Par Moon of Alabama – Le 8 janvier 2022
Le mystère demeure entier quant aux forces qui se cachent derrière la rébellion au Kazakhstan. Alors que j’avais présumé qu’il s’agissait d’une opération de la CIA, il se peut qu’elle ait été confiée au MI6 britannique. Il existe aussi d’autres possibilités.
L’action observée ces derniers jours sentait fortement la révolution de couleur, typiquement fomentée par les États-Unis. Les gangs qui ont attaqué les forces de police, incendié des bâtiments et pris d’assaut les lieux où étaient stockées des armes semblaient très bien entraînés. Ils travaillaient en formation et étaient manifestement sous le commandement de quelqu’un. Certains d’entre eux semblaient être des tireurs d’élite entraînés, car certains tirs atteignaient les policiers à grande distance. Trois des policiers tués ont été décapités, ce qui indique la présence d’éléments djihadistes. Certains d’entre eux seraient également des étrangers et la taille de la force totale a été estimée à 20 000 personnes. Certains ont émis l’hypothèse que ces personnes venaient de Turquie, où le président Erdogan utilise des djihadistes syriens à des fins de politique étrangère. Mais dans l’intérêt de qui ferait-il cela au Kazakhstan ?
La Turquie est bien sûr membre de l’OTAN et finira par se plier à ses exigences. L’ultimatum de la Russie de « maintenir l’OTAN loin de la frontière russe ou sinon… » pourrait être une raison suffisante pour Washington DC de créer des problèmes à la frontière sud de la Russie. Lorsque les États-Unis ont fui l’Afghanistan, ils ont essayé d’obtenir de nouvelles bases en Asie centrale, mais tous les gouvernements de la région ont refusé. Un changement de régime au Kazakhstan pourrait amener quelqu’un au sommet qui autoriserait une base étasunienne. Mais qui pourrait être cette personne ?
Le président Kassym-Jomart Tokayev a été installé en 2019 après le départ de l’ancien dirigeant, Nursultan Nazarbayev, sous la pression du public. Mais Nazarbayev est en fait resté aux commandes jusqu’à très récemment. Il a obtenu le titre de « premier président » et a été nommé président du Comité de sécurité nationale (KNB). La capitale Astana a été rebaptisée Nur-Sultan en son honneur.
La personne qui dirigeait les affaires courantes du comité de sécurité était Karim Masimov, un fidèle allié de Nazarbayev et un ami d’affaires de Joe et Hunter Biden. Il semble que les forces de sécurité n’étaient pas vraiment prêtes à se battre lorsque les premiers gangs sont devenus violents. Les forces qui gardaient l’aéroport d’Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, auraient été priées de quitter les lieus peu avant qu’une bande d’une cinquantaine de rebelles ne prenne le contrôle de l’aéroport.
Le président Kassym-Jomart Tokayev a désormais pris la tête du Comité de sécurité nationale. Nazarbayev est hors jeu. Vendredi, il a été rapporté que lui et sa famille avaient quitté le Kazakhstan mais son secrétaire privé a déclaré que Nazarbayev, qui n’a pas été vu en public depuis la fin décembre, était toujours à Astana / Nur-Sultan.
Karim Masimov a également été destitué, arrêté et accusé de trahison :
Les accusations de trahison laissent penser que le chef du KNB a été impliqué dans une tentative de renverser Tokayev et de prendre le pouvoir.
Cette théorie a semblé recevoir une approbation semi-officielle le 7 janvier, lorsqu’un commentateur bien connu et ancien haut fonctionnaire du gouvernement a déclaré à la télévision d’État qu’il avait reçu des informations selon lesquelles le Kazakhstan était la cible d’une « rébellion armée » qui équivalait à une « tentative de coup d’État ».
Yermukhamet Yertysbayev, un ancien conseiller de Nazarbayev, est connu sous le surnom de « rossignol du président », car il était généralement entendu qu’il exprimait les pensées que Nazarbayev souhaitait mettre dans le domaine public, mais avec un déni plausible.
Pour étayer cette théorie, M. Yertysbayev a déclaré à Khabar TV qu’il avait été informé qu’un ordre avait été donné de lever le cordon de sécurité autour de l’aéroport d’Almaty 40 minutes seulement avant que les manifestants ne l’occupent le 5 janvier. Cela n’a probablement été possible qu’avec un ordre venant du plus haut niveau.
Tokayev a remplacé Masimov au KNB par Yermek Sagimbayev, qui était auparavant à la tête du service de protection de l’État, chargé d’assurer la sécurité du président. Il est l’homme de Tokayev.
Les médias gouvernementaux ont cessé d’appeler la capitale Nur-Sultan et l’appellent désormais simplement « la capitale ».
S’il s’agissait d’un coup d’État interne, était-ce un coup d’État de Tokayev pour écarter le clan Nazarbayev et ses aides ou les Nazarbayev ont-ils tenté un coup d’État contre Tokayev ?
Un autre mystère est l’arrestation de Wild Arman (Arman Dzhumageldiyev), un jeune mafieux qui semble avoir été le chef de la rébellion à Almaty. Wild Arman est populaire sur les médias sociaux, dirige des organisations caritatives et gère des systèmes financiers pyramidaux. Un homme haut en couleur.
Il y a également une figure externe colorée similaire dans le jeu.
Mukhtar Ablyazov a reçu une formation en physique nucléaire, mais est devenu un capitaliste de l’Est sauvage après l’effondrement de l’URSS. Il a obtenu une part de la BTA Bank lorsqu’elle a été privatisée par le président Nazarbayev, à l’époque. Il a utilisé la banque pour s’approprier quelque 5 milliards de dollars et, en 2009, après quelques problèmes avec Nazarbayev, il a fui le pays. La BTA Bank a fini par s’effondrer, se retrouvant en défaut de paiement de quelque 10 milliards de dollars de dettes, l’un de ses principaux créanciers étant la Royal Bank of Scotland, qui a été renflouée par le contribuable britannique.
Comme beaucoup de milliardaires louches de l’ex-Union soviétique, Ablyazov s’est installé à Londres et a obtenu l’asile politique. Il a engagé plusieurs sociétés ayant des antécédents à la CIA, au MI6 et au Mossad pour obtenir des documents contre Nazarbayev et se défendre contre la prison. Des ordres d’arrestation ont été lancés contre lui en Ukraine, en Russie et au Kazakhstan. Plusieurs procédures judiciaires ont été ouvertes contre lui à Londres. Après qu’il a effrontément menti sous serment à un tribunal britannique au sujet de la propriété de la maison de 20 millions de dollars dans laquelle il vivait, un juge l’a condamné à 22 mois de prison. Mais Ablyazov n’entrera jamais dans une prison britannique, il s’est volatilisé.
Il s’est ensuite présenté à Rome, puis en France, toujours suivi de procès et d’avis d’arrestation à son encontre. Il a engagé plusieurs sociétés de relations publiques et avocats pour se défendre. Un juge britannique a fini par empêcher son extradition vers la Russie et, les relations entre l’Occident et la Russie s’étant dégradées, il a finalement été autorisé à rester en France.
(Toute l’histoire, beaucoup plus longue, est racontée dans un article du Financial Times datant de 2017, dont la lecture est gratuite).
Ablyazov est un exemple parfait de ce que Chatham House a récemment appelé le problème de la kleptocratie au Royaume-Uni :
L’expansion de Londres en tant que centre de services financiers et professionnels a coïncidé avec l’effondrement de l’URSS et la montée des kleptocraties post-soviétiques dans les années 1990. Ces États et leurs élites sont depuis devenus une source importante de clients pour les entreprises de services basées au Royaume-Uni et d’investisseurs dans les actifs britanniques.
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Sur la base de recherches approfondies sur le blanchiment d’argent et de réputation par les élites des États successeurs de l’Union soviétique, ce document explique en détail comment le Royaume-Uni est mal équipé pour évaluer le risque de corruption de la kleptocratie transnationale, qui a sapé l’intégrité d’importantes institutions nationales et affaibli l’État de droit. Il conclut en appelant le gouvernement britannique à adopter une nouvelle approche de ce problème, axée sur la création d’un environnement hostile aux kleptocrates du monde entier.
Ces dernières années, Ablyazov a été accusé de plusieurs tentatives de changement de régime au Kazakhstan. Il a fondé et financé un parti politique au Kazakhstan qui a été rapidement interdit.
Il y a deux jours, Reuters a soudainement commencé à blanchir cet homme en le présentant comme le « chef de l’opposition » du Kazakhstan :
L’Occident doit sortir le Kazakhstan de l’orbite de Moscou, sinon le président russe Vladimir Poutine entraînera l’État d’Asie centrale dans « une structure semblable à celle de l’Union soviétique », a déclaré à Reuters un ancien ministre devenu chef de l’opposition kazakhe.
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Mukhtar Ablyazov, un ancien banquier et ministre du gouvernement qui est à la tête d’un mouvement d’opposition appelé Choix démocratique du Kazakhstan, a déclaré que l’Occident devait entrer dans la mêlée.
« Sinon, le Kazakhstan se transformera en Biélorussie et (le président russe Vladimir) Poutine imposera méthodiquement son programme – la renaissance d’une structure comme l’Union soviétique », a déclaré Ablyazov à Reuters, en russe depuis Paris. « L’Occident devrait arracher le Kazakhstan à la Russie ».
« La Russie est déjà entrée, elle a envoyé des troupes. L’OTSC, c’est la Russie. C’est une occupation du pays par la Russie », a-t-il ajouté.
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Il a dit qu’il était prêt à aller au Kazakhstan pour diriger un gouvernement provisoire si les manifestations s’intensifiaient.
« Non seulement je reviendrais – les gens ne cessent de demander quand je reviendrai et me reprochent de ne pas revenir pour diriger les protestations – mais les gens ne comprennent pas à quel point il serait difficile pour moi de revenir car la Russie m’a condamné à 15 ans et le Kazakhstan à la perpétuité », a-t-il déclaré.
Ablyazov a rejeté les suggestions selon lesquelles l’Occident aurait financé les manifestations, estimant qu’il s’agissait d’une tentative de détourner l’attention du fait que les racines des protestations étaient intérieures.
« Je connais le cliché soviétique de l’espion occidental, mais je serais heureux d’être un espion américain ou européen parce qu’alors nous vivrions comme les gens en Amérique ou en Europe – et tout le monde rirait », a-t-il déclaré. « Malheureusement, l’Occident ne m’aide pas ; l’Occident m’entrave ».
Eh bien, eh bien – « Ne croyez jamais rien en politique tant que cela n’a pas été officiellement démenti. »
C’est l’ambassade des États-Unis au Kazakhstan qui avait annoncé les détails d’une manifestation prévue par le parti d’Ablyazov, le 16 décembre.
Ablyazov se trouverait maintenant à Kiev pour réclamer des sanctions « occidentales » contre le Kazakhstan.
Ablyazov, avec tout son argent volé, pourrait bien avoir financé la récente révolution de couleur au Kazakhstan. Les services secrets britanniques du MI6, dont certains « anciens » agents ont travaillé pour Ablyazov, pourraient y avoir contribué. Vladimir Odintsov suit les pointillés de Londres à Almaty en passant par la Turquie :
La nomination en juin 2020 de Richard Moore, ancien ambassadeur en Turquie, à la tête du MI6, le service de renseignement extérieur britannique, visait à renforcer la position britannique sur le théâtre de l’Asie centrale. Il n’est pas seulement un russophobe convaincu, mais aussi un fervent défenseur de la Grande Turquie, c’est-à-dire de la réussite de l’aspiration pan-turque à créer un État unissant les peuples turcophones d’Asie centrale, du Caucase et même des républiques fédérales russes de la région de la Volga, de l’Oural et du Caucase du Nord. Richard Moore a longtemps nourri ce projet. La clé des projets de Londres dans cette région est de gagner le soutien d’Erdogan, président de la République turque Erdogan, et le désormais chef du MI6 a travaillé à la réalisation de cet objectif pendant son poste d’ambassadeur en Turquie de 2014 à 2018. À cette fin, Moore a organisé des visites répétées en Grande-Bretagne, où le dirigeant turc a rencontré des représentants de son establishment politico-militaire ; il a toujours soutenu le plan d’Erodgan pour la Turquie dans ses déclarations officielles ; et a apporté son soutien à son parti politique.
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Avec l’arrivée de Moore à la barre, les services secrets britanniques ont sensiblement intensifié leurs activités au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan. Tant les organisations pan-turques que les groupes islamistes apprivoisés ont été renforcés afin de neutraliser l’influence de Moscou et de Pékin dans la région. Le rôle de la Turquie dans ce grand jeu est de servir de bélier aux intérêts britanniques.
L’un des « manifestants pacifiques » au Kazakhstan a été identifié comme une personne qui, jusqu’à récemment, vivait en Turquie. Sur une photo, il fait le signe du « loup gris » des fascistes turcs.
Une coopération du MI6 avec Ablyazov et Reuters le présentant comme le « leader de l’opposition » est parfaitement logique. La Turquie pourrait bien avoir contribué à l’entraînement des gangs et des éléments djihadistes. Karim Masimov, l’ancien chef du comité de sécurité d’Astana, a peut-être été soudoyé pour les aider ou a été compromis par sa connexion avec Biden. Le criminel Wild Arman aura travaillé pour de l’argent, peu importe d’où il venait.
Cela laisse encore plusieurs questions ouvertes.
D’abord, comment la Russie a-t-elle su ce qui allait se passer ? Les forces russes de l’OTSC étaient en route 13 heures seulement après que Tokayev ait demandé l’aide du pacte de défense. Même une force de réaction rapide bien entraînée met plus de temps à faire ses bagages, à se rendre à l’aéroport et à partir. Les troupes de l’OTSC de Biélorussie, d’Arménie et du Tadjikistan ont également été assez rapides. Quelqu’un a dû les avertir.
Ces troupes de l’OTSC ne sont d’ailleurs pas actives dans les rues mais gardent les bases, les aéroports et les bâtiments gouvernementaux. Elles relèvent les forces kazakhes qui sont maintenant libres de combattre les gangs. Des coups de feu étaient encore entendus ce matin à Almaty. L’opération se poursuit.
Quel était le résultat attendu de toute cette affaire ? Brûler quelques bâtiments gouvernementaux et tuer des policiers n’est pas suffisant pour réussir un coup d’État. Il faut s’attaquer à la tête de la bête et aucune tentative n’a visiblement été faite en ce sens.
Pour l’instant, il semble que Tokayev soit sûr de gagner. Il n’y aura pas de sanctions « occidentales », car plusieurs grandes entreprises « occidentales » gagnent beaucoup d’argent en exploitant les ressources du Kazakhstan. Si elles devaient se retirer en représailles aux sanctions, ce serait une grande victoire pour la Russie et la Chine.
Tout ceci était un résultat tout à fait prévisible. Mais alors pourquoi lancer cette opération ?
La seule réponse qui ait un sens à mes yeux est qu’il s’agissait d’une tentative pour détourner l’attention de la Russie de la menace « occidentale ». Si c’est bien cela, elle a échoué.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone