Par Adam Garrie − Le 29 janvier 2019 − Source eurasiafuture.com
Transparency International vient comme chaque année de publier son Registre des ressentis de corruption : il s’agit de classer les nations du monde, selon le critère du ressenti du degré de corruption pratiqué dans le secteur public de chaque pays. Il est notable que les 10 États les mieux notés, et même ceux qui les suivent dans le classement, ont tous un système politique parlementaire ; par opposition, les dix moins bons au moins ont un système présidentiel.
Selon ce registre, les pays les moins corrompus comptent :
1. Le Danemark (monarchie constitutionnelle parlementaire)
2. La Nouvelle-Zélande (monarchie constitutionnelle parlementaire)
3. ex æquo : Singapour (république parlementaire), la Finlande (république parlementaire), la Suisse (république parlementaire dotée d’éléments de démocratie directe), la Suède (monarchie constitutionnelle parlementaire)
7. La Norvège (monarchie constitutionnelle parlementaire)
8. Les Pays-Bas (monarchie constitutionnelle parlementaire)
9. ex æquo : Le Canada (monarchie constitutionnelle parlementaire), le Luxembourg (monarchie constitutionnelle parlementaire)
11. ex æquo : L’Allemagne (république fédérale parlementaire), le Royaume-Uni (monarchie constitutionnelle parlementaire).
Les pays les plus corrompus, en partant du « pire » comptent :
La Somalie (présidentiel)
Le Sud-Soudan (présidentiel)
La Syrie (présidentiel/zone de guerre)
Le Yémen (présidentiel/gouvernement contesté/guerre civile)
La République Démocratique de Corée (système Juche/autocratie communiste de facto)
Le Soudan (présidentiel)
La Guinée-Bissau (présidentiel)
La Guinée Équatoriale (présidentiel)
L’Afghanistan (présidentiel / zone de guerre)
La Libye (État déchu – régimes politiques en rivalité)
Comme sur les classements de niveaux de vie, de richesse, de bonheur, le classement des pays corrompus de l’année voit les États dotés de systèmes parlementaires rafler le haut du classement, alors que les États gouvernés selon un système présidentiel en encombrent les mauvaises places.
Voici une vidéo d’Eurasia Future, détaillant les supériorités du système parlementaire en matière de corruption et d’efficacité, pour le cas des Philippines :
Imaginez un homme qui posséderait une vieille voiture au moteur très compliqué. Vu l’âge de la voiture, elle n’est ni très rapide, ni très confortable, ni économe en carburant, mais son propriétaire est fier de pouvoir se montrer dans une voiture que la plupart des mécaniciens ne sauraient pas tenir en état. Un jour où il conduirait sa famille quelque part, la voiture tomberait en panne au milieu d’une autoroute bondée. Par miracle, l’accident dramatique est évité. Mais à partir de ce moment, l’homme décide que son antiquité est adaptée aux routes de campagnes ; pour conduire sa famille sur l’autoroute, il préfère s’équiper d’une voiture plus récente, plus fiable en matière de sécurité.
Sur le plan des systèmes politiques, les systèmes parlementaires se montrent beaucoup plus simples à comprendre et nettement plus participatifs que les systèmes présidentiels/congressionnels. Les systèmes parlementaires offrent également des garanties et des équilibrages contre le bloquage permanent, ou les bascules entre extrêmes politiques. De manière ironique, c’est souvent le haut niveau de complexité des systèmes présidentiels/congressionnels qui rend certains fiers de les subir. En d’autres termes, après avoir pris le temps d’apprendre les tenants et aboutissants artificiellement complexes de n’importe quel système présidentiel/congressionnel, ces gens ne veulent pas abandonner leur système, et le remplacer par quelque chose de plus immédiat et simple à comprendre, comme un système parlementaire.
Mais, à l’instar de notre vieille voiture, les problèmes intrinsèques aux systèmes présidentiels/congressionnels vont venir mettre en danger la stabilité économique et dans le cas du Venezuela (comme nombre de pays latino-américains), jusqu’à la sécurité du pays lui-même. Au Venezuela, deux chambres législatives rivales, l’Assemblée nationale constituante et l’Assemblée nationale se partagent le pouvoir, aucun consensus national n’étant établi quant à savoir laquelle des deux surpasserait l’autre. La création même de l’Assemblée nationale constituante a été le fruit de tentatives du chef de l’État, le président Maduro, de faire sortir le pays d’un blocage politique. Mais au lieu de débloquer la situation, la création de l’Assemblée nationale constituante pro-Maduro a surtout encouragé l’Assemblée nationale à s’auto-déclarer chambre suprême, allant jusqu’à voir le dirigeant de cette assemblée se déclarer président du Venezuela. Plusieurs jours après cette déclaration, Guaidó s’est auto-investi président du Venezuela. On connaît le résultat : certains pays le reconnaissent comme président, et d’autres – ainsi que les Nations-Unies – continuent de reconnaître l’autorité du président Nicolas Maduro.
Le fait est qu’un tel phénomène ne pourrait pas se dérouler dans un système parlementaire. Dans un tel système, le gouvernement politique et son opposition sont déterminés par des règles mathématiques simples. Le parti qui a remporté une majorité de sièges dans une élection parlementaire est amené à former le gouvernement, et le dirigeant du parti gagnant devient le chef du gouvernement, le plus souvent sous le titre de premier ministre. Et loin de laisser l’opposition les mains vides, ou de la reléguer au loin dans une seconde chambre législative, le deuxième parti en nombre de voix constitue l’opposition officielle, et le dirigeant de l’opposition se tient face au premier ministre lors des débats chaque semaine, qui voient les deux hommes se défier en temps réel.
Bien sûr, il arrive qu’un parti ne remporte pas à lui tout seul suffisamment de sièges pour constituer un gouvernement. C’est ce qui amène aux gouvernements de coalition. Après une série de réunions, des compromis sont trouvés, et deux partis ou plus s’accordent pour constituer un gouvernement conjoint (de coalition) sur la base d’un consensus. C’est pour cette raison qu’on trouve des parti centristes bien plus fréquemment dans les systèmes parlementaires que dans les systèmes présidentiels. Dans un système où le premier rafle tout, tel le Venezuela sous système présidentiel, une faction ou une autre s’installe, qu’importe la proportion des voix – c’est l’inverse dans les systèmes parlementaires. Ainsi, au Venezuela comme dans la quasi totalité des États latino-américains, si l’extrême-droite remporte l’élection présidentielle par un petit 52% des voix, le pays tout entier part à l’extrême droite. En contraste, si l’extrême gauche remporte une élection avec 51% des voix, le pays part à l’extrême gauche. Mais dans un système parlementaire, si un parti remporte 51% des voix, il est probable qu’il devra gouverner depuis le centre, pour conserver sa majorité très juste. En outre, dans les systèmes parlementaires comportant plus de deux grands partis, des partis centristes ont tendance à souvent se former, afin de tenir en respect la droite et la gauche traditionnelles, ce qui garantit une forme d’équilibre politique quasiment impossible à atteindre dans un système présidentiel.
C’est pour cela que les systèmes parlementaires d’Asie, comme Singapour, la Malaisie, l’Inde et le Pakistan ont tendance à définir leur politique de manière nettement plus nuancée que les termes classiques de gauche et de droite, alors que dans les systèmes présidentiels en vigueur en Amérique latine, le vieux paradigme gauche-contre-droite reste largement d’actualité. On l’a constaté l’an dernier dans les élections présidentielles brésiliennes (remportées par l’extrême droite) et mexicaines (remportées par l’extrême gauche), et la bataille entre les deux « présidents » au Venezuela l’illustre également.
Les interférences étrangères observées au Venezuela ne peuvent pas pour autant être exclues dans un système parlementaire. Mais cela dit, la stabilité dérivant du consensus, la capacité à convoquer rapidement une élection surprise légale dans une période de blocage temporaire, et la tendance des systèmes parlementaires à favoriser les modérés et les centristes sur les extrémistes incitent à penser qu’une société dotée d’un système parlementaire est plus stable politiquement et plus adaptable face aux changements politiques nationaux et mondiaux. Les systèmes parlementaires ont tendance à favoriser le consensus social, l’harmonie et l’unité, alors que les systèmes présidentiels, comme l’atteste l’Amérique latine, présentent un passif de coups d’État militaires et d’ingérences étrangères en réponse aux blocages politiques. Dans un système parlementaire, il suffit d’une élection surprise pour mettre fin à un blocage politique entre le parti du premier ministre (le parti qui gouverne) et l’opposition qui essaye de constituer un nouveau gouvernement. Dans les systèmes présidentiels où ce type de manœuvre est légalement impossible, les périodes de crises restent incertaines et il est bien difficile de prédire quelle mesure extrême sera prise pour préparer un changement politique. Au Venezuela comme dans nombre d’États latino-américains, il semble que c’est un coup d’État, plutôt qu’un processus légal, qui va déterminer l’avenir du pays.
Bien entendu, les USA ne subissent pas les mêmes coups d’États que ceux que l’on observe dans les systèmes présidentiels latino-américains et africains, mais c’est parce qu’à l’âge moderne du suffrage universel, les deux principaux partis étasuniens ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. L’économie forte des USA a contribué à créer un sorte de centrisme, que les pays en développement ne peuvent connaître que par un régime parlementaire. Mais voyez l’actualité : au moment où Donald Trump a relancé l’opposition droite-gauche en réorientant les Républicains vers la droite, et où Bernie Sanders et ses soutiens réalisent l’opération symétrique à gauche, on voit le résultat : les USA connaissent le plus long « shut down » gouvernemental de toute leur histoire.
Dans un système parlementaire, les USA auraient déjà pu convoquer un nouvelle élection pour débloquer la situation, mais malheureusement, les USA restent au milieu d’une sorte de crise politique exacerbée par le système présidentiel, tandis que le Venezuela subit une version bien plus extrême encore de la même crise – mais les deux crises résultent des failles des systèmes présidentiels.
Adam Garrie
Note du Saker Francophone Voilà un classement vraiment édifiant. On peut quand même penser que l'auteur laisse de côté divers critères culturels ou civilisationnels qui pourraient faire qu'un pays est plus ou moins adapté à l'un ou l'autre des systèmes. En pleine crise des Gilets Jaunes, il omet soigneusement de parler de la France, pourtant système présidentiel par excellence. À tout bien considérer, cela ne servirait peut-être pas vraiment sa cause : Macron n'est-il pas l'extrême centre tant prisé du système parlementaire ?
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone