Par Ugo Bardi – Le 11 avril 2016 – Source CassandraLegacy
Dans ce post, je soutiens que la surpopulation est un problème complexe qui a à voir avec les choix humains au niveau des familles monoparentales. Il n’est pas impossible que ces choix puissent éventuellement conduire à une stabilisation de la population mondiale à un niveau soutenable. C’est arrivé dans certains cas historiques, comme au Japon au cours de la période Edo.
La question de la population met en jeu des sentiments très forts à chaque fois qu’elle est mentionnée et il y a un sentiment général que les gens vont continuer à se reproduire comme des lapins, à moins que quelque chose de radical ne soit fait pour les arrêter. Cette position va souvent de pair avec la critique des chefs religieux et des religions en général, accusées d’encourager les gens à se reproduire comme des lapins. Ou, du moins à cacher le fait que se reproduire comme des lapins est mauvais pour la planète.
Mais est-il vrai que les gens ont tendance à se reproduire comme des lapins? Et pourraient-ils s’arrêter si quelqu’un, disons le pape, le leur demandait? Peut-être, mais les choses peuvent ne pas être si simples. Permettez-moi de vous montrer un exemple: le Japon au cours de la période Edo.
Notez comment la population est demeurée relativement constante pendant au moins 150 ans. C’est une histoire fascinante, discutée en détail dans le livre Mabiki: Infanticide et croissance de la population dans l’est du Japon, 1660-1950, par Fabian Drixler. Voici une illustration tirée du livre:
Une autre série impressionnante de données: les taux nets de reproduction au Japon sont restés autour ou en dessous du taux de remplacement pendant la période Edo, en gardant la population constante pendant quelque chose comme un siècle et demi. Il est également impressionnant de constater comment le taux de reproduction a littéralement explosé après, ce qui a porté la population japonaise de la période Edo de 25 millions, au niveau actuel d’environ 125 millions, cinq fois plus. Notez également comment le taux de reproduction s’est rapidement effondré après les années 1950; c’est un exemple frappant de ce que nous appelons la transition démographique.
Comme nous pouvons le voir à partir de ces données, les stratégies de reproduction humaine sont beaucoup plus complexes que ce que vous pouvez imaginer si vous vous limitez au commandement biblique croître et se multiplier. Les Japonais ne se reproduisaient pas comme des lapins pendant la période Edo. Il ne semble pas qu’ils aient été contraints de réduire leur taux de natalité par le gouvernement ou par des croyances religieuses. Certaines famines sont signalées au Japon au cours de la période Edo, mais elles ne peuvent pas avoir été vraiment désastreuses, sinon nous aurions vu leurs effets dans la courbe de la population. La population est restée stable, semble-t-il, et principalement par des stratégies de la base vers le sommet, au niveau des femmes célibataires ou des familles monoparentales: par la contraception et, si cela ne suffisait pas, par l’infanticide.
Donc, qu’est-ce qui a conduit les familles japonaises à choisir (plutôt que d’y être forcées) de limiter leur taux de reproduction? Il y a beaucoup de littérature scientifique sur les stratégies de reproduction de diverses espèces, y compris l’espèce humaine. L’idée de base est que, dans tous les cas, les parents ont le choix sur la façon d’utiliser leurs ressources limitées. Soit ils investissent pour avoir un grand nombre de descendants (la stratégie-r, également la stratégie du lapin [r pour rabbit, NdT]), soit ils investissent dans les soins à leurs petits jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge adulte (la stratégie-K ou la stratégie éléphant [K pour capacité de charge, NdT]. Le choix de la stratégie de reproduction dépend de la situation. Permettez-moi de citer directement un document de Figueredo et al. (1)
Toutes choses étant égales par ailleurs, les espèces vivant dans un environnement instable (par exemple, fluctuation de la disponibilité alimentaire) et imprévisible (par exemple, forte prédation) ont tendance à évoluer en groupes de caractéristiques sélection-r associés à des taux de reproduction élevés, un faible investissement parental et relativement peu de liens intergénérationnels. En revanche, les espèces vivant dans des conditions environnementales stables et prévisibles, ont tendance à évoluer en groupes de caractéristiques sélection-K associés à de faibles taux de reproduction, un investissement parental élevé et des liens intergénérationnels forts.
Les humains, clairement, se comportent plus comme des éléphants que comme des lapins. Le nombre d’enfants auxquels une femme humaine peut donner naissance est limité, et c’est normalement une bonne stratégie pour elle de maximiser les chances de survie de moins d’enfants, plutôt que d’essayer d’en avoir le plus grand nombre possible. Donc, pendant la plus grande partie de l’histoire de l’humanité, une famille – ou une seule femme – examinait son environnement pour faire une estimation approximative des chances de leurs (ou ses) enfants pour survivre et prospérer. Dans des conditions de ressources limitées et une forte concurrence, il est logique pour les parents, afin de maximiser la santé et la forme de leurs enfants, d’en avoir un petit nombre. Cela semble être ce qui est arrivé au Japon au cours de la période Edo: face à des ressources limitées dans une île limitée, les gens ont décidé de limiter le nombre de leurs descendants, en application de la stratégie-K.
L’inverse est vrai pour des périodes de ressources abondantes et de concurrence rare. Lorsque l’économie est en croissance, les familles peuvent ainsi projeter cette croissance sur l’avenir et estimer que leurs enfants auront beaucoup de possibilités, alors il est logique d’en avoir un plus grand nombre – donc d’appliquer la stratégie-r. La croissance spectaculaire de la population au cours des un à deux derniers siècles est le résultat de la consommation croissante de combustibles fossiles. Partout, ainsi qu’au Japon, les gens ont réagi en remplissant ce qu’ils ont vu comme des chances ouvertes pour leurs enfants. Mais avec la seconde moitié du XXe siècle, la croissance économique a ralenti et les gens ont commencé à percevoir que le monde se remplissait rapidement et que l’économie n’était plus en croissance. Ils peuvent ne pas avoir perçu l’épuisement des ressources minérales, mais le résultat a semblé évident de toute façon. C’était la transition démographique, normalement liée à la richesse croissante, mais que nous pouvons aussi voir comme le résultat d’une perception de l’avenir; qui a été considéré comme moins rose qu’auparavant.
Il existe d’autres cas de populations humaines qui sont restées stables pendant certaines périodes, afin que nous puissions conclure que les humains ne se reproduisent pas – de façon certaine – comme des lapins; sauf dans certains cas liés à des conditions spéciales et rares dans l’histoire. Les humains sont des créatures intelligentes et, dans certaines limites, ils choisissent le nombre d’enfants à avoir de manière à maximiser leurs probabilités de survie. La population humaine aura tendance à se développer dans des conditions de croissance économique, mais elle doit tendre à se stabiliser dans des conditions économiques statiques. Donc, si nous avons réussi à stabiliser le système économique, en évitant les grandes guerres et la nécessité de chair à canon, la population humaine pourrait bien se stabiliser d’elle-même, sans avoir besoin d’une intervention administrée par les gouvernements (ou peut-être par le pape). Malheureusement, entre maintenant et cet avenir, il y a un petit problème appelé dépassement excessif, et une stabilisation à un niveau durable peut être tout sauf indolore. Mais si la stabilisation était possible sur l’île du Japon au cours du XIXe siècle, pourquoi ne peut-elle pas se produire dans la plus grande île que nous appelons la Terre?
Ugo Bardi
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Le coucou qui ne chante pas: durabilité et culture japonaise
Note du Saker Francophone La traduction régulière des articles d'Ugo Bardi nous amène à suivre le cheminement de sa pensée au fil des mois, pensée qui s'appuie sur une réflexion historique. Aujourd'hui il s'aventure à parler de la population mondiale, qui est un des plus grands tabous existants. Je ne voudrais pas taxer la démonstration d'Ugo de malhonnête, mais c'est quand même un peu osé d'extrapoler le cas du Japon à la terre entière. C'est un sujet difficile et que l'on peut aborder de multiples manières selon sa propre vision de l'avenir. Voici quelques remarques qui me viennent à la lecture de ce texte: Concernant les vagues de migrants que certains voient comme une chance pour peupler l'Europe en déficit démographique, n'est-il pas étrange de casser cette auto-limitation des Européens, conscients des limites économiques qui s'imposent à eux? Comment des écologistes peuvent-ils être pro-migrants comme agents de peuplement, alors que la baisse naturelle de la population pourrait redonner de l'espace à la nature pour la laisser régénérer des habitats maltraités ? La France de 1950 avec 40 millions d'habitants n'était pas moins la France que celle de 2016 avec 70 millions. Puisqu'on parle du Japon, ce pays a choisi la voie de la robotisation pour passer le cap, pas celle de l'immigration. A court terme, cela va leur poser des soucis, mais à moyen terme, ils vont retrouver un contrôle environnemental avec moins de pression démographique tout en ayant gardé une homogénéité culturelle. Ugo, qui cite le Japon, n'aborde donc pas l'aspect culturel de la reproduction. Le Japon a une culture qui lui est propre et a une conscience ancestrale et collective de ses limites géographiques, comme les îliens en général. Ce n'est pas le cas du monde et ça ne le sera pas avant longtemps. Si on prend le cas de la transition démographique, et que l'on fait un parallèle osé entre l'Europe et l'Afrique, on retrouve les mêmes cycles avec l'arrivée de l'hygiène (plus même que la vaccination). On peut donc imaginer que si l'Afrique connaissait la même transition vers le développement économique pour tous, elle suivrait le modèle européen. Mais rien n'est moins sûr, les conditions d'aujourd'hui ne sont pas celles de l'Europe des années 1920 sur le plan énergétique (arrivée du pétrole), du développement des emplois tertiaires, de l'éducation, etc ... A contrario, la révolution autour des énergies renouvelables peut être une chance de saut qualitatif mais cela dépend de percées technologiques, dont on peut douter. En parallèle, on peut aussi espérer que l'Afrique ne subisse pas les deux guerres mondiales qui ont saigné l'Europe, mais trouve sa propre voie de manière pacifique. Le passé culturel de l'Afrique en matière de démographie n'est pas non plus le même que celui de l'Europe, et il serait dangereux de faire trop de parallèles avec cette dernière, comme j'ai pu le faire juste avant. Ce qui va s'y passer sera nouveau et unique, quoi qu'il arrive. On peut même ajouter un effet pervers de la démocratie réduite aux acquêts du vote. Dans des populations issues de systèmes claniques, le vote se fait par ethnie plus que pour un programme politique, et dans les pays où il y a un équilibre précaire entre deux ethnies, l'accroissement de population est aussi un outil politique. Dans le même ordre d'idées, on a une guéguerre islam / monde chrétien ou animiste (sans parler du conflit israélo-palestinien), avec un surplus chronique d'une population sous-éduquée qui permet de générer de la chair à canon, que l'on retrouve sur tous les champs de bataille d'Afrique et du Moyen Orient, pour le plus grand bonheur de tous les marionnettistes du mondialisme. Les idées généreuses des mondialistes multiculturels (ceux d'en bas qui sont honnêtes dans leur idées universalistes) se heurtent aux dures réalités de la vie. Pour qu'une population s'autolimite naturellement, elle a besoin de confiance mutuelle et donc d'homogénéité, qui peut être ethnique ou culturelle. Le mélangisme qui est souhaitable à la marge pour un brassage génétique, ne peut pas être une politique massive et universelle, car détruire les homogénéités détruit les capacités des populations de trouver des solutions internes. Les frontières ne sont pas des murs mais des membranes. On en revient donc au même point de blocage. Pour que des populations subissant la mondialisation changent volontairement de stratégie de reproduction, il faut leur garantir une stabilité à long terme et arrêter les guerres même hybrides. Pour arrêter ces guerres, les peuples, à commencer par les Occidentaux, doivent reprendre le pouvoir. Il faut donc impérativement virer les marionnettistes et leurs hommes de paille, journalistes et politichiens. La première étape est de cesser de se taper dessus entre nous, en bas, sur des problèmes et des divisions artificielles créées dans ce but: nous diviser.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone