mais le « cercle de feu » autour de la Russie demeure
Par Ugo Bardi – Le 8 mai 2020 – Source CassandraLegacy
Cette année, nous ne verrons pas le traditionnel défilé de la victoire à Moscou (Парад Победы в Москва) qui a normalement lieu le 9 mai (ci-dessus, un extrait du défilé de l’année dernière). C’est un autre effet des épidémies de COVID, mais le défilé aura probablement lieu en septembre. Il a trop de signification politique pour que la Russie puisse l’ignorer : c’est une réaction contre la perception d’être entouré par des puissances hostiles. Ce n’est peut-être pas qu’une sensation, car elle peut avoir une certaine substance en constatant le « cercle de feu » des bases de l’OTAN en Europe occidentale, le long des frontières avec la Russie. Bien sûr, de ce côté-ci du monde, nous ne pouvons pas imaginer que ces bases soient là pour d’autres raisons que la défense de notre liberté. Mais vous comprenez peut-être que, de l’autre côté, il peut y avoir un certain sentiment qu’il pourrait en être autrement.
Ainsi, la parade annuelle à Moscou est un message politique et militaire adressé à l’Occident. Et pour mieux comprendre comment les choses sont perçues en Russie, je pense que je pourrais vous proposer un récent exposé du cinéaste russe Karen Shakhnazarov sur la signification de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Russie.
Shakhnazarov fait plusieurs remarques intéressantes, souvent oubliées en Occident. En comparant les forces en présence, il note qu’au début de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique était plus nombreuse en termes de population et plus faible en termes de production industrielle. Et ce n’est pas tout : l’Union soviétique a été entourée en 1940 par un « cercle de feu » de puissances hostiles. Il n’y avait pas que l’Allemagne, sur le front occidental. Il y avait un « second front » en Asie de l’Est, où le Japon était une puissance hostile, et l’Union soviétique devait également maintenir des troupes prêtes à faire face à une éventuelle attaque de la Turquie, et même de l’Iran. Il conclut donc que la décision du gouvernement allemand d’attaquer l’Union soviétique en 1941 n’était pas aussi imprudente qu’on le décrit souvent. C’était un pari risqué mais, compte tenu des forces disponibles, il aurait pu être payant. Pendant un certain temps, le destin du monde était incertain mais, finalement, l’équilibre a basculé de manière décisive contre l’Allemagne – ce qui n’a pas été sans mal, cependant.
La Seconde Guerre mondiale a suivi un schéma bien établi. Ce n’était pas la première fois que pratiquement tout le monde occidental se liguait contre la Russie : cela s’était déjà produit en 1812 (l’invasion de Napoléon), en 1853 (la « guerre de Crimée »), et aussi à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il y eut un moment où la Russie fut envahie par des armées occidentales, et même par une armée américaine, bien que cette histoire soit en grande partie oubliée en Occident (mais pas en Russie). Et, bien sûr, l’idée d’entourer la Russie d’un « cercle de feu » est toujours bien vivante aujourd’hui, comme nous le savons tous. Mais pourquoi ?
Dans les années 1950, en Italie, nous avions une histoire de propagande typique qui disait que nous aurions dû craindre que les Cosaques russes n’apportent leurs chevaux pour boire aux fontaines sacrées de la cathédrale Saint-Pierre, à Rome. Bien sûr, cela ne s’est jamais produit, mais la peur des armées russes qui balayent l’Europe occidentale reste ancrée dans la façon de penser des dirigeants et des planificateurs militaires d’Europe occidentale. Tout comme la peur des armées occidentales marchant sur Moscou reste ancrée dans la façon de penser des dirigeants et des planificateurs militaires russes. Il n’y a rien de rationnel dans cette idée, mais elle est ancrée dans la façon dont les choses sont après des siècles de luttes.
Alors, sommes-nous – Européens de l’Ouest et de l’Est – destinés à rester à jamais dans la crainte les uns des autres ? Peut-être pas. L’histoire ne se répète jamais, même si elle rime souvent. Les empires vont et viennent, mais il y a des choses qui durent plus longtemps que les empires. L’une d’entre elles est l’épine dorsale de l’Eurasie : la route qui relie la partie orientale et occidentale du continent. Autrefois appelée « Route de la Soie », elle porte aujourd’hui le nom de « Belt and Road Initiative ». C’est une connexion qui existe depuis plus de deux millénaires et qui a survécu aux aléas des États, des empires et des batailles. Elle survivra à d’autres États, empires et batailles. Un jour, elle fera ressembler les guerres en Europe occidentale à ce qu’elles sont : de petites querelles entre États. Cela prendra du temps, mais l’histoire n’est jamais pressée.
Ugo Bardi enseigne la chimie physique à l’Université de Florence, en Italie, et il est également membre du Club de Rome. Il s’intéresse à l’épuisement des ressources, à la modélisation de la dynamique des systèmes, aux sciences climatiques et aux énergies renouvelables.
Traduit par Hervé, relu par Kira pour le Saker Francophone
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