Interview sans fards de Lavrov avec Radio Komsomolskaïa Pravda


Moscou, le 17 décembre 2018 – Source thesaker.is

2015-09-15_13h17_31-150x112Question : Monsieur Lavrov, nous vous avons rencontré dans le même format il y a un an et demi.

Nous avons commencé par déclarer que la situation en matière de politique étrangère autour de la Russie devenait de plus en plus alarmante. Mais vous nous avez assurés qu’il n’y aurait pas de guerre parce que les dirigeants russes étaient absolument contre. « Nos partenaires », comme vous dites, ne s’y intéressaient certainement pas non plus. Maintenant, un an et demi plus tard, nous ne constatons aucune amélioration. Au contraire, les choses deviennent de plus en plus dangereuses. Certains de nos auditeurs ont même peur. D’autres comparent la situation actuelle à la fin des années 1930. Un des lecteurs a même demandé : « S’il vous plaît, soyez honnête et dites à quoi nous devrions nous attendre ? Serons-nous attaqués ? ».

Sergueï Lavrov : Il y a des comparaisons qui remontent plus loin dans l’histoire. Tant dans ce pays qu’ailleurs, des chiffres prédisent qu’une situation semblable à celle de la première guerre mondiale se présentera. Ils font référence aux antagonismes refoulés existant en Europe, y compris d’ailleurs dans les Balkans. Mais je suis fermement convaincu que les politiciens des principaux pays ne peuvent permettre qu’une grande guerre se produise. L’opinion publique et les nations elles-mêmes ne les laisseront pas faire. J’espère que les parlements de tous les pays occidentaux assumeront également une responsabilité maximale.

Mais je suis tout à fait d’accord pour dire que les tensions sont fomentées de manière sans précédent. Nous voyons les accords internationaux s’effondrer. Il n’y a pas si longtemps, les États-Unis ont unilatéralement bouleversé le Traité ABM. Nous avons dû adopter des mesures qui empêcheraient cet événement extrêmement négatif de miner la stabilité stratégique. Vient ensuite le traité INF, que Washington considère comme dépassé, tout en nous accusant de le violer. Ce faisant, elle suggère sans ambiguïté qu’elle aimerait étendre une restriction identique à celle adoptée par l’URSS et les États-Unis, à la Chine et à un certain nombre d’autres pays, notamment la Corée du Nord et l’Iran.

Nous sommes catégoriquement contre cette initiative. Nous sommes en faveur du maintien du traité INF. La communauté internationale toute entière a reconnu à plusieurs reprises que c’était la pierre angulaire de la sécurité internationale et de la stabilité stratégique. Aujourd’hui, à l’ONU, nous tenterons une deuxième fois de soumettre une résolution à l’Assemblée générale en faveur de la préservation de ce traité. [Résolution à nouveau refusée, NdT]

En dehors de cela, nous avons fait part aux États-Unis de nos préoccupations concernant la manière dont ils mettent en œuvre ce traité. Ces préoccupations reposent sur des faits concrets et des développements dans le domaine technique militaire, notamment le déploiement d’une base militaire américaine en Roumanie et les plans de déploiement pour la Pologne. Nous entendons des déclarations de nos collègues américains selon lesquelles le seul moyen de sauver le Traité est de détruire le missile 9M729, que la Russie aurait développé avec une portée dépassant la limite imposée par le Traité. En réponse, le ministre de la Défense, Sergey Shoigu, après des démarches similaires au niveau des experts, a officiellement suggéré à M. James Mattis, secrétaire américain à la Défense, de le rencontrer et d’engager une discussion professionnelle. Les États-Unis n’ont même pas répondu ou du moins formellement accusé réception de l’invitation. Si cela avait été fait, ils auraient peut-être dû expliquer pourquoi ils évitaient une discussion professionnelle et continuaient à agir dans le style fameux du « hautement probable », comme s’ils voulaient dire que ce qui nous reste à faire est de nous repentir parce que nous sommes prétendument à blâmer pour tout.

Pendant que nous sommes sur ce sujet, je voudrais dire ceci. Je ne doute pas que le président des États-Unis, Donald Trump, était sincère lorsqu’il a déclaré durant sa campagne électorale qu’il souhaitait de bonnes relations avec la Fédération de Russie. Malheureusement, les conséquences de la victoire de Trump sur Hillary Clinton ont provoqué un tsunami dans la vie politique américaine, principalement parce que les soi-disant élites du système se sont senties mal à l’aise. Elles considéraient que les développements actuels mettaient le pouvoir à la portée des électeurs ordinaires. Depuis lors, personne n’a jamais corroboré avec des faits les accusations répétées d’ingérence de la Russie dans les élections américaines, d’attaques de pirates informatiques contre le parti démocrate et d’autres agences américaines, etc.

Permettez-moi de noter que cette russophobie, comme nous en sommes convaincus, est dans une mesure décisive liée aux conflits internes politiques [aux États-Unis]. Les États-Unis, peu importe qui préconise de bonnes relations avec la Russie, nous voient comme un rival à l’instar de la Chine. Ce n’est pas par hasard que, faute de faits prouvant nos « péchés » contre la démocratie américaine, la campagne russophobe n’a donné aucun résultat.

Ces derniers jours, les propagandistes américains s’en sont pris à la Chine. Selon eux, la Chine est déjà le « pirate informatique en chef » minant le pilier de la société américaine. Il est regrettable que les intérêts de la communauté internationale, la stabilité stratégique mondiale et la sécurité internationale soient sacrifiés au profit de querelles politiques internes. Mais nous serons toujours prêts pour le dialogue. Même dans ces circonstances, nous ne refuserons jamais de prendre part à une discussion professionnelle dans des domaines où nos partenaires sont prêts à examiner les menaces et les problèmes existants de manière équitable et honnête.

Après une longue pause, une nouvelle série de pourparlers [avec les US] sur la lutte contre le terrorisme a eu lieu. Nos services de sécurité sont en contact sur un certain nombre d’autres questions, notamment le règlement syrien, le problème nucléaire nord-coréen et l’Afghanistan. Nous entretenons suffisamment de contacts, même si nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde.

Question : Ils écrivent, « avec de tels amis, qui a besoin d’ennemis ? »

Sergueï Lavrov : Nous avons ce proverbe en russe.

Question : Lorsque nous avons mentionné la tension croissante dans le monde, nous pensions à l’Ukraine. L’incident du détroit de Kertch va trop loin. Nous avions aussi en tête le Donbass, où presque tous les jours ils s’attendent à une attaque. Pourquoi sommes nous mal jugés par la communauté mondiale sur les affaires ukrainiennes ?

L’Ukraine a adopté une position idéologique claire : la Russie nous confronte, alors nous combattons la Russie, nous défendons, etc. Nous – la Russie – sommes déclarés l’ennemi. Bientôt notre église, nos prêtres pourraient devenir de grands martyrs, car nous ne savons pas ce qui leur arrivera. Certains sont emprisonnés et des poursuites pénales sont engagées contre eux. Ensuite, il pourrait y avoir une guerre de religion, nous sommes déjà allés aussi loin. Dans cette situation tellement aggravée, nous maintenons toujours une position calme et détendue, alors que l’Ukraine nous a ouvertement déclarés ennemis et a introduit la loi martiale. Pourquoi ne déclarons-nous pas que l’Ukraine vit sous un régime nazi ? Nous avons de nombreuses preuves : la nouvelle loi sur les nationalistes ukrainiens (OUN) et l’armée des insurgés ukrainiens reconnaissant la racaille hitlérienne comme des héros. Cela a déjà été prouvé. Pourquoi ne déclarons-nous pas explicitement que les nazis sont des chiens enragés auxquels on ne parle pas, mais que l’on extermine ? Cela nous donnerait un atout moral auprès de la communauté mondiale. Ce ne serait pas un conflit avec l’Ukraine, qui nous a déclarés ennemis et a déjà déclaré la loi martiale, mais un combat contre le régime nazi. Le peuple ukrainien n’est pas notre ennemi. L’ennemi est le régime nazi. Pourquoi ne pas le déclarer directement ?

Nous mettons nos diplomates qui y restent en danger (nos lecteurs en parlent). Pourquoi ne pas fermer l’ambassade de ce pays ?

Beaucoup de gens nous demandent quand la Russie reconnaîtra les républiques de Donetsk et de Lougansk.

Sergueï Lavrov : Nous ne sommes pas en guerre contre le régime ukrainien, qui présente toutes les caractéristiques des nazis et des néonazis. Les citoyens ukrainiens russophones vivant dans le Donbass le combattent.

Question : Alors peut-être devrions-nous rompre les relations avec eux ? Comment pouvons-nous avoir une relation avec le régime nazi ?

Sergueï Lavrov : Nous avons des relations avec l’État ukrainien. L’État ukrainien est pour nous beaucoup plus important que le régime qui est arrivé au pouvoir grâce à la trahison de l’Occident contre toutes les normes du droit et du comportement international.

Le peuple ukrainien n’a rien à voir avec cela. Je suis convaincu que l’écrasante majorité souhaite la paix dans le pays, veut se débarrasser de ce régime honteux et rétablir des relations normales avec la Fédération de Russie. Pour cela, les problèmes internes de l’Ukraine devront bien sûr être résolus. Ils sont beaucoup plus larges et beaucoup plus profonds que les RPD et les LPR [les républiques du Donbass]. Pour rappel, tout cela est arrivé parce que l’Occident a entretenu une connivence criminelle, devrais-je dire. En février 2014, l’Union européenne, par l’intermédiaire des ministres des Affaires étrangères allemand, polonais et français, avait garanti un accord entre Viktor Ianoukovitch et l’opposition. Le lendemain matin, l’opposition a détruit cet accord. Ni la France, ni l’Allemagne, ni la Pologne, ni les États-Unis, qui n’ont pas signé le document mais l’ont activement soutenu, n’ont levé le petit doigt. Ils ne se sont même pas excusés auprès de ceux qui avaient espéré que l’accord déboucherait sur un règlement pacifique.

Trois jours plus tard, Dmitry Yarosh, qui dirigeait toutes les opérations militaires sur le Maïdan, déclara publiquement (c’était sa déclaration officielle, elle est toujours disponible) que « les Russes ne devraient pas être en Crimée, car ils ne glorifieront jamais Stepan Bandera ni Roman Shukhevych et ne penseront jamais en ukrainien ». « Par conséquent », a-t-il déclaré, « les Russes de Crimée doivent être détruits ou expulsés ». Après cela, des troubles ont éclaté parmi le peuple de Crimée. Lorsque Yarosh a par la suite tenté d’organiser une attaque contre le Conseil suprême, cela a provoqué une protestation, qui a conduit à un référendum et finalement à la décision de retourner la Crimée dans la Fédération de Russie.

Nous sommes maintenant obligés de respecter les accords de Minsk.

Question : Ils se sont effondrés il y a longtemps. Vous en avez parlé il y a 18 mois. Personne ne s’en souvient maintenant, à l’exception du Donbass.

Si vous venez au village de Zaitsevo, où chaque foyer a enterré quelqu’un, et si vous parlez des accords de Minsk, je ne sais pas ce qu’ils vont vous faire. Ils les respectent et le fait qu’ils soient tués quotidiennement – est-ce que c’est aussi l’accord de Minsk ?

Sergueï Lavrov : Je crois qu’il n’y a pas d’alternative aux accords de Minsk, et je l’avais déjà dit en 2016. La Charte des Nations Unies a également été violée à plusieurs reprises et a également mal fonctionné à plusieurs reprises. Mais il ne faut pas céder à la panique. Proposez-vous que nous reconnaissions les républiques des peuples de Donetsk et de Lougansk ?

Question : Bien sûr.

Sergueï Lavrov : Et ensuite quoi ?

Question : Après cela, nous défendrions notre territoire reconnu par nous et nous aiderions nos peuples frères.

Sergueï Lavrov : Voulez-vous perdre le reste de l’Ukraine ? Voulez-vous le laisser à la merci des nazis ?

Question : À mon avis, nous devrions faire la guerre au régime nazi parce qu’il a déclaré la loi martiale contre nous, ils nous ont appelé ennemis et ont attaqué nos navires.

Sergueï Lavrov : Nous n’entrerons pas en guerre contre l’Ukraine, je peux vous le promettre.

Question : Que faut-il faire à propos de l’Église ?

Sergueï Lavrov : Vous proposez de reconnaître l’indépendance des républiques de Donetsk et de Lougansk et de déclarer la guerre (je ne sais pas comment vous imaginez que la Russie attaquerait l’Ukraine). Cela équivaudrait à une dépression nerveuse et manifesterait une faiblesse. Si nous voulons préserver l’Ukraine en tant que pays normal, adéquat et neutre, nous devons veiller à ce que les personnes vivant en Ukraine aient une vie confortable. Je ne suis pas d’accord avec votre position si vous souhaitez que le reste de l’Ukraine célèbre la création de l’Organisation des nationalistes ukrainiens et de l’armée des insurgés ukrainiens, ainsi que les anniversaires de Roman Shukhevych et de Stepan Bandera, plutôt que le 9 mai. Les accords de Minsk formalisent le principe de décentralisation de l’Ukraine et l’utilisation de la langue russe là où les russophones veulent la parler. Aujourd’hui, ce régime s’emploie à détruire sa propre constitution, qui garantit les droits de la langue russe ainsi que ses obligations internationales. mais cela ne signifie pas que nous devons abandonner à leur propre sort tous les Ukrainiens gouvernés par ce régime.

Question : Pourquoi ne le reconnaissons-nous pas officiellement comme un régime nazi et pourquoi ne disons-nous pas que nous n’aurons aucun rapport avec lui parce qu’il est impossible de traiter avec Hitler ?

Sergueï Lavrov : C’est une position séduisante. Quelque part dans le village de Zaitsevo, les gens se réjouiront probablement pendant une semaine si nous rompons maintenant toutes les relations avec ce régime. Et que va-t-il se passer ensuite ? Après cela, vous devrez expliquer pourquoi l’humanité progressive et civilisée a perdu l’Ukraine.

Nous voulons la garder [humaine]. En vertu du droit international, nous avons aujourd’hui le droit d’exiger cela de l’Ukraine et, plus important encore, de l’Occident, qui contrôle désormais l’Ukraine.

Question : Que pensez-vous du travail de l’OSCE dans cette région ? Ses représentants viennent ici alors qu’ils travaillent contre nous, espionnent les défenseurs du Donbass et communiquent leurs informations à Kiev. Après que l’OSCE a visité une ville ou un village, ils sont soumis à des frappes. C’est un fait connu. L’OSCE n’est jamais de notre côté.

Sergueï Lavrov : Tout d’abord, il n’est pas vrai que l’OSCE dirige les obus vers leurs cibles. La Mission spéciale de surveillance de l’OSCE (MMS) est en effet sous une très forte pression – principalement de la part d’Ukrainiens pro-occidentaux – mais la mission est également sensible à notre influence et avance progressivement dans la bonne direction, bien qu’il faille un certain temps avant qu’elle ne bouge. Je vais vous donner un exemple. Nous demandons au MMS de ne plus écrire dans ses rapports : « Cette semaine, de nombreuses frappes ont eu lieu, de nombreuses installations civiles ont été détruites, il y a eu tant de victimes civiles », mais précisons de quel côté de la ligne de contact [les obus ont été tirés], quelles victimes et quel type de destruction. Il y a un an, avec beaucoup de difficulté, nous avons réussi à obliger l’OSCE à rédiger son premier rapport sur cette question, dans lequel il était indiqué que la partie orientale de la ligne de contact – où les forces d’autodéfense vivent et se défendent – représente l’écrasante majorité des victimes civiles et des destructions dans le secteur civil.

L’Ukraine s’est efforcée d’arrêter ce rapport, d’empêcher sa publication. Mais ça a échoué. L’OSCE a finalement fait ce qu’elle était supposée faire et les statistiques requises sont devenues publiques.

Nous avons une autre préoccupation concernant nos partenaires occidentaux (qui, je crois, se sont discrédités dans cette histoire ukrainienne, en commençant par février 2014, lorsqu’ils n’ont pas réussi à contraindre l’opposition à respecter l’accord conclu avec le gouvernement). Ceci, en fait, a à voir avec les médias. Vous, par exemple, vous allez dans le Donbass. Vos équipes de télévision travaillent sur la ligne de contact 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour montrer la ligne de front du point de vue des forces d’autodéfense. Lorsque nos partenaires occidentaux prétendent que les forces d’autodéfense sont à l’origine de tous les affrontements et de toutes les attaques, qu’elles les provoquent, nous leur montrons le travail de nos journalistes, toujours disponible sur les ondes et diffusé à maintes reprises. Nous leur demandons : s’ils sont tellement certains que le gouvernement ukrainien agit correctement et s’ils veulent montrer la vérité aux audiences internationales, pourquoi n’y a-t-il pas de journalistes occidentaux travaillant du côté ouest de la ligne de contact aux mêmes heures que nos journalistes ? Il y a eu quelques cas où, je pense, des reporters de la BBC se sont rendus là-bas pendant quelques jours et ont d’ailleurs filmé un reportage plutôt objectif – c’est peut-être pour cette raison que cette pratique a été arrêtée.

Ils ne doivent pas s’attendre à ce que nous rompions les relations avec l’Ukraine et que nous nous retirions des accords de Minsk. Tout comme après le coup d’État du 21 février 2014, ils se laveront les mains et se diront : « Ainsi c’est mort », ce qui signifie qu’ils ne sont plus liés par rien. Ce serait une grave erreur.

Question : Si le président ukrainien, Petr Porochenko, envoie maintenant des troupes dans le Donbass ou des navires de guerre pour forcer le détroit de Kertch, que ferons-nous ?

Sergueï Lavrov : Je suis sûr qu’il y aura des provocations. Avant-hier, nous avons entendu Petr Porochenko prendre la parole lors d’une exposition intitulée Conseil de l’unification de l’Église orthodoxe ukrainienne. En réalité, il n’a jamais adhéré au langage diplomatique auparavant, mais cette fois-ci, il a franchi toutes les limites imaginables et inimaginables. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle impolitesse de la part d’un leader qui se considère comme un politicien. Il sembla perdre le contrôle plusieurs fois. Apparemment, il lui arrive quelque chose. Mais ce n’est pas mon problème.

Commentant la loi martiale qu’il a voulu introduire pendant 60 jours, puis 30 jours, d’abord dans tout le pays, puis seulement dans les régions russophones, où il a une cote de popularité très faible – elle est assez basse partout, mais là c’est pire, il ne bénéficie même pas du minimum de compréhension – Porochenko a déclaré qu’il ne prolongerait pas la loi martiale s’il n’y avait pas de provocations armées le long de la ligne de contact dans le Donbass ou, comme il l’a dit, « à la frontière administrative » avec la Crimée.

La loi martiale de 30 jours expirera le 25 décembre. Nous avons des informations de la part de la porte-parole officielle du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, qui a plusieurs fois mentionné que l’Ukraine a concentré environ 12 000 soldats et de nombreux équipements sur la ligne de contact. Américains, britanniques et, apparemment, d’autres instructeurs les aident activement. Un drone américain patrouille régulièrement dans la région. Nous avons rapporté cela. Selon des informations supplémentaires que nous avons tendance à croire, au cours des dix derniers jours de décembre, le Président Porochenko envisage une provocation armée à la frontière avec la Fédération de Russie en Crimée.

Il aura une réponse. Il ne trouvera pas ça drôle, je peux vous l’assurer.

C’est notre pays, notre frontière, et nous ne lui permettrons pas de tenter en aucune façon de défendre « ses intérêts » tels qu’il les voit et de violer les droits que les Criméens ont défendus en pleine conformité avec le droit international. De plus, selon nos informations, il discute de cette provocation à la frontière de la Crimée avec ses curateurs et ses « syndics de faillite » occidentaux.

Selon nos données, qui semblent crédibles, il lui est conseillé de maintenir des hostilités de faible intensité afin de soutenir le tollé actuel dans la sphère de la propagande à propos des « attaques russes contre l’Ukraine » et des « sanctions russes », mais les opérations militaires ne doivent en aucun cas être autorisées à atteindre un seuil permettant de provoquer une réponse complète. Des petites provocations sournoises et mesquines. Nos services concernés prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir de tels excès.

Question : J’aimerais parler des relations russo-américaines à nouveau. M. Porochenko se comporte de façon grossière, mais je pense qu’il imite le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui a fait des commentaires inacceptables au sujet du gouvernement russe après l’arrivée de nos bombardiers au Venezuela, nous expliquant comment nous devrions dépenser nos fonds publics.

Quant au président Donald Trump, il ne semble pas avoir toute sa tête. Vous avez dit qu’il était vraiment disposé à rencontrer le président Vladimir Poutine. Lors de son embarquement dans l’avion pour le sommet du G20, il s’est dit impatient de rencontrer le président Poutine. Mais quand il a débarqué en Argentine quelques heures plus tard, il a déclaré qu’il avait annulé la réunion. Il a fait volte face, comme dit le proverbe. Peut-être qu’ils ne veulent vraiment pas mener un dialogue constructif avec nous ?

Sergueï Lavrov : Ce sont des gens extrêmement pragmatiques. Ils veulent parler lorsque cela peut leur être bénéfique, en particulier maintenant que la mentalité business s’impose dans la politique étrangère américaine.

Il s’agit d’une position à très courte vue, car elle peut vous aider à obtenir quelque chose aujourd’hui, mais elle sape vos positions à long terme et portent atteinte à vos intérêts stratégiques. Les Américains vivent par cycles de deux ans. Tous les deux ans, ils doivent montrer à tous qu’ils sont des durs à cuire, qu’ils peuvent faire ce que les autres ne peuvent pas, et que tous les autres sont des mauviettes.

Regardez les sanctions unilatérales qui ont été imposées non seulement à la Russie ou à la Chine, mais également à certains alliés des États-Unis. Ils continuent de menacer de sanctions, et en imposent de nouvelles simplement pour avoir enfreint une loi américaine interdisant le commerce avec l’Iran. Il n’existe pas de telles lois en France et en Allemagne. Mais lorsque les entreprises de ces pays exercent des activités parfaitement légales du point de vue de leur propre législation ou du droit international, elles sont obligées de payer des milliards de dollars pour pouvoir travailler aux États-Unis. C’est du racket.

Il existe également des sanctions qui concernent les règlements en dollars américains. Avant les prochaines élections, ces sanctions pourraient profiter aux entreprises américaines, affaiblir leurs rivaux et augmenter l’emploi aux États-Unis, mais à long terme, elles mineront la confiance dans le dollar. Cela nuira aux intérêts fondamentaux des États-Unis, car de nombreux pays envisagent de réduire leur dépendance à l’égard du dollar.

Question : Les Américains voient-ils ce danger ?

Sergueï Lavrov : Les analystes le voient probablement. Mais les politiciens pensent à court terme, ils veulent remporter les élections et ne se soucient pas de ce qui se passera après.

Quant à M. Pompeo, cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas rencontrés. Je pense qu’il n’est plus impliqué dans la politique américaine vis-à-vis de la Russie. Mais nous comprenons tous les deux que nous devons nous rencontrer et parler.

À ce jour, la politique étrangère des États-Unis a été clairement déléguée à John Bolton. Il est venu plusieurs fois en Russie. Il a rencontré le président Poutine et son homologue, le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev. J’ai eu de longues discussions avec M. Bolton. Il y a une sorte de dialogue.

Nous ne nous sommes pas rencontrés depuis longtemps au niveau du ministère des Affaires étrangères russe et du département d’État américain. La dernière fois, c’était à New York, en septembre, lorsque les ministres des Affaires étrangères des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies ont tenu une réunion traditionnelle. Mais ce n’était pas une réunion bilatérale. Nos sous-ministres et nos directeurs de département tiennent des réunions, bien que les Américains fassent souvent faux bond et les annulent sans préavis. Mais comme je l’ai dit, nous ne gardons pas de rancune.

Question : Pourquoi ?

Sergueï Lavrov : Parce que la rancune est un fardeau lourd à porter.

Question : Eh bien, une rancune est, en effet, un lourd fardeau à porter. Par exemple, que fait la Russie au Conseil de l’Europe, où elle n’a pas le droit de vote ? Pourquoi un État aussi souverain que la Russie se soumet-il aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg ? Pourquoi ne nous retirons-nous pas complètement de telles organisations, dans lesquelles nous ne jouons aucun rôle ? Nous pouvons utiliser cet argent pour construire des écoles. Que faisons-nous là ? Et combien payons-nous à la Cour européenne des droits de l’homme ?

Sergueï Lavrov : Nous ne payons rien à la Cour européenne des droits de l’homme. Nous payons pour ses décisions. Savez-vous quel est le pourcentage de nos paiements, suite aux décisions de la CEDH, par rapport à ce que nous payons à nos concitoyens pour des décisions de tribunaux russes contre le Trésor russe qui viole et séquestre les paiements ?

Question : Dans ce cas, nous devons revenir à nos propres problèmes. Pourquoi faisons-nous appel à des étrangers pour obtenir de l’aide ?

Sergueï Lavrov : Comme vous le savez probablement, nous sommes actuellement face à une situation dont nous discutons activement : l’avenir de l’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe est en question. Il ne fait aucun doute que notre décision de rejoindre cette organisation était sincère et répondait aux intérêts du pays. Vous devriez en discuter avec les juges, les représentants des cours suprêmes et constitutionnelles et du ministère de la Justice. Une vaste série de lois facilitant le quotidien des citoyens russes et protégeant leur vie et leurs droits a été adoptée au cours de notre coopération avec le Conseil de l’Europe et à la suite de notre perception des pratiques pouvant être appliquées à la législation russe. Les citoyens russes sont contraints de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme après qu’un tribunal russe a décidé que l’État devait les payer. Si l’État n’a pas payé un citoyen conformément à la décision d’un tribunal russe, pensez-vous qu’il ne mérite donc pas ce paiement ?

Question : Bien sûr, il le mérite. Mais au lieu de porter l’affaire devant un tribunal étranger, nous devons régler le problème chez nous. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Sergueï Lavrov : Dans certains cas, nous n’avons pas pu corriger la situation sans la CEDH. Je vais vous en dire plus : la Russie n’est désormais plus, et de loin, le principal requérant de la Cour européenne des droits de l’homme.

Nous effectuons une écrasante majorité des paiements en vertu des décisions des tribunaux russes. S’il vous plaît gardez cela à l’esprit.

Question : Allons-nous quitter le Conseil de l’Europe ?

Sergueï Lavrov : Pour montrer que nous ne nous en soucions pas ?

Question : S’ils ne nous prennent pas au sérieux, oui, nous devrions leur montrer que nous ne nous en soucions pas.

Sergueï Lavrov : Non, nous ne devrions pas faire cela. Au lieu de cela, nous devrions avoir un sens de la dignité.

Parlant du Conseil de l’Europe, nous n’avons seulement pas le droit de voter à l’Assemblée parlementaire, ce qui serait sans importance si elle n’avait pas pour fonction d’élire les juges, le Commissaire aux droits de l’homme et le Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Personne ne nous a privés de droits au sein du Conseil des Ministres de l’Europe, qui est un organe de réglementation plutôt que consultatif.

Aujourd’hui, nous essayons de convaincre le Conseil de l’Europe que cette situation ne peut pas durer indéfiniment et que, en vertu du Statut du Conseil de l’Europe, tous les pays membres ont des droits égaux dans toutes leurs instances. Les conclusions juridiques du Secrétaire général en exercice indiquent que la décision du PACE va à l’encontre du statut du Conseil de l’Europe et devrait donc être modifiée.

Nous avons répété à plusieurs reprises à nos collègues qu’il ne pouvait y avoir ici de décision mi-chèvre, mi-chou. Ils ont tenté de dissiper nos inquiétudes en proposant de rétablir notre droit d’élire des fonctionnaires, notamment les juges, le Secrétaire général et le Commissaire aux droits de l’homme, tout en supprimant les autres droits. Nous avons catégoriquement rejeté cette offre.

Le moment de vérité arrivera en juin, lorsque le nouveau Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sera élu. Si nous ne participons pas à ces élections, cela signifiera que le Conseil de l’Europe perd de son importance pour nous en tant qu’organisation qui ne respecte pas le principe d’égalité.

Question : Vous avez parlé de dignité. À mon avis, notre dignité est bafouée dans diverses situations.

La Pologne a détruit de nombreux monuments aux soldats soviétiques. En fait, 600 000 de nos garçons ont été tués là-bas. Pourquoi la Russie ne donne-t-elle pas une réponse appropriée conforme aux traditions diplomatiques ?

Vous voulez détruire nos monuments ? Dans ce cas, nous enverrons des bulldozers à Katyn et nous démolirons les vôtres.

Sergueï Lavrov : Êtes-vous sérieux ?

Question : Absolument. Pourquoi peuvent-ils détruire nos monuments ?

Sergueï Lavrov : J’aimerais que vous ne soyez pas sérieux. J’espérais que c’était une blague.

Question : Malheureusement, mon collègue exprime une opinion identique à celle exprimée par nos auditeurs. Que pouvez-vous dire sur ce sujet ?

Sergueï Lavrov : Je pense que cette position n’a rien à voir avec le christianisme orthodoxe ou le christianisme en général.

Question : Agissent-ils comme des chrétiens ?

Sergueï Lavrov : Bien sûr que non.

Question : Alors, où est notre réponse diplomatique symétrique ? Vous faites quelque chose de mauvais contre nous et nous ne vous rendons pas la pareille. Où est notre dignité ?

Sergueï Lavrov : Notre dignité nous dit que nous devons être au-dessus de tout cela et que nous ne devons jamais descendre au niveau de ces néo-nazis.

Question : Nous sommes toujours au-dessus de ça. Nous étions également au-dessus dans l’affaire Skripal.

Mais qu’en est-il des Skripals ? Où est notre consul ? Où est Yulia Skripal ? Les avocats locaux me demandent pourquoi nos consuls ne poursuivent pas en justice pour voir Yulia Skripal – morte ou vivante. Après tout, elle est citoyenne russe. L’Occident ne fonctionne que par les tribunaux. L’État devrait poursuivre en justice et exiger l’accès à Yulia Skripal. Toutes les conventions sont de notre côté. Pourquoi sommes-nous si mous ?

Pourquoi ne poursuivons-nous pas en justice alors que la première ministre britannique Theresa May accuse notre président d’avoir commis un meurtre ? Nous pourrions engager des avocats suisses et poursuivre en justice. Se pourrait-il qu’il y ait des choses que nous ne savons pas et qu’une action de ce type est en cours ?

Sergueï Lavrov : Si vous suiviez les rapports de notre ministère, y compris les informations fournies par la porte-parole du ministère lors de ses séances d’information, vous auriez une image quelque peu différente de ce qui se passe.

Nous avons agi en totale conformité avec le droit international, car le droit anglais n’est d’aucune aide en l’espèce. Il y a la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui oblige le gouvernement britannique à nous accorder l’accès à un citoyen russe. Sergey Skripal est un cas discutable parce qu’il a la double nationalité, mais Yulia Skripal n’est qu’une citoyenne russe.

Question : Mais on peut s’adresser à une cour britannique, n’est-ce pas ? Les avocats du Royaume-Uni m’ont expliqué cela. Et les avocats suisses ont également déclaré que nous pouvions demander au tribunal britannique que la citoyenne russe nous soit livrée ou au moins organiser sa rencontre avec un consul de Russie.

Sergueï Lavrov : Aucun tribunal ne nous aidera. Il existe une obligation internationale, la Convention de Vienne, qui est absolument irrévocable. Et nous exigerons qu’elle soit respectée.

QuestionÀ quel stade en sont les discussions ?

Sergueï Lavrov : Je n’en ai pas encore terminé avec les tribunaux. Permettez-moi de vous rappeler comment nous avons essayé de traiter l’affaire Litvinenko, alors que [Litvinenko] aurait aussi, soi-disant, été empoisonné.

Le tribunal ne voulait rien prouver. Le tribunal avait juste rendu l’enquête secrète et la menait par une procédure qui interdisait la production de documents de nos services de sécurité.

Dans ce cas, lorsque nous avons demandé des informations sur les Skripals, liées entre autres à l’exploitation britannique du prétexte Skripal par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, nous avons reçu une réponse officielle indiquant que cette question était liée à la sécurité britannique. Pour cette raison, nous n’avons aucune divulgation ni réponse significative de Londres.

Question : Mais le droit international a préséance sur leur droit, n’est-ce pas ? La Convention de Vienne a-t-elle la priorité ?

Sergueï Lavrov : Oui, c’est le cas.

Question : Ne pouvons-nous rien obtenir par les tribunaux ?

Sergueï Lavrov : Nous continuerons à réclamer une rencontre avec notre concitoyenne.

Question : Mais n’est-ce pas leur ministre qui a dit que la Russie devrait « se taire et s’en aller » ?

Sergueï Lavrov : C’est un homme [le ministre des affaires étrangères britannique] chez qui un amour-propre surdimensionné se superpose à un complexe d’infériorité. J’ai aussi vu son collègue et il est très regrettable que le Royaume-Uni ait chargé de tels ministres de gérer la politique étrangère.

Il m’a contacté lorsque les cinq ministres des affaires étrangères des cinq États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies se sont réunis à New York. Nous étions tous les cinq assis autour d’une table. Après cela, il est sorti et a commencé à dire qu’il m’avait contesté sur douze chefs d’accusation et qu’il m’accusait de tout.

Question : Que lui avez vous répondu ?

Sergueï Lavrov : Je n’ai rien dit : vous ne pouvez pas parler avec des gens comme ça.

En ce qui concerne l’affaire Skripal, je peux vous assurer que nous ne laisserons pas tomber cette affaire. Je suis absolument convaincu que nous devons exiger des réponses, comme avec le Boeing malaisien [abattu en Ukraine]. Et plus nos partenaires tarderont à réagir, plus ils auront l’air ridicule.

Question : Mais nous avons été poursuivis en justice par les proches de ceux qui sont morts dans le crash du Boeing.

Sergueï Lavrov : Oui, ils nous ont poursuivis. Il y a une chose que nous devons comprendre. Ils disent que nous avons empoisonné les Skripals et que nous devons dire si cela a été fait sur ordre du président Poutine ou s’il a perdu le contrôle des services secrets qui l’ont fait sans son consentement. Personne d’autre n’avait de raison claire [d’empoisonner les Skripals]. Il est donc fort probable que la Russie soit responsable, disent-ils.

Ceci est un discours infantile, pas une enquête sérieuse.

Nous leur avons posé des questions concrètes : Où est Yulia Skripal ? Pourquoi son cousin s’est-il vu refuser un visa que nous avons officiellement demandé à plusieurs reprises ? Malheureusement, vous ne pouvez pas aller en justice pour un visa.

Nous posons des questions similaires sur le Boeing malaisien. Pourquoi n’ont-ils pas inclus dans leur enquête le matériel fourni par Almaz-Antey, le producteur des systèmes Buk [missiles] ? Pourquoi les Ukrainiens n’ont-ils pas fourni leurs données radar, contrairement à la Russie, ou la transcription de ce que leurs contrôleurs aériens ont dit ? Pourquoi les Américains n’ont-ils pas fourni leurs informations satellitaires ? Pas de réponse. Mais nous continuerons à poser ces questions et à rappeler à tout le monde qu’un jour viendra où ces intrigues honteuses prendront fin.

Question : Peut-être ne devrions-nous pas seulement rappeler mais aussi demander ? Il y a déjà des blagues sur sur les médias sociaux au sujet de vos recommandations. Puis-je dire l’une d’entre elles ?

Sergueï Lavrov : Oui, certainement. J’ai lu beaucoup de choses sur moi-même.

Question : Sergueï Lavrov entre dans une salle pour s’entretenir avec Mike Pompeo, ouvre son porte-documents et sort un pot de graisse rance, une oreille d’âne mort et un tas de feuilles de figuier. Il allume une cigarette et dit poliment « bonjour » à Mike Pompeo.

C’est peut-être la façon dont nous devrions parler avec eux et non pas « exprimer notre préoccupation » ou « attirer leur attention » sur des problèmes ?

Sergueï Lavrov : La rencontre dont parle cette blague n’est pas avec Pompeo mais avec Taro Kono [ministre des Affaires étrangères japonais].

Vraiment, voulez-vous que nous utilisions des mots de cinq lettres dans le discours international, afin que nous jouions tous dans la même ligue ? Non, je pense que si Jupiter est en colère, c’est parce qu’il est en tort.

J’ai lu vos rapports sur les points chauds et je vous respecte pour ce que vous faites. Nous avons reproché à nos collègues occidentaux de ne pas avoir envoyé leurs journalistes dans le Donbass pour qu’ils racontent la vérité. Il y a aussi peu de journalistes occidentaux en Syrie. Quand quelqu’un veut vous rendre fou en vous poussant à recourir à un langage grossier pour vous faire réagir, je le déconseille, même si nous ne sommes pas nous-mêmes des anges. Nous ne devons pas dépasser les bornes de la décence, même si nous fixons nous-mêmes les limites.

Question : Est-il vrai que les caves du ministère des Affaires étrangères sont remplies des coffres de votre grande patience ?

Sergueï Lavrov : Nous n’avons pas de caves.

Question : J’ai travaillé en Arménie et en Géorgie. La situation est dramatique.

Je suis choqué que nous ayons abandonné la situation en Géorgie. Les Américains construisent un port en eaux profondes à Anaklia, à deux pas de Sotchi. Au départ, ils avaient prévu d’y déployer leurs sous-marins nucléaires, ce qui serait extrêmement dangereux pour nous. Une base de l’OTAN est en construction près de Tbilissi. Ils ont signé une déclaration officielle à cet effet. Et il y a trois bio laboratoires [d’armes bactériologiques] en Géorgie.

Les Américains entraînent neuf bataillons motorisés. Quand j’ai demandé à quoi ces bataillons seraient utilisés, la réponse a été « contre nos ennemis, contre la Russie ».

La présidente élue Salomé Zourabichvili a déclaré lors de son investiture qu’elle ferait tout son possible pour lutter contre l’occupation russe.

La situation est très grave si l’on considère que les Américains n’ont pas réussi à construire une base navale en Crimée, mais que maintenant ils vont la construire à notre porte, à la frontière entre l’Abkhazie et la Géorgie. Pourtant nous restons silencieux.

Les Géorgiens qui sont à nos côtés – 40% de la population en Géorgie est en faveur du rapprochement et 80% en faveur du dialogue avec la Russie – disent que nous les nourrissons.

Leurs magasins sont remplis avec des produits russes. Il y avait 1,6 million de touristes [russes].

Sergueï Lavrov : Je le sais.

Question : Ils demandent pourquoi nous gardons le silence, pourquoi nous ne leur disons pas qu’ils ferment les bases qui représentent une menace directe pour notre sécurité, ou que nous fermons la frontière à leurs marchandises.

Sergueï Lavrov : Où avez-vous trouvé ces conseillers, sur l’autoroute ?

Question : Pourquoi vendons-nous des vins géorgiens ? Ils gagnent de l’argent grâce à nous, et en même temps ils se battent contre notre « occupation ».

Sergueï Lavrov : Vous savez sûrement que les Ukrainiens gagnent des millions de roubles en Russie.

Question : Nous devons répondre à cela. Pourquoi restons-nous les souffre douleurs ?

Sergueï Lavrov : Nous ne disons pas que nous connaissons toutes les réponses. Comment pouvons-nous répondre ? Fermer la frontière ? Rompre tous les liens ?

Question : Les Géorgiens eux-mêmes ont proposé de fermer la frontière et de suspendre les échanges commerciaux et les transferts d’argent jusqu’à ce que la construction d’une base de l’OTAN à la porte de la Russie soit stoppée. Ils se plaignent que nous n’ayons pas de politique vis-à-vis de la Géorgie et d’être heureux que Mikheil Saakashvili ne soit plus en Géorgie. Mais nous oublions qu’il y a beaucoup d’autres forces anti-russes qui y travaillent.

Sergueï Lavrov : Imaginez ce que ce serait si nous rompions les relations que nous avons développées ces dernières années.

Avant nous avions lancé des vols charters. Nous avons maintenant des vols réguliers, et leur nombre a augmenté pour inclure Tbilissi, Moscou, Saint-Petersbourg, Iekaterinbourg et Koutaïssi. Les avions sont remplis de touristes. Notre commerce est à la hausse. Je crois que la Russie est devenue le principal partenaire commercial de la Géorgie. Nos sociétés civiles organisent régulièrement des événements. Les gens se rencontrent, discutent et essaient de comprendre à quel point nos relations sont parvenues.

Imaginez que nous arrêtions tout cela simplement pour faire plaisir à vos amis qui se sentent blessés. Nous arrêtons tout cela, mais ils terminent quand même la base, entraînent des bataillons, et les bio-laboratoires continuent de fonctionner. Qui va en tirer profit ?

Question : Devrait-il y avoir une réponse de notre part ? Que devrions nous faire ?

Sergueï Lavrov : Je voudrais vous demander si vous pensez que nous devons répondre simplement pour affirmer notre importance ou quoi.

Question : Nous devons montrer notre importance.

Sergueï Lavrov : Et c’est tout ?

Question : Non, ce n’est pas tout. Il existe des leviers de pression économique, similaires aux leviers militaires. Si la Géorgie vit à nos dépens, elle hurlera quand elle n’aura rien à manger.

Sergueï Lavrov : Je vous assure qu’ils trouveront un moyen de vivre. Je voudrais regarder cela sous un angle différent. Proposez-vous d’étouffer la Géorgie ? Pourquoi ? Vous dites que 40% de la population soutient les contacts avec la Russie. Brisez ces contacts, et ce sera 2%.

Question : Mais nous devrons expliquer pourquoi nous le faisons. Nous pouvons dire : « Cela menace notre sécurité ».

Sergueï Lavrov : Encore une fois. La menace la plus grave ici concerne les laboratoires de biologie. Je suis convaincu qu’ils n’iront nulle part avec leurs bataillons. Ils comprennent que nous avons des relations avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud et que nous ne permettrons à personne d’attaquer nos alliés. Il existe des laboratoires biologiques non seulement en Géorgie, mais aussi en Arménie, au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Il serait inutile d’en parler avec l’Ukraine. Nous en discutons avec la Géorgie par l’intermédiaire des organisations compétentes, la Convention sur l’interdiction des armes biologiques et des toxines. De même, nous parlons avec le Kazakhstan et l’Arménie. Les Géorgiens ont déjà invité des diplomates à visiter leur laboratoire de biologie. Nous les avons remerciés, car il s’agissait d’un groupe important de diplomates et nous avons noté que nous serions plus intéressés par l’envoi de professionnels qui comprendraient mieux que les diplomates ce qui se fait dans ce laboratoire bio. Nous devons savoir quelle menace ces expériences représentent pour la Fédération de Russie et les pays voisins.

En principe, je suis catégoriquement contre une politique étrangère qui consiste à rompre les relations chaque fois que quelqu’un nous fait du tort. Sinon, nous devrions rompre nos relations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. Avez-vous par hasard des amis qui vous conseillent ?

Question : L’Amérique répond clairement par des sanctions. Nous n’imposons pas de sanctions. Introduire des sanctions contre la Géorgie. L’Arménie est notre alliée stratégique. Pourquoi avons-nous autorisé la construction de trois laboratoires US en 2016 ? Nous nous entendons très bien dans l’Union économique eurasienne.

Sergueï Lavrov : Avec l’Arménie, nous achevons le travail sur un document qui garantira la non-présence d’une armée étrangère dans ces laboratoires de biologie et une transparence totale.

Question : Et le Kazakhstan ?

Sergueï Lavrov : La même chose.

Question : Vont-ils supprimer ces laboratoires ? Ou s’assurer qu’il n’y a pas de ressortissants étrangers ?

Sergueï Lavrov : Vous ne m’écoutez pas. Je viens de vous dire qu’un accord est en cours d’élaboration qui garantira qu’il n’y aura pas d’armée étrangère dans les laboratoires biologiques et que tout ce qui y est fait sera transparent, assorti de garanties, sans menaces ni risques.

Question : Pensez à cet exemple : lorsque vous venez en Arménie, vous y trouverez 19 diplomates russes et 2 500 travailleurs américains, un nombre impressionnant, bien sûr. Je ne comprends pas comment nous ne pouvons avoir que 19 diplomates dans un pays d’une telle importance stratégique. Les stratèges politiques en Arménie disent : « La Russie utilise vraiment une force maladroite contre les anciennes républiques soviétiques. Cela ne fonctionne jamais avec l’opposition, alors pour la Russie, Nikol Pashinyan a été une énorme surprise. La Russie ne travaille jamais avec la société civile, mais uniquement avec les personnes au pouvoir détestées dans la société, selon vos officiers russes, et dont la popularité est en dessous de zéro. De quoi s’agit-il, l’aveuglement de votre diplomatie ? Je ne sais pas ; c’est inexplicable. Il y a des gens normaux dans l’opposition avec lesquels vous pourriez coopérer. »

Sergueï Lavrov : Qui vous a écrit tout cela ?

Question : Les observateurs politiques avec lesquels j’ai parlé en Arménie.

Sergueï Lavrov : C’est votre « diplomatie » – les Arméniens ont-ils écrit cela ?

Question : Oui, les Arméniens. Pourquoi la diplomatie russe ne travaille-t-elle pas avec l’opposition ? Vous vous souvenez de la dernière fois où nous nous sommes disputés à propos du pouvoir de l’ombre (soft power). Il y a 5 000 ONG américaines qui démarchent des jeunes qui grandissent ensuite pro-américains et anti-russes, mais il n’y a pas d’ONG russes ni de médias dans ce pays. Nous en avons déjà parlé plusieurs fois.

Sergueï Lavrov : Alors, où voulez-vous en venir ? Si je comprends bien, les options sont soit d’envoyer 3 000 diplomates et d’y créer 5 000 ONG, soit de rompre les relations diplomatiques.

Question : C’est là que je pense que le pouvoir de l’ombre est la meilleure option.

Sergueï Lavrov : Pourquoi ?

Question : Au moins l’attitude du peuple à l’égard de la Russie était bonne ; maintenant cela a empiré et va continuer à se détériorer. La jeunesse grandit.

Sergueï Lavrov : Nous sommes bien traités en Géorgie. Et vous proposez de rompre les relations.

Question : Quelles idées nourrissent les jeunes ? Ils sont élevés avec l’idée que la Russie est mauvaise. Ils se disputent maintenant pour savoir qui a été le premier à attaquer.

Sergueï Lavrov : Où – en Géorgie ?

Question : Je viens de regarder une émission-débat où ils prouvent aux enfants que c’est la Russie qui a attaqué la Géorgie il y a dix ans. Et les enfants écoutent.

Sergueï Lavrov : C’est le reportage d’un groupe d’experts dirigé, par Heidi Tagliavini, qui a préparé un rapport à l’intention de l’Union Européenne, accusant clairement Saakashvili d’avoir déclenché la guerre. Personne dans l’UE n’a contesté cette conclusion. Maintenant, ils disent que notre réponse était inacceptable. C’est de l’hypocrisie pure.

En ce qui concerne le pouvoir de l’ombre, je suis entièrement d’accord sur ce point. Il y a deux ou trois fois moins de diplomates russes en Arménie ou dans tout autre pays de la CEI que d’Américains. Notre personnel diplomatique est composé de 2 500 personnes ainsi que du personnel de rotation.

Question : Les Américains ont le personnel diplomatique le plus important à Bagdad et le deuxième en Arménie.

Sergueï Lavrov : Ils ont leurs propres critères de travail. Et nous avons nos traditions et nos limites financières, car leurs ONG travaillant dans les anciennes républiques soviétiques coûtent très cher. Dans la plupart des cas, ces ONG sont financées par l’Agence pour le développement international du département d’État américain, le National Democratic Institute (NDI), affilié au Parti démocrate, ou d’autres organisations similaires. George Soros est très actif là-bas, comme dans de nombreuses autres parties de notre espace et au-delà. Bien sûr, ils ont l’avantage du nombre. Nous ne pouvons pas répondre de la même façon ; nous ne pouvons pas créer le même nombre d’organisations de marionnettes. Un très grand nombre d’entre elles ont un agenda négatif provocateur.

Je conviens que nous devons travailler avec toutes les forces politiques, ce que nous faisons. Nous travaillons avec tout le monde, non seulement dans le Caucase du Sud, mais aussi dans les autres républiques post-soviétiques. Nous travaillons avec des groupes d’opposition enregistrés. Nous ne travaillons pas avec des groupes non enregistrés ou clandestins. Je crois que c’est correct. Nous avons maintenu des liens avec divers groupes parlementaires, y compris les neuf députés qui représentaient le parti de Nikol Pashinyan lorsque Serzh Sargsyan était président de l’Arménie.

C’est une autre affaire que nous ayons probablement acquis une immunité contre les révolutions, car tout ce que l’Occident fait dans l’espace post-soviétique prépare les révolutions. C’est peut-être notre problème, mais nous ne pouvons absolument pas être blâmés pour cela. Nous avons survécu à plusieurs révolutions qui ont coûté beaucoup de vies humaines et détruit des villes et des villages. Nous ne voulons pas que cela se répète et nous ne le souhaitons pas pour les autres.

La conclusion est donc simple : nous devons travailler avec la société et les gens, promouvoir des projets qui les intéressent dans les domaines de la culture, de la langue, du sport, de l’éducation et des interactions entre les peuples. Je crois que nous pouvons signaler certains résultats positifs dans ce domaine. Mais il ne faut pas s’arrêter maintenant. Il n’y aura jamais assez de tels événements. Nous avons mis en place des forums interrégionaux, des journées d’échanges culturels et éducatifs avec presque tous les pays du CSTO. Nous y ouvrons des succursales de nos universités. J’ai récemment visité l’Azerbaïdjan où l’Université MGIMO ouvre une succursale. C’est une forme de coopération très populaire.

Question : Pourtant, l’instrument le plus influent est le média de masse. Mais Margarita Simonyan ne peut pas travailler pour nous tous. Nous avons besoin de nos propres médias locaux qui s’appuieront sur vous dans leurs travaux. Beaucoup de gens aimeraient travailler de cette façon. Mais ils n’ont tout simplement pas d’argent.

Sergueï Lavrov : Exactement.

Question : Voulez-vous dire que nous n’avons pas d’argent pour cela ?

Sergueï Lavrov : Le ministère des Affaires étrangères n’en a pas.

Question : Pourquoi ne pouvons-nous pas demander à nos oligarques ? Ils pourraient être désignés comme responsables de certains domaines.

Sergueï Lavrov : Ceux qui ont beaucoup d’argent achètent des médias, y compris en Russie. S’ils font la même chose à l’étranger, nous ne nous plaindrons pas.

Question : Les Américains le font. Ils ont plus d’argent.

Sergueï Lavrov : Mais ils n’achètent pas au nom de l’État.

Question : Ils ont créé un fonds d’État pour financer de tels projets. Pourquoi ne pas louer les îles Kouriles [sur lesquelles les japonais revendiquent la souveraineté] ? La souveraineté nous appartiendrait de toute façon. Hong Kong a déjà été loué dans ces conditions. La Chine avait loué un village et s’est retrouvée avec une grande ville moderne.
Il y a une chose qui s’appelle  zugzwang au jeu d’échecs, quand n’importe quel mouvement amène à une position pire. Nous n’avons pas signé de traité de paix [avec le Japon], alors pourquoi avons-nous besoin d’un « morceau de papier » ? Nous avons des relations diplomatiques et économiques, mais pas de relations militaires. Il n’y en aura pas non plus dans l’avenir. Pourquoi avons-nous besoin d’un traité de paix avec le Japon si nous examinons la question des Kouriles sur cette base ?

Sergueï Lavrov : Nous souhaitons entretenir de bonnes relations avec le Japon. La situation est très simple. Nous sommes des gens obéissant au droit international. En 1956, l’URSS a signé un accord avec le Japon, appelé Déclaration de 1956. Lors de la dissolution de l’URSS, la Fédération de Russie a été reconnue non seulement en tant qu’État successeur légal (toutes les républiques constitutives, à l’exception des États baltes, sont devenues des successeurs légaux), mais aussi en tant que seul État légataire de l’URSS. C’est le statut juridique sous lequel nous avons assumé toutes les obligations ainsi que tous les avoirs de l’URSS. C’était l’un des motifs de la signature, dans le cadre de la CEI, d’un traité sur « l’option zéro » pour les biens à l’étranger. Nous avons pris en charge l’ensemble des créances de l’URSS, toutes les propriétés nous ayant été transférées (ce qui se passe aujourd’hui). C’est pourquoi, lorsque le président Vladimir Poutine a été élu et que cette question a été soulevée pour la première fois au cours de sa présidence, dans une situation donnée (je pense que c’était une réunion avec le Premier ministre de l’époque, Yoshiro Mori), il a déclaré que, en tant que légataire de l’URSS ayant adopté la Déclaration de 1956, il était prêt à signer un traité de paix fondé sur celle-ci.

À Singapour, nous sommes convenus de revoir les négociations en vue de la signature d’un traité de paix fondé sur la Déclaration de 1956. À cet égard, il est très important de comprendre en quoi consiste ce document et, en gros, quelle situation a pris forme autour de lui. Il dit : « Vous signerez un traité de paix. Après cela, l’URSS – comme geste de bonne volonté et dans le respect des intérêts du peuple japonais voisin, et non comme une décision de retour [des îles Kouriles] – sera prête à transférer la corniche de Habomai et l’île de Shikotan ». Le président Poutine a répété à maintes reprises, notamment lors de sa conférence de presse à Singapour, et plus tard à Buenos Aires, qu’il ne s’agissait pas d’une obligation directement applicable de l’URSS transférée à la Russie et que les parties devraient discuter de quelle manière, à qui et quand et sous quelle forme transférer [la souveraineté, quoi que ce soit à transférer].

C’était en 1956. Après cela, il y a eu les événements de 1960, lorsque le Japon et les États-Unis ont signé le Traité de coopération mutuelle et de sécurité, en vertu duquel les Américains pouvaient déployer leurs bases militaires pratiquement où ils le souhaitaient, dans n’importe quelle partie du territoire japonais. En vertu du même traité, les États-Unis créent le segment asiatique de leur système de défense antimissile et déploient des lanceurs antimissiles pouvant être utilisés pour tirer des missiles Tomahawk.

Le Japon s’est retiré de la Déclaration de son plein gré. Bien entendu, l’URSS a réagi à la signature du traité de sécurité américano-japonais. Par conséquent, lorsque nous disons « sur la base de la Déclaration », nous ne pouvons ignorer le fait que les événements de 1960 ont eu lieu depuis lors, qui, du point de vue de la présence militaire américaine dans les îles japonaises, sont de plus en plus d’une grande importance et une menace sérieuse pour notre sécurité. Nous avons expliqué tout cela à nos collègues japonais lors de discussions avec des représentants du ministère des Affaires étrangères et du conseil de sécurité. Nous attendons une réponse. Pour nous, il s’agit d’un problème d’importance pratique.

Mais surtout, lorsque nous disons « sur la base de la Déclaration de 1956 », cela exprime la reconnaissance inconditionnelle, par le Japon, des résultats de la Seconde guerre mondiale. Jusqu’ici, nos collègues japonais ne sont pas prêts pour cela, et ils envoient toutes sortes de signaux indiquant que cela ne fonctionnera pas. C’est un problème sérieux.

Récemment, mon homologue japonais a déclaré officiellement qu’il s’était excusé auprès des médias japonais pour avoir évité de répondre à plusieurs reprises à la question sur les pourparlers à venir. Il a déclaré qu’il n’était pas disposé à débattre de la question parce que la position du Japon n’était pas modifiée. Toutefois, s’il le disait, il inciterait ses collègues russes à exposer leur point de vue. Considérez que ce n’est pas lui qui nous a provoqués. C’est juste que nous n’avons jamais eu honte de notre position. Si la position du Japon reste inchangée, nous sommes dans la position où nous avons toujours été. C’est essentiellement un refus de reconnaître les résultats de la Seconde guerre mondiale, tout en reconnaissant que les résultats de la Seconde guerre mondiale constituent un premier pas inaliénable dans toute négociation, sans parler des négociations juridiques.

Question : Peut-être devrions-nous laisser cette question au jugement des générations futures et l’enregistrer telle qu’elle est ?

Sergueï Lavrov : Nous ne refusons pas de parler, mais j’ai présenté les conditions et le cadre dans lesquels ces discussions se dérouleront.

Question : Puis-je vous poser quelques questions privées souvent posées par nos auditeurs – en mode tac au tac ?

Sergueï Lavrov : Allez-y.

Question : Vous êtes l’un des hommes politiques les plus populaires et les plus connus de notre pays. Comment vous sentez-vous à ce titre ?

Sergueï Lavrov : Je n’y ai jamais pensé. C’est un plaisir pour moi de communiquer avec les gens lorsque je vais quelque part, que ce soit pour une mission de travail ou non. Je parle aux jeunes. Il est intéressant d’écouter des questions et des commentaires. Si mon travail suscite des réactions positives, je suis heureux pour notre ministère.

Question : Comme vous le savez, l’ancien ministre soviétique des Affaires étrangères, Alexei Gromyko, a été surnommé à l’Ouest « Monsieur Niet ». Andrei Kozyrev [ministre des Affaires étrangères de Eltsine] devait être « Monsieur Da ». Comment décririez-vous votre propre image en termes similaires ? Le ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergueï Lavrov, est « Monsieur quoi ? »

Sergueï Lavrov : Peu importe, mais certainement pas « Monsieur Yesman ».

Question : Dans vos interviews, vous faites presque toujours référence à nos ennemis comme des « partenaires ». Pourquoi ?

Sergueï Lavrov : Parfois, je ne parviens pas à exprimer l’ironie par l’intonation.

Question : Dans l’un de vos entretiens, vous avez déclaré respecter le travail de Vladimir Vysotsky. Quels mots de ses chansons utiliseriez-vous pour décrire la situation internationale actuelle ?

Sergueï Lavrov (riant) : « Lukomorye [le pays des merveilles], n’existe plus… » et ainsi de suite.

Question : Vos adversaires ont raconté tellement d’absurdités ces derniers temps. Quel calme vous avez. Est-il difficile de traiter avec un partenaire de négociation si vous sentez qu’il (ou elle) a de la rancune envers vous ?

Sergueï Lavrov : Je m’y suis habitué.

Question : Qu’est-ce qui vous aide à rester aussi calme et cool ?

Sergueï Lavrov : La vie m’a peut-être durci au cours des dernières années. À New York, j’ai bien appris à réagir à toutes sortes de situations de crise au Conseil de sécurité des Nations Unies. Quelqu’un se précipitait pour dire que quelque chose était survenu et qu’il était nécessaire d’adopter de toute urgence une résolution, alors que nous voulions étudier le problème sans prendre de mesure abrupte.

Question : Y a-t-il eu des épisodes au cours de votre service en tant que ministre, où la situation est devenue très alarmante et même effrayante ?

Sergueï Lavrov : Probablement pas, étant donné que j’étais déjà habitué aux situations de crise dans mon travail avant ma nomination à ce poste. Peut-être que cette expérience aide.

Question : Avez-vous envie de mettre le travail de côté
Et descendre la rivière avec une guitare,
Faire un feu de camp au coucher du soleil
Et parler de paix et d’amour ?

Sergueï Lavrov : Oui, certainement. En plus, je le fais.

Question : Quel est le plus gros poisson que vous avez pêché lors de vos sorties en rivière ? Où est-ce arrivé et combien a-t-il pesé ?

Sergueï Lavrov : Je ne m’en souviens pas, car je ne suis pas vraiment un pêcheur. Lorsque nous descendons la rivière Katun en canoë-kayak, deux des membres de notre groupe s’occupent de la pêche. Je fais une pause et surveille le feu de camp.

Question : Supposons que vous ayez une machine à remonter le temps. Auquel des dirigeants de notre pays, des années, voire des siècles auparavant aimeriez-vous parler, et quelle question essentielle voudriez-vous lui poser ?

Sergueï Lavrov : Parmi nos compatriotes – Alexander Gorchakov. Beaucoup a été écrit sur lui et toutes ses réalisations diplomatiques sont bien connues. Je lui poserais exactement la même question que vous m’avez posée – à propos de son sang-froid qui lui a permis de rendre la Crimée.

QuestionAuquel des présidents américains du passé souhaiteriez-vous parler et que lui demanderiez-vous ?

Sergueï Lavrov : Peut-être Harry Truman. Après la politique de Franklin Roosevelt, il s’est tourné brusquement vers la « guerre froide ». Il serait intéressant de comprendre pourquoi. En fait, c’est comme si tout le monde comprenait tout. L’URSS était une véritable alliée de la Grande-Bretagne et des États-Unis dans la guerre, mais peut-être seulement un allié de circonstance, même si cette situation concernait la vie ou la mort de l’humanité tout entière. Presque. Et c’était une véritable alliance. Néanmoins, ils ne nous ont jamais pleinement considérés comme l’un des leurs, et à l’époque, ils voyaient déjà une menace.

Question : Si vous aviez l’occasion de revenir en arrière et d’influencer un événement dans notre pays ou ailleurs, que changeriez-vous ?

Sergueï Lavrov : Tout d’abord, je n’ai aucun moyen de revenir en arrière. Deuxièmement, je ne veux pas. Troisièmement, nous savons tous que l’histoire n’a pas de « si ». Tout ce que Dieu fait est pour le mieux. Il existe de nombreux proverbes, par exemple, « Cela ne fait pas de mal de rêver ».

Question : L’Union économique eurasienne va-t-elle survivre en tant qu’entité, compte tenu de nos problèmes avec le président de Biélorussie, Alexandre Loukachenko, et le Kazakhstan ?

Sergueï Lavrov : Elle va survivre. En tout état de cause, nous avons des intérêts communs. Au cours des cinq années de son existence ou même moins (il y avait une union douanière, suivie de l’union économique eurasienne), nous avons fait de grands progrès par rapport aux délais qui ont permis à l’Europe d’atteindre le même niveau d’intégration.

Question : C’était plus facile pour nous.

Sergey Lavrov : Il n’empêche que les liens économiques ont été considérablement perturbés après l’éclatement de l’Union soviétique.

Question : Le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a annoncé son intention de quitter l’Union économique eurasienne.

Sergueï Lavrov : Tout comme les dirigeants d’autres pays, nous jugeons la politique des autres en fonction de leurs actes, plutôt que de leurs paroles. Lorsque le président des États-Unis, Donald Trump, mène des négociations, il fait aussi toutes sortes de déclarations.

Question : Est-ce un chantage ?

Sergueï Lavrov : Ce sont des préparatifs de pourparlers, si vous voulez. Je ne peux pas dire que le président des États-Unis, Donald Trump, fasse du chantage à qui que ce soit, même s’il exerce une forte pression.

Question : Quelle serait la première chose que vous protégeriez si le bâtiment du ministère des Affaires étrangères prenait feu ?

Sergueï Lavrov : Dieu nous en préserve. Nous n’avons pas besoin de prophéties auto-réalisatrices, et nous avons un bon système de sécurité incendie.

Question : Que mangez-vous pour améliorer votre humeur ?

Sergueï Lavrov : Je préfère les mets savoureux.

Question : Pourriez-vous être plus précis ? Nous aimons tous la bonne nourriture.

Sergueï Lavrov : Choucroute et bortsch. J’aime beaucoup les soupes.

Question : Comment vous détendez-vous ? Et quelle est votre musique préférée ? Comment faites-vous pour rester en forme tout le temps ? Peut-être aimez-vous la musique rap ?

Sergueï Lavrov : Je ne suis pas dans le rap. J’aime les chanteurs bardes, notamment Vladimir Vysotsky, Bulat Okudzhava, Yury Vizbor et Oleg Mityayev. Et j’aime le plein air.

Question : Si vous trouviez une lanterne magique qui pourrait exaucer un vœu personnel, que feriez-vous ?

Sergueï Lavrov : Un souhait personnel ? Je ne sais pas. Je n’y ai jamais pensé. Je ne suis pas habitué à faire des vœux. Je suis plus réaliste que rêveur.

Question : Donc, lorsque les carillons du Kremlin accueillent le Nouvel An, vous ne faites jamais de vœu ?

Sergueï Lavrov : Non. Dans mon équipe de rafting, nous avons ce principe : ne pas vendre la peau de l’ours etc. Nous ne célébrons pas ce qui va arriver, mais célébrons ce qui s’est passé. Si c’est l’anniversaire de quelqu’un, nous levons un verre de champagne. Mais nous ne portons jamais de toast à ce qui reste à venir. C’est même considéré comme malfaisant.

Question : Au sens figuré, si l’on prend la politique étrangère de la Russie ces dernières années, y a-t-il une chose à laquelle vous voudriez trinquer avec un verre de champagne et vos collègues ?

Sergueï Lavrov : Je ne suis pas en train d’évaluer le travail de mon ministère pour le moment. L’un des projets les plus importants de ces dernières années a été l’accord sur le désarmement chimique en Syrie, qui nous a permis d’éviter un acte d’agression américaine. Cet accord a été documenté dans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, mais malheureusement, après cela, l’OIAC, dont le travail consistait à éliminer et à détruire physiquement les substances toxiques en Syrie, a subi une prise de contrôle hostile de l’intérieur.

Question : Voulez-vous dire suivre le cas Skripal ?

Sergueï Lavrov : Non, cela ne faisait pas suite à l’affaire Skripal. Cela concernait principalement la Syrie. C’était une histoire séparée. Certains de nos partenaires occidentaux essaient maintenant de remplacer le droit international par un « ordre fondé sur des règles ». Ce dont ils parlent ne sont pas des règles universellement convenues, mais celles qu’ils considèrent accommodantes. Les médias occidentaux écrivent déjà ouvertement à ce sujet. En particulier, le journal britannique The Times a écrit que le retrait du droit international conduisait à un système très instable, dans lequel les relations seraient déterminées par l’équilibre des forces, la force brute ou des pressions économiques et financières telles que le chantage et les accords bilatéraux. C’est à peu près ce que les Américains essaient de faire maintenant, rompant les structures multilatérales, y compris l’Organisation mondiale du commerce, et passant des relations actuelles avec l’UE à la résolution bilatérale de tous les problèmes. Par conséquent, l’accord sur le désarmement chimique en Syrie constituait un exploit sérieux. Maintenant, sous divers prétextes farfelus, les Américains et leurs plus proches alliés tentent de prétendre que tout l’arsenal chimique n’a pas été détruit. Bien que des organisations internationales, à savoir l’OIAC, aient constaté, en présence d’observateurs, y compris ceux des États-Unis, la destruction de toutes les installations et substances chimiques en Syrie. Tels sont nos partenaires.

Question : Avons-nous encore une influence dans cette organisation ?

Sergueï Lavrov : Oui.

Question : Vous souvenez-vous du cadeau de Nouvel An le plus insolite que vous ayez reçu ou donné ?

Sergueï Lavrov : Mon « disque dur » ne stocke pas de telles choses. Elles ont été effacées de ma mémoire. Ces jours-ci, je suis plus occupé à penser au travail qu’à la nouvelle année.

Je voudrais saisir cette occasion pour souhaiter à tous les auditeurs et lecteurs de Komsomolskaïa Pravda un joyeux Noël et une bonne année. Bonne santé et bonne chance.

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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