L’infériorité chronique d’Israël


Par Leonid Savin − Le 29 juin 2022 − Source Oriental Review

De gauche à droite : le ministre de la défense, Benny Gantz, le ministre des affaires étrangères, Yair Lapid, et le Premier ministre, Naftali Bennett, à la Knesset, à Jérusalem, le 6 juin 2022

Le 21 juin 2022, le Premier ministre israélien Naftali Bennett et son adjoint, le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid, ont annoncé leur décision de dissoudre la Knesset (parlement) et d’organiser des élections générales anticipées. Selon l’accord, Lapid prendrait le poste de premier ministre par intérim et Bennett deviendrait le premier ministre alternatif en charge du dossier iranien.

Rappelons qu’Israël a connu de terribles troubles politiques ces dernières années, et que ces nouvelles élections seront les cinquièmes en trois ans et demi.

Le 9 avril 2019, le parti Likoud du Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu a remporté 35 des 120 sièges de la Knesset. Son principal rival, la coalition blanc-bleu dirigée par Benny Gantz et son partenaire Yair Lapid, a également remporté 35 sièges. Mais ni l’un ni l’autre ne parviennent à former un gouvernement. Le Parlement est donc dissous et de nouvelles élections sont prévues pour le 17 septembre de la même année.

Cette fois, l’alliance Bleu et Blanc dirigée par Ganz et Lapid a remporté 33 sièges, tandis que le Likoud en a obtenu 32. Une fois de plus, aucun des deux partis n’a été en mesure de former un gouvernement dans le temps nécessaire, la Knesset a donc été dissoute et de nouvelles élections ont été programmées pour mars 2020.

À cette occasion, le Likoud a remporté le plus grand nombre de sièges, 36, et les Bleu et Blanc ont obtenu 33 sièges, mais là encore, ils n’ont pas réussi à former un gouvernement. Netanyahou et Gantz ont convenu de former un gouvernement en relais. Mais il y a eu un désaccord entre Netanyahu et Gantz sur le budget qui n’a pas été adopté. La Knesset a été dissoute en décembre 2020.

Lors de la campagne électorale de mars 2021, le Likoud de Netanyahou remporte le plus grand nombre de sièges (30), et l’alliance Blanche et Bleue entre Lapid et Gantz se délite. Netanyahou ne parvenant toujours pas à former un gouvernement, un bloc bancal s’organise entre huit partis, unis par l’idée de chasser Netanyahou du pouvoir. Ainsi, le 13 juin de l’année dernière, un gouvernement de coalition a vu le jour.

Les partis ont convenu que le poste de premier ministre serait occupé à tour de rôle par Lapid, le leader du parti centriste Yesh Atid, et Bennett, le leader du parti de droite Yamina. Bennett est entré en fonction le premier, et Lapid devait lui succéder en septembre 2023. D’ici là, Lapid se contenterait de servir de chef de gouvernement temporaire pendant quelques mois.

Le bloc comprenait également Nouvel Espoir (aile droite), dirigé par Gideon Saar ; Yisrael Beiteinu (un parti de droite nationaliste hostile aux Juifs religieux), dirigé par Avigdor Lieberman ; le Blanc et Bleu (centre), dirigé par Benny Gantz ; le Travail (centre), dirigé par Merav Michaeli ; et le Meretz (aile gauche), dirigé par Nitzan Horowitz ; et la Liste arabe unie, dirigée par Mansur Abbas.

Dans ce cas, la raison de l’effondrement était la vulnérabilité de la coalition qui ne disposait que de la moitié des sièges au Parlement et dont les membres quittaient régulièrement l’alliance, ce qui leur valait d’être qualifiés de traîtres. Lorsque le député de droite Nir Orbach a annoncé qu’il ne faisait « plus partie » du gouvernement, l’équilibre a finalement été rompu, avec seulement 59 sièges sur 120 restant sous le contrôle de la coalition.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la non-prorogation de la loi d’urgence du 7 juin, selon laquelle les colons juifs de Cisjordanie occupée sont considérés comme des Israéliens, avec les mêmes droits que les autres.

Le chef de l’Alliance politique sioniste religieuse, Betsalel Smotrich, a également proposé une loi qui établirait la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie occupée, une initiative qui a également divisé le gouvernement du Premier ministre Naftali Bennett.

Si le projet de loi de Smotrich avait été adopté, il aurait conduit à l’application des lois israéliennes en Cisjordanie, qui serait alors formellement rattachée à Israël par annexion.

Mais Bennett a déclaré sans équivoque que son pays n’annexerait pas la Cisjordanie. En même temps, il a dit qu’il n’y aurait pas non plus de coopération avec l’Autorité palestinienne.

Benjamin Netanyahou va maintenant tenter de prendre sa revanche, même si c’est très probablement la dernière fois qu’il tente de devenir Premier ministre. Des rumeurs ont également circulé selon lesquelles Netanyahou espère apparemment transmettre l’État à son éventuel successeur. Pour que cela se produise, les bonnes conditions doivent être réunies, tant du point de vue de la sécurité que de l’économie. Or, la situation actuelle n’est clairement pas la meilleure pour cela, en raison de l’inflation anticipée et d’une nouvelle crise économique mondiale. Le programme nucléaire de l’Iran et l’activité des mandataires iraniens en Syrie et au Liban ajoutent également à l’anxiété de l’establishment israélien.

Alors que M. Netanyahou avait l’habitude de venir régulièrement à Moscou pour obtenir un soutien, maintenant, dans la nouvelle situation avec l’opération spéciale en Ukraine, il sera beaucoup plus difficile de le faire car la société israélienne elle-même est fortement polarisée sur cette question. En outre, le Kremlin a ouvertement protesté contre les récents bombardements israéliens sur le territoire syrien. Et le rapprochement entre la Russie et l’Iran, comme en témoigne la récente visite du ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov à Téhéran, où de nouveaux accords ont été conclus, n’est clairement pas dans l’intérêt d’Israël.

Malgré les accords abrahamiques signés avec Israël, un certain nombre de pays arabes préfèrent ne pas se précipiter dans la « normalisation » et commencent à adopter une position plus équilibrée et modérée. L’Arabie saoudite, par exemple, négocie avec l’Iran pour améliorer les liens bilatéraux et n’a pas suivi les États-Unis sur la production pétrolière et les sanctions anti-russes.

Washington tente d’inciter ses partenaires et d’engager tous les membres de l’accord abrahamique dans l’Alliance de défense aérienne du Moyen-Orient nouvellement créée. Israël l’a déjà officiellement rejoint, comme l’a récemment annoncé le ministre de la défense Benny Gantz.

De toute évidence, le nouveau processus électoral sera difficile, et pas seulement pour Netanyahou. D’une part, il sera nécessaire de trouver des réponses aux défis actuels tels qu’ils sont présentés par la société israélienne et, d’autre part, d’essayer de ne pas aggraver le conflit contre l’Iran, la Syrie et le Liban, ce qui provoquera des réactions non seulement de ces pays, mais aussi d’autres acteurs régionaux et, bien sûr, des acteurs majeurs, y compris les États-Unis, qui ne sont manifestement pas prêts à ouvrir un nouveau front contre l’Iran.

Cette situation nous rappelle la déclaration du premier Premier ministre israélien, David Ben-Gourion, qui a dit que son pays souffrait d’une infériorité chronique. Il faisait référence à la démographie et au territoire qui, à son époque, était beaucoup plus petit. Cette infériorité a été la raison du programme de rapatriement qu’Israël n’a épargné aucune dépense et aucun effort pour étendre par l’occupation de la Palestine. Mais la situation actuelle indique que cette infériorité chronique persiste et est caractéristique du système politique israélien dans son ensemble. Si les dirigeants de cette entité politique avaient réfléchi de manière plus rationnelle, ils auraient compris qu’en niant l’existence d’un État palestinien, Israël se condamne à davantage d’instabilité et d’infériorité.

Leonid Savin

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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