L’Ukraine de Zelenskiy peut-elle mettre fin à la guerre ?


Par Gordon Hahn – Le 27 avril 2023

Une série de développements européens ont récemment montré l’accélération de la perte d’hégémonie des Etats-Unis face au mouvement sino-russe qui cherche à organiser le « reste » du monde en s’éloignant de l’Occident et du système hégémonique américain. Aujourd’hui, ce qui était une fuite s’est transformée en une inondation. Le président chinois Xi a pris au lasso le président ukrainien Volodomyr Zelenskiy pour des négociations visant à mettre fin, ou au moins à arrêter, la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine, malgré l’opposition apparente des États-Unis à de tels pourparlers ou même à un cessez-le-feu, comme l’ont déclaré de nombreux responsables américains au cours des dernières semaines. La défection de l’Ukraine du projet américain OTAN-Ukraine, qui est aussi une tentative de changement du régime russe, met Washington dans une situation délicate et pourrait donner lieu à des mesures drastiques.

Comme je l’ai noté récemment, une série de dirigeants européens se sont rendus à la Cité interdite pour consulter des responsables chinois sur des questions économiques et politiques. Le président brésilien a ajouté le poids de l’État le plus puissant d’Amérique du Sud en rencontrant Xi et en appelant à la tenue d’une conférence de paix sur l’Ukraine sous l’égide de la Chine. Mais il s’est avéré que le pèlerinage le plus important à Pékin a été celui du président français Emmanuel Macron. Le dirigeant de l’un des principaux membres de l’OTAN et de l’UE et prétendant au leadership en Europe a annoncé ce que de nombreux dissidents conservateurs dans toute l’Europe affirment depuis des années. Après sa rencontre avec XI, Macron a déclaré dans une interview accordée lors de son retour à Paris que l’Europe devrait éviter le statut de « vassal » et de « suiveur » par rapport aux États-Unis et rechercher plutôt une « autonomie stratégique » en tant que « troisième pôle » dans le système international, aux côtés des États-Unis et de la Chine. Une telle évolution représenterait évidemment l’élimination de la pierre angulaire du pôle américain ou occidental du système international. Washington et Bruxelles, qui jouissaient de l’hégémonie depuis la fin de la guerre froide, verraient la fin du système unipolaire qu’ils dominaient et commenceraient à se disputer les faveurs de Pékin, même si cette dernière protège les Russes tant détestés.

Voici maintenant l’appel de Zelenskiy à XI et la reconnaissance par ce dernier qu’ils ont discuté de l’implication de l’Ukraine dans la poursuite d’un processus de paix avec la Russie, ainsi que l’annonce que Pékin nomme un envoyé spécial à Kiev pour coordonner la préparation des pourparlers. Le fait que Zelenskiy ait pris l’initiative du contact avec Xi et que ce contact ait eu lieu alors que l’Ukraine était en train de perdre complètement son emprise sur la plaque tournante de Bakhmut dans le Donbass suggère que Zelenskiy, comprenant que l’aide occidentale sera trop faible et trop tardive pour empêcher une marche russe vers le fleuve Dniepr qui forcerait le retrait du gouvernement de Kiev, voit que la défaite totale et complète de l’Ukraine est écrite sur le mur. C’est une sage décision, mais il est peut-être trop tard pour lui, pour le régime de Maïdan et même pour la souveraineté de Kiev sur le territoire ukrainien, qui est menacée non seulement par la Russie, mais aussi par la Pologne, voire par les États-Unis et l’OTAN, en raison de la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve.

J’ai récemment noté les rapports de Seymour Hersh selon lesquels le directeur de la CIA William Burns, en visite à Kiev au début du mois, a remis à Zelenskiy une liste de 35 généraux ukrainiens impliqués dans des actions de détournement de l’aide occidentale à l’Ukraine, d’une valeur de 400 millions de dollars depuis le début de la guerre. Burns aurait dit à Zelenskiy que c’est lui, le président ukrainien, qui aurait dû figurer en tête de liste. Zelenskiy a donc été contraint de licencier le militaire corrompu le plus ambitieux de la liste. Cela suggère que Washington a une grande emprise sur Zelenskiy et peut contrôler les politiques de guerre de l’Ukraine, sans parler de la dépendance totale de Kiev à l’égard des financements occidentaux pour son budget d’État. Mais cela signifie non seulement que Washington et Bruxelles peuvent désormais manipuler Zelenskiy encore plus qu’ils ne le faisaient avant de présenter leurs renseignements obtenus par l’écoute des communications internes de Kiev et que, plus que jamais, l’Ukraine est un membre de facto de l’OTAN et un État satellite de l’Occident dont la survie dépend entièrement de l’alliance, en particulier de Washington, mais aussi que Washington peut déployer des renseignements pour accroître les tensions dans les relations entre civils et militaires ukrainiens et, plus particulièrement, entre Zelenskiy et ses généraux. Les éléments compromettants recueillis sur Zelenskiy pourraient être déployés à l’avenir pour faire monter la température et recruter ensuite des généraux, en particulier le chef de l’état-major ukrainien Viktor Zalyuzhniy, des ultranationalistes, des néofascistes ou d’autres personnes pour monter un coup d’État contre Zelenskiy et/ou l’assassiner pour toute trahison des intérêts du président américain Joe Biden, de l’OTAN et d’autres intérêts occidentaux fondamentaux, par exemple en faisant la paix avec Poutine sous les auspices de la Chine. Non seulement cela mettrait fin aux espoirs occidentaux de faire de la guerre contre la Russie en utilisant l’Ukraine et de virer Poutine de sa position, mais cela placerait Pékin au-dessus de la « nation indispensable » en tant qu’arbitre principal de la politique internationale. À Washington et à Bruxelles, éviter un tel résultat est bien plus important que la vie de Zelenskiy et la survie de l’Ukraine.

On ne sait pas exactement quel lien il y a dans l’esprit de Zelenskiy entre sa main tendue à Pékin et les déclarations antérieures de Zelenskiy et du président polonais Andrzej Duda sur la « dissolution » des frontières entre la Pologne et l’Ukraine et ce que j’ai suggéré il y a de nombreux mois comme étant la possibilité réelle d’envoyer des forces polonaises ou de l’OTAN en Ukraine occidentale pour contrer toute avancée russe au-delà du Dniepr. Toutefois, il est clair qu’un tel plan peut être mis en œuvre sans Zelenskiy à la tête de Kiev. En résumé, s’il n’y a pas d’imprimatur américaine sur les contacts de Zelenskiy avec Pékin et sur les pistes de discussions possibles avec le Kremlin, Zelenskiy s’est mis dans une position très précaire. Qu’il s’agisse de Nord Stream, de Trump, de son fils Hunter ou simplement d’une approximation de la vérité, Biden a montré qu’il n’était pas moins impitoyable que n’importe quel autre tyran. L’audace de Biden et de ceux qui contribuent à déterminer ses politiques à Washington, Bruxelles, Davos et ailleurs ne fera que l’encourager à prendre des mesures désespérées, compte tenu de la détérioration rapide de la situation sur le front ukrainien, alors que l’offensive russe gagne lentement et méthodiquement du terrain et encercle maintenant les troupes à Bakhmut, Avdieevka et ailleurs. Compte tenu aussi du début de la campagne présidentielle de 2024 et des enjeux élevés des résultats des élections présidentielles et législatives pour Biden, sa famille, ses mécènes et ses alliés.

Gordon Hahn

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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