Par Jean Piniarski − Février 2018
Me serait-il permis de laisser aller mon imagination à un scénario de pure fiction ?
Notre société occidentale est séparée en deux groupes. Le premier groupe est très petit et dirige la société. Il décide des dispositions qui permettent de vivre en commun, des moyens de passer de la société d’hier à celle de demain, de l’administrer. Dans ce groupe, on peut inclure les responsables politiques de haut niveau, leurs conseillers ou experts, les hauts responsables de grands groupes industriels et financiers, et avant tout, les personnes richissimes. Ce sont bien entendu ces dernières qui dirigent, en fait, notre société.
Le second groupe est immense. On y trouve tous les exécutants, du petit chef d’entreprise à l’ouvrier, de l’employé au chômeur, les commerçants, les fonctionnaires, les prestataires en tous genres… La séparation entre les deux groupes repose sur la place économique des individus, par décision des personnes du premier groupe.
L’évolution technique, qualifiée de progrès, remplace régulièrement les individus du second groupe par des machines puis des robots. Nombre d’exécutants ne sont plus que les serviteurs de systèmes automatisés, de logiciels informatiques, ayant de moins en moins d’autonomie dans les tâches qui leur incombent. Et petit à petit, le nombre de robots allant sans cesse en augmentant, le nombre d’exécutants actifs diminue, et le nombre d’exécutants chômeurs augmente. La démographie étant ce qu’elle est, le nombre des exécutants va cependant en augmentant.
Économiquement parlant (par convention, seul cet aspect présente un intérêt), le groupe des exécutants permet de faire fonctionner le système de la consommation de masse qui transforme les entrailles de la planète en lignes de crédit sur les comptes bancaires des personnes du premier groupe. Chaque objet qu’utilise et jette la consommation de masse du second groupe, est une unité de valeur qui alimente les fortunes du premier groupe. Et comme le nombre d’objets en circulation est immense, les fortunes générées sont immenses. Mais le problème insoluble est que la quantité d’objets fabriqués puis jetés génère la destruction des richesses naturelles et une pollution dramatique, situation intenable à terme.
Imaginons, le temps de ce petit texte, que la classe des dirigeants s’internationalise complètement. Imaginons que la totalité de la planète soit régie par un système économique unique. Dans ce cas, le schéma brièvement tracé dans les lignes qui précèdent reste valable. À l’échelle de la planète s’installe un système à deux classes, celle des dirigeants immensément fortunés, avec leurs collaborateurs proches, et celle des exécutants.
Et dans la classe des exécutants, le nombre de robots et de tâches automatisées augmente inexorablement, et celui des personnes sans intérêt économique de la même manière. Adoptons un discours de responsabilité écologique : la pollution générée trouve pour l’essentiel son origine dans le nombre des exécutants. Ces derniers, certes, travaillent un peu ou beaucoup, touchent un salaire ou une pension, font s’activer le système de transfert de richesses. Mais l’activité démentielle qui tourne autour de l’auto entretien de cette masse d’exécutants représente un immense gâchis. Observons plus précisément : est-ce que ce système ne fonctionnerait pas aussi bien avec infiniment moins d’exécutants ? Disons, le nombre d’exécutants nécessaire à la production des biens destinés à la seule classe des dirigeants, à leurs serviteurs immédiats et leurs armées. Le reste, transferts de richesses, inscriptions sur des livres de comptes, pour finir sur des comptes bancaires informatisés pourrait continuer de fonctionner par conventions seulement avec des automates, des robots, qui eux, ont beaucoup moins de besoins. Et la classe internationale des dirigeants est peu nombreuse, composée de gens intelligents qui savent faire passer leur intérêt commun avant de futiles débats de convictions, intellectuelles, religieuses ou autres. Il serait facile de s’entendre.
Dans ce schéma, que devient donc l’intérêt d’une classe exécutante nombreuse ? Il est nul.
Bien sûr, il ne faudrait pas aller jusqu’à penser que le groupe des dirigeants veuille organiser la disparition physique des exécutants en excès. Mais, c’est le rôle de ces personnes de prévoir et fixer les règles. Il est normal que ce problème vienne les visiter et aussi, probablement, que des réponses s’échafaudent dans le cas où la situation l’exigerait…
Dans l’immédiat, il paraît bien superflu que toute cette masse d’exécutants dispose, par exemple, des conditions de vie aptes à sa reproduction. Une alimentation de second, voire de troisième ordre lui suffit bien, un système de soins au rabais aussi, et plus que tout, l’éducation est tout à fait contre indiquée. Il est bien préférable de la remplacer par la confusion organisée : faits présentés de manière biaisée, agitation de la société du spectacle, promotion d’une société sans valeur humaine. Les guerres sont tout à fait propices puisque les exécutants se détruisent entre eux. Mais hélas, puisqu’il n’existerait plus qu’une seule entité, ce moyen rapide deviendrait inutilisable, mis à part les guerres civiles.
Et si, assez rapidement, en quelques générations tout au plus, la population planétaire se réduit drastiquement du fait de la diminution du nombre des exécutants, qui s’en plaindrait ? la pollution diminuerait aussi. Ce serait « bon pour la planète ». Il serait même possible avec le temps que la nature reprenne ses droits, que les villes tentaculaires disparaissent. Ne resteraient que quelques îlots urbanisés, en nombre limité, habités par une classe de gens très riches, intelligents, cultivés. Les endroits paradisiaques ne seraient plus fréquentés par des foules insupportables. Ce serait le paradis terrestre retrouvé.
Vivement que s’installe un gouvernement mondial.