Milosevic est disculpé mais rien n’arrête la machine de guerre de l’OTAN


Par Neil Clark – Le 2 août 2016 – Source RT

Les partisans de Slobodan Milosevic font la queue devant la tombe de l’ancien président à Pozarevac pour lui rendre hommage, 10 mars 2007. Photo : Marko Djurica/ Reuters

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) vient d’innocenter Slobodan Milosevic, l’ancien président défunt de Yougoslavie, des crimes de guerre commis pendant la guerre de Bosnie. Cela prouve, une fois de plus, que nous ne devons pas seulement en prendre et en laisser dans les allégations de l’OTAN concernant ses ennemis officiels, mais pratiquement tout laisser.

Pendant les vingt dernières années, les commentateurs néo-conservateurs et autres sommités libérales interventionnistes n’ont pas cessé de nous répéter que Milosevic (un dirigeant démocratiquement élu dans un pays où plus de vingt partis politiques fonctionnaient librement) était un dictateur diabolique génocidaire responsable de TOUTES les morts survenues dans les Balkans, dans les années 1990. Répétez après moi avec la voix d’un robot (tout en faisant des mouvements de bras saccadés) : « l’agression génocidaire de Milosevic », « l’agression génocidaire de Milosevic ».

Mais le récit officiel, tout comme celui qu’on nous a servi, en 2003 − que l’Irak avait des armes de destruction massive qu’il pouvait déployer en 45 minutes − était entièrement mensonger et avait été fabriqué pour justifier une opération de changement de régime que les élites occidentales voulaient faire depuis longtemps.

L’affirmation du TPIY, selon laquelle l’un des personnages les plus diabolisés de l’ère moderne était innocent des terribles crimes dont on l’accusait, aurait dû faire la une des journaux à travers le monde entier. Mais ça n’a pas été le cas. Même le TPIY l’a enterrée, tout au fond de la page 2590 de son verdict sur le procès du chef des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, qui a été condamné en mars pour génocide (à Srebrenica), crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Il n’y a pas eu de conférence de presse ni d’annonce officielle concernant l’exonération de Milosevic. Il faut remercier le journaliste d’investigation Andy Wilcoxson qui nous l’a signalée.

Les choses étaient bien différentes quand le procès du soi-disant « boucher des Balkans » s’est ouvert en février 2002 ! À l’époque, il aurait fallu être enfermé dans une armoire pour ne pas être au courant de ce qui se passait.

La CNN a couvert de bout en bout ce qui a été décrit comme le procès le plus important depuis Nuremberg. Bien sûr, la culpabilité de Milosevic était un fait acquis. « Quand la peine serait prononcée, il disparaîtra dans cette cellule, et personne n’en entendra plus jamais parler » a déclaré l’avocate étasunienne Judith Armatta, de la Coalition pour la justice internationale, une organisation dont l’ancien ambassadeur des États-Unis en Yougoslavie, Warren Zimmerman, faisait partie en tant que membre consultatif du Conseil d’administration.

Tous ceux qui osaient contester la ligne de l’OTAN étaient aussitôt qualifiés de  défenseur de Milosevic, ou pire encore, de négationniste, par les Gardiens de la Vérité de l’Empire.

Mais au milieu de tout le bla bla bla et de tout le battage médiatique qui entourait le procès du siècle, il est vite apparu que l’accusation avait de gros et même de très gros problèmes. Le Sunday Times a cité un expert juridique qui a affirmé que « 80% des déclarations préliminaires de l’accusation auraient été rejetées par un tribunal britannique comme étant de simples ouï-dire ». Et je crois que l’estimation de 80% était déjà très généreuse.

Le problème, c’est que ce procès était un simulacre de procès, un procès dans lequel la géopolitique était plus importante que les preuves réelles. Il faut se rappeler que l’acte d’accusation initial contre Milosevic concernant les soi-disant  crimes de guerre/génocide du Kosovo avait été publié en mai 1999, au plus haut de la campagne de bombardements de l’OTAN contre la Yougoslavie, et à un moment où la guerre ne se passait pas exactement comme l’auraient souhaité les États-Unis et leurs alliés.

L’acte d’accusation a été clairement rédigé pour mettre la pression sur Milosevic et correspondre aux exigences de l’OTAN.

Le problème pour l’OTAN était qu’au moment où le procès de Milosevic devait commencer, la narrative sur le Kosovo était déjà éventée. Les sinistres accusations des États-Unis et de leurs alliés concernant un génocide et des centaines de milliers de personnes assassinées, étaient fausses comme l’a montré le grand John Pilger ici. En septembre 2001, un tribunal de l’ONU a officiellement statué qu’il n’y avait pas eu de génocide au Kosovo.

Donc, pour renforcer leur cas contre Milosevic, qui prenait l’eau de toutes parts, les procureurs de La Haye ont dû apporter de nouvelles charges liées à la guerre en Bosnie, en accusant Slobo de faire partie d’une conspiration criminelle collective pour assassiner/nettoyer ethniquement les Croates et des musulmans de Bosnie afin de mettre en place son projet de Grande Serbie.

Dans les procédures pénales normales, les preuves sont recueillies et ensuite, si elles sont jugées suffisantes, on engage des poursuites. Mais c’est le contraire qui est arrivé dans le cas de Milosevic : il a été inculpé pour des raisons politiques et la chasse aux preuves a suivi.

L’ironie est que l’ancien président yougoslave avait été précédemment loué par le président Clinton pour son rôle dans la négociation d’un accord de paix en Bosnie en 1995, qui avait été signé à Dayton, dans l’Ohio.

La vérité est que Milosevic n’était pas du tout un nationaliste serbe pur et dur mais un socialiste de toujours qui avait toujours voulu une Yougoslavie multi-raciale et multi-ethnique.

Son but, lorsqu’il était au pouvoir, n’a jamais été de construire une Grande Serbie, mais d’essayer de garder unie la Yougoslavie fédérale, comme le TPIY vient de le reconnaître tardivement.

Non seulement Milosevic n’était pas responsable du nettoyage ethnique qui avait eu lieu en Bosnie, il l’avait même dénoncé. Le TPIY a noté les critiques répétées de Milosevic et sa désapprobation des politiques menées par l’accusé (Karadzic) et par la direction des Serbes de Bosnie. Milosevic, un homme qui avait en horreur toutes les formes de racisme, insistait sur le fait que toutes les ethnies devaient être protégées.

Mais pour punir Milosevic et pour prévenir les autres de ce qui leur arriverait s’ils osaient s’opposer aux États-Unis, l’histoire devait être ré-écrite. Le socialiste pro-Yougoslavie qui s’était opposé à la politique des dirigeants serbes de Bosnie devait être présenté, rétrospectivement, comme le méchant de la guerre de Bosnie et même blâmé pour tout le sang qui avait été versé dans les Balkans. Par contre, l’ambassadeur américain Warren Zimmerman déjà mentionné, dont l’intervention scélérate a fait capoter la solution diplomatique et a permis le déclenchement du conflit bosniaque, lui, n’a pas été le moins du monde inquiété.

Pendant la campagne tout est de la faute de Slobo, les faits réels ont été tout simplement jetés par la fenêtre. Un article écrit, je ne vous raconte pas de blague, par un professeur d’études européennes de l’Université d’Oxford prétendait même que Milosevic était le leader de la Yougoslavie en 1991 (l’année où la Slovénie a fait sécession). En fait, c’était le Croate bosniaque, Ante Markovic, qui était le leader du pays à l’époque.

Comme de bien entendu, Milosevic a été comparé à Hitler. « C’était comme si on voyait l’arrogant démon Adolf Hitler en pleine action » a écrit le rédacteur en chef de News of the World, lorsque Milosevic a eu la témérité de se défendre devant le Cour. « On avait des flashs glaçants du  monstre nazi de la Seconde Guerre mondiale quand le tyran serbe déchu haranguait la Cour. »

Pour être certains que les lecteurs comprenaient bien que Milosevic = Hitler, les News of the World ont illustré leur diatribe avec une photo de Hitler, le boucher de Berlin, devant un camp de concentration, et une photo de Milosevic le boucher de Belgrade, en surimpression sur un camp de concentration en Bosnie. Avec lequel, en fait, il n’avait rien à voir.

Au grand soulagement de l’accusation, Milosevic est mort subitement dans sa cellule en mars 2006.

Étant donné ce que nous avions vu au procès jusqu’à ce moment-là, il était tout à fait inconcevable qu’il soit jugé coupable. Une longue liste de témoins irréfutables s’étaient révélé des pétards mouillés les uns après les autres.

Comme je l’ai mentionné dans un article antérieur :

Il s’est avéré que le témoin principal, Ratomir Tanic, était à la solde des forces de sécurité occidentales, tandis que le chef de la police secrète ex-yougoslave Rade Markovic, l’homme qui allait enfin cracher le morceau sur Milosevic et révéler comment son ancien maître avait ordonné l’expulsion des minorités ethniques albanaises du Kosovo, a fait finalement tout le contraire et a déclaré qu’il avait menti sous la torture et que sa déclaration écrite avait été falsifiée par l’accusation.

En outre, comme je l’ai noté ici, l’ancien chef de la sécurité de l’armée yougoslave, le général Geza Farkas (un Hongrois ethnique), a déclaré que tous les soldats yougoslaves au Kosovo avaient reçu un document leur expliquant le droit international humanitaire, et qu’ils avaient reçu l’ordre de désobéir aux ordres qui le violaient. Farkas a également déclaré que Milosevic avait ordonné qu’aucun groupe paramilitaire ne soit autorisé à opérer au Kosovo.

Lorsque Milosevic est mort, ses accusateurs ont affirmé qu’il « avait trahi la justice ». Mais en fait, comme le TPIY l’a maintenant confirmé, c’est la justice qui a trahi Milosevic.

Pendant qu’il se défendait contre des accusations à caractère politique à La Haye, les États-Unis et leurs alliés ont lancé leur brutale agression illégale contre l’Irak, une guerre qui a fait près d’un million de morts. L’an dernier, un rapport de Body Count a révélé qu’au moins 1,3 million de personnes avaient perdu la vie du fait de la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.

Ces chiffres nous aident à remettre le Kosovo en perspective. Même si on pense que Milosevic et le gouvernement yougoslave étaient responsables d’une partie des morts là-bas, en 1999, (dans une guerre que l’Occident avait clairement voulue et provoquée), il n’y a aucune, mais alors aucune comparaison possible avec la mort et la destruction causées par les pays qui ont été les plus déterminés à mettre le président de Yougoslavie dans le box des accusés. Comme John Pilger l’a noté en 2008, le bombardement de la Yougoslavie a été un « véritable avant-goût des bains de sang d’Afghanistan et d’Irak ».

Depuis, nous avons également eu la destruction par l’OTAN de la Libye − le pays qui avait le niveau de vie le plus élevé de toute l’Afrique − et le soutien de violents rebelles pour obtenir un changement de régime en Syrie.

Il ne faut pas être Sherlock Holmes pour voir se dessiner ici un schéma répétitif.

Avant de lancer une guerre ou une intervention humanitaire contre un État donné, les États-Unis accusent son leader et son gouvernement de toutes sortes de choses épouvantables. Ces accusations sont relayées par les médias qui les répètent ad nauseam, pour qu’à force les gens se mettent à les croire.

Plus tard, il apparaît que les accusations étaient soit entièrement fausses (comme celles des armes de destruction massive en Irak), soit non corroborées, soit fort exagérées. Mais les médias sont passés à autre chose : révéler aux lecteurs la fausseté des accusations portées contre l’Hitler précédent ne les intéresse plus, ils sont tout entiers occupés à vilipender le nouvel Hitler, tout aussi « agressif et génocidaire » que le précédent. En 1999, c’était Milosevic ; maintenant c’est Assad et Poutine.

Et vous l’avez deviné, cher lecteur, ce sont, bien sûr, les personnes qui défendent la guerre en Irak et les autres interventions militaires occidentales sanglantes basées sur des mensonges, des affirmations non corroborées ou de fortes exagérations, qui se répandent en accusations tous azimuts la fois d’après, exactement les mêmes personnes.

Comme le dit ce vieil adage plein de sagesse : Quand vous montrez quelqu’un du doigt, trois doigts se retournent vers vous1

Neil Clark est journaliste, écrivain, présentateur et blogueur. Il a écrit pour de nombreux journaux et magazines au Royaume-Uni et dans d’autres pays, comme The Guardian, le Morning Star, le Daily et Sunday Express, le Daily et Sunday Mail, le Daily Telegraph, le New Statesman, The Spectator, The Week et The American Conservative. Il publie régulièrement sur RT et on l’a vu également à BBC TV et BBC radio, Sky News, Press TV et la Voix de la Russie. Il est co-fondateur de la Campagne pour Public Ownership@PublicOwnership. L’adresse de son blog qui a été primé est : www.neilclark66.blogspot.com. Ses tweets portent sur la politique et les affaires mondiales @NeilClark66

 Traduction : Marie Staels

Enregistrer

  1. Note du traducteur : Comme disent les enfants : « Celui qui l’dit, c’est celui qui l’est ! »
   Envoyer l'article en PDF