocier avec succès le problème qui préoccupe le plus l’Iran: la levée des sanctions.

Ray McGovern travaille avec Tell the World, la branche des publications de l’Eglise Oecuménique du Saint-Sauveur, située dans le centre de Washington. Il a été analyste pour la CIA pendant 27 ans, et œuvre au sein du Steering Group of Veteran Intelligence Professionals for Sanity (VIPS) – le comité-directeur des professionnels vétérans du renseignement pour du bon sens commun.

Traduit par Geoffrey, relu par jj pour le Saker Francophone

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