Le sport a perdu aux jeux à PyeongChang.
Par Maxim Maximov – Le 1er Mars 2018 – Source Oriental Review
Je suis monté dans le train, j’ai regardé mon billet et mon cœur s’est serré. La place 4A était un siège près de la fenêtre. Je n’ai jamais aimé être assis près de la fenêtre. Dans mon dos, je pouvais sentir la foule des autres passagers qui poussait derrière. Tout le monde était pressé de quitter PyeongChang. Les Jeux Olympiques étaient terminés et maintenant tout le monde voulait rentrer à la maison.
Un homme était déjà assis dans le siège 4B. Il était d’âge moyen, avec un bouc. Il portait un chandail rouge et des lunettes. Je me suis pressé entre les sièges pour laisser passer les gens derrière moi et j’ai jeté mes sacs sur l’étagère du haut. Oh cette fenêtre…
« Excusez-moi, puis-je m’asseoir ? » demandai-je à mon nouveau voisin.
Il se leva silencieusement, je m’installai à cette fenêtre et laissai tomber mon sac à dos sur mes genoux. Je préfère de beaucoup être assis près de l’allée. Là, vous êtes autosuffisant. Là vous avez la liberté. Mais près de la fenêtre… tu es retenu captif.
« D’où venez-vous ? » Les mots étaient soudainement forts à mon oreille.
« De Russie » répondis-je d’un ton neutre.
Il hocha silencieusement la tête et se détourna. Un sentiment de malaise flottait dans l’air. Je le sentais, du moins. Mon voisin n’a pas mentionné d’où il venait et ne s’est pas présenté. Il n’a plus posé de ces questions conventionnelles ni même souri. Il s’est simplement détourné.
« Et vous ? » demandai-je, un peu offensé.
« Canada » répondit-il froidement, n’invitant pas d’autres conversations.
Les deux heures restantes jusqu’à Séoul, nous les avons passées en silence.
Et pendant tout le voyage j’ai été tourmenté par une seule question : aurions-nous continué à bavarder si j’avais été d’un autre pays ?
Est-ce que mon voisin de banquette avait été distant dès le début ? Mais si oui, pourquoi avait-il été le premier à parler ? Ou est-il devenu soudainement moins amical une fois qu’il a découvert que j’étais de Russie ? Et sa voix avait sonné si grave…
Je me demande à quoi il pensait. Peut-être avait-il peur que je sois impliqué dans le dopage ? Ou estimait-il que les athlètes russes n’auraient pas du être autorisés à participer aux Jeux ? Le nom de McLaren était-il la première chose qui lui soit venue à l’esprit ? Est-ce qu’il connaît l’histoire de Rodchenkov ?
Nous sommes descendus du train et avons disparu dans la foule post-olympique. Et seulement alors j’ai eu ma réponse. Le voici, le point clé des Jeux Olympiques. Les sports deviennent de moins en moins un moyen de rapprocher les gens. Parfois, ils nous forcent même à nous séparer. Même involontairement. Comme dans mon cas.
Il y avait tellement de choses que mon voisin de banquette canadien et moi aurions pu dire : les matchs de hockey, le Canada a remporté deux médailles, même si aucune d’elles n’était en or. C’est la Russie qui a remporté la médaille d’or chez les garçons ; ou le patinage artistique, dans lequel Zagitova et Medvedeva ont balayé tout le monde. Les Canadiens y ont remporté quatre médailles, dont une médaille d’or dans l’épreuve par équipe ; ou de short track ; de bobsleigh ; de curling ; peu importe ! Nous aurions même pu discuter des femmes ou de la météo.
Théoriquement, nous aurions pu devenir amis et rester en contact. Mais nous nous sommes assis dans un silence tendu, n’osant pas engager une conversation…
Le sport est le grand perdant de ces Jeux olympiques. Ce ne sont pas les athlètes et les fans qui en sont responsables ici, mais les officiels et les avocats. Ici, les destins ont été décidés non pas dans les stades, mais dans des bureaux administratifs. Tous les athlètes les plus forts du monde n’étaient pas en compétition – des joueurs de la NHL au skieur Sergey Ustiugov. Des lois différentes ont été appliquées à des situations identiques.
Et je suis désolé pour ces gentils Coréens. Rien de tout cela n’était de leur faute. Ils étaient prêts à se lier d’amitié et à aider tout le monde. Ils ont fait du très bon travail en organisant les jeux, qui ont été salis par des gens complètement indifférents au sport. Parfois, dans la vie, il est important d’adopter une perspective globale. Regarder les choses du point de vue des gens, de l’histoire et du développement. Les chasses aux sorcières n’ont jamais conduit nulle part.
Plus tard vous souhaiteriez seulement avoir une chance de recommencer. Même si cela signifiait retourner à ce siège côté fenêtre que j’aime si peu. Juste pour avoir une chance de parler, parler comme deux êtres humains. Mais il semble qu’il soit trop tard, le train part.
Maxim Maximov, rédacteur en chef de Sport-Express
Traduit par Hervé relu par Cat pour le Saker Francophone