Un projet de loi en cours d’examen à la Chambre des représentants offre un « choix » mafieux à l’application chinoise de médias sociaux et aux distributeurs numériques américains.
Par Timur Fomenko – Le 13 mars 1024 − Source RT
TikTok est l’application de média social la plus téléchargée au monde. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs mensuels actifs, elle est devenue un événement mondial et a dépassé les autres plateformes de médias sociaux pour devenir la nouvelle mode de notre époque.
Mais pour les politiciens américains, il y a un problème majeur qu’ils n’ont jamais accepté : TikTok est chinois. TikTok n’a pas été créé par une entreprise de la Silicon Valley, comme c’est le cas pour toutes les autres applications de médias sociaux, mais par une entreprise chinoise appelée ByteDance. C’est pourquoi elle fait l’objet d’une paranoïa politique à Washington, DC, et d’une obsession de la part des politiciens Républicains pour tenter de l’interdire.
Comme c’est le cas pour la plupart des produits en provenance de Chine, ces politiciens les dénoncent fallacieusement, sans preuve, comme une conspiration du Parti communiste chinois visant à infiltrer, influencer ou espionner leur pays d’une manière ou d’une autre. Il n’y a jamais eu de preuves sérieuses d’actes répréhensibles de la part de l’application, mais le récit politique s’est poursuivi parce qu’il est bien pratique.
Un certain nombre d’interdictions ont déjà échoué, notamment une tentative bâclée de l’administration Trump en 2020, qui a été annulée par un recours en justice, puis une tentative d’interdiction au niveau de l’État du Montana, qui a également été rejetée par un tribunal.
Mais l’hystérie ne faiblit pas. Le représentant Républicain Mike Gallagher, qui dirige la commission spéciale de la Chambre des représentants sur le Parti communiste chinois, a présenté un nouveau projet de loi au Congrès qui tentera une fois de plus d’interdire effectivement la plateforme vidéo. Le projet de loi a franchi l’étape de la commission et devrait faire l’objet d’un vote en séance plénière. [adopté hier à la grande majorité de 352 pour – 65 contre, NdT]. Le président Joe Biden a déclaré qu’il signerait le projet de loi s’il arrivait sur son bureau.
Cette loi a suscité l’indignation des 170 millions d’utilisateurs de TikTok aux États-Unis, qui ont bombardé les membres du Congrès d’appels pour s’opposer à l’interdiction mais, comme pour la plupart des choses liées à la Chine à Washington DC, ces appels sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Gallagher insiste sur le fait que son projet de loi n’est pas une interdiction pure et simple de TikTok – techniquement, ce qu’il envisage, c’est de rendre illégal pour les distributeurs de fournir des applications contrôlées par ByteDance. Cette société devra alors choisir de renoncer à ce contrôle pour permettre à TikTok de rester sur le marché américain. Il est évident que ce « choix » n’est qu’un racket de type mafieux visant à forcer ByteDance à vendre l’application la plus populaire au monde.
En d’autres termes, il s’agit soit de laisser les États-Unis s’emparer de votre médias social soit qu’il devienne interdit. Ce n’est guère plus que de l’extorsion légalisée, mais cela en dit long sur la mentalité des politiciens américains. L’Amérique a manifestement un gros problème avec le fait qu’un de ses pays rivaux puisse créer une application de médias sociaux mondialement acclamée. Après tout, les États-Unis ont jusqu’à récemment dominé le monde des médias sociaux sans partage et sans contestation possible, Facebook, Twitter et d’autres étant tous des produits américains qui ont changé le monde.
L’idée que la Chine ait créé l’application de médias sociaux de la prochaine génération est un coup porté à l’ego américain, un moment « Spoutnik » qui représente un choc pour le système américain, comparable à la réussite de l’Union soviétique à l’époque de la guerre froide. Il existe toutefois une différence fondamentale : dans ce cas, l’Amérique ne regarde pas de l’extérieur, comme elle l’a fait pour la réalisation autonome de l’URSS. TikTok est devenu une sensation culturelle en Amérique même, et donc une projection de « puissance douce« .
L’une des caractéristiques de la lutte des États-Unis contre la Chine est que les États-Unis, dans leur insécurité, réagissent de plus en plus en se repliant sur eux-mêmes en réaction à Pékin. Alors que pendant la guerre froide, l’Amérique se tournait vers l’extérieur pour rivaliser, avec ses propres produits culturels, ses marchés, son aide et son soutien, ici les États-Unis craignent de ne pas pouvoir rivaliser avec la Chine à de nombreux niveaux et recourent plutôt à des mesures négatives, telles que des interdictions, des listes noires, des sanctions, des contrôles des exportations, des allégations de mauvaise foi, et obligent leurs alliés à en supporter les coûts, plutôt que de les motiver.
Cela reflète bien sûr la réalité, à savoir que la Chine a poursuivi une stratégie très différente de celle de l’Union soviétique, fondée sur un engagement économique et commercial beaucoup plus global, ainsi que sur des réussites technologiques. TikTok est considéré comme un emblème de cette stratégie, car si les entreprises chinoises, grâce à leurs compétences en IA, commencent à battre la vieille garde de la Silicon Valley aujourd’hui, que se passera-t-il à l’avenir ? Apparemment, les politiciens américains n’ont pas d’autre réponse à donner que de se mettre sur la défensive. Il est toutefois probable que, même si le projet de loi est adopté, l’interdiction ne résistera pas à l’examen juridique.
Une telle interdiction pose des problèmes pour le premier amendement, car si le gouvernement américain peut arbitrairement interdire une plateforme au motif qu’elle constitue de la « propagande« , cela crée sans doute un précédent inquiétant qui peut être utilisé pour interdire n’importe quoi. Cependant, le fait que les politiciens soient si prompts à interdire quelque chose sur la base de cette prémisse pourrait nous indiquer à quel point ils sont peu sûrs d’eux, paranoïaques et apparemment déstabilisés par la montée en puissance de la Chine. Il est juste de dire que même si cette interdiction potentielle n’aboutit à rien, le problème TikTok va continuer à se poser et ne disparaitra pas.
Timur Fomenko
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.