Par Ugo Bardi – Le 26 juin 2017 – Source CassandraLegacy
Imaginez que vous et un ami soyez confrontés à un ours au milieu d’une forêt. Vous êtes tous les deux sans armes et l’ours peut courir plus vite que vous. Quelle est votre meilleure stratégie, coopérer ou trahir ? Je pourrais appeler cette situation, « le dilemme du campeur », par analogie avec le bien connu « Dilemme du prisonnier ».
Vous et un ami, vous campez dans une forêt que vous savez être habitée par des ours affamés. Imaginez que, pour une raison quelconque, vous ayez perdu contact avec le monde civilisé et que vous êtes seuls pour rentrer chez vous. Vous êtes tous deux non armés et les ours peuvent facilement vous rattraper et vous tuer. Quelle est la meilleure stratégie pour que vous puissiez survivre ? Voici quelques considérations sur le « dilemme du campeur » en fonction du niveau de danger.
1. Le danger est faible -> collaboration. Vous savez qu’il y a des ours dans la forêt, mais vous n’avez aucune preuve qu’il y en ait un proche de vous. Vous et votre ami convenez que vous devriez coopérer, faire le moins de bruit possible, ne laisser aucun résidu de nourriture et ne donner aucune preuve de votre présence.
2. Le danger est élevé -> tromperie. Vous avez vu l’ours et l’ours vous a vus, mais votre ami ne l’a pas vu. Vous ne lui dites pas que vous l’avez vu, au contraire, vous niez avoir vu un ours. À la première occasion, vous dites à votre ami que vous allez vous promener dans la forêt, à la recherche de baies, lui demandant de prendre soin du camp jusqu’à ce que vous reveniez. Dès que vous êtes hors de vue, vous commencez à courir aussi vite que possible, laissant votre ami seul face à l’ours.
3. Le danger est immédiat -> la concurrence. L’ours apparaît brusquement devant vous et charge. Vous et votre ami, vous tournez les talons et vous courez aussi vite que possible. Vous savez que, pour survivre, il suffit de larguer votre ami, pas l’ours.
Vous pouvez connaître l’histoire des deux campeurs et de l’ours qui a été une source d’inspiration pour l’idée du « dilemme du campeur ». Plus que cela, le dilemme du campeur est étroitement lié au modèle appelé « Dilemme du prisonnier ». C’est un jeu opérationnel dans lequel chacun des deux joueurs doit choisir de coopérer ou de trahir l’autre, sans savoir quelle stratégie l’autre choisira. La trahison n’offre un bénéfice à l’un des joueurs que si l’autre joueur coopère. Si les deux trahissent, ils souffrent tous deux de lourdes pénalités. Ci-dessous, vous pouvez voir un exemple de la matrice de coût pour ce jeu.
Le jeu de dilemme du prisonnier n’a pas de stratégie optimale. Des études empiriques ont montré que la stratégie simple appelée « CRP » est celle qui fonctionne le mieux à long terme, mais rien ne garantit qu’elle fonctionnera toujours. Ainsi, le jeu du prisonnier reflète bien la complexité et l’imprévisibilité du monde réel, bien que sous une forme simplifiée.
Le dilemme du campeur, comme décrit ici, est très semblable au dilemme du prisonnier avec la différence que le résultat n’est pas seulement une pénalité : si vous perdez le jeu, vous mourez. Le dilemme du campeur est également « gradué » dans le sens où la meilleure stratégie dépend du niveau de danger. Dans une situation de danger faible, les deux joueurs devraient facilement comprendre que la collaboration est la meilleure stratégie. Mais, comme le danger devient de plus en plus évident et immédiat, la trahison commence à ressembler à une meilleure stratégie.
Il ne me semble pas (mais je me trompe peut-être) que les théoriciens aient examiné ce genre de jeu, donc, pour le moment, ces considérations doivent rester qualitatives. Elles sont néanmoins éclairantes lorsqu’elles sont appliquées à la situation mondiale actuelle, en particulier si l’on considère l’ours comme le « changement climatique » alors que les campeurs sont des populations entières ou des couches sociales.
Par exemple, le traité sur le climat de Paris peut être considéré comme faisant partie d’une stratégie collaborative, mais étant donné qu’il a toujours été clair qu’il était insuffisant pour éviter les catastrophes climatiques, cela peut aussi être considéré comme faisant partie d’une tromperie. Dans le même temps, certains gouvernements ont adopté une position plus ou moins explicitement négative. Par exemple les États-Unis, le Canada et la Russie. Ces gouvernements peuvent croire que leur situation géographique peut leur permettre de laisser loin derrière l’ours du climat ou, de toute façon, qu’ils disposent de ressources suffisantes pour éviter le pire, au moins pour une fraction de leur population. Comme je l’ai mentionné dans un article précédent, certaines élites du monde sont peut-être déjà parvenues à la conclusion que l’ours du climat arrive rapidement et qu’ils peuvent se sauver en se déplaçant vers un terrain plus élevé, tout en laissant les pauvres se noyer ou être cuits vivant.
Bien sûr, cette interprétation ne peut pas être prouvée et il se peut même qu’elle soit fausse. Il est également vrai qu’il existe encore un espace pour une stratégie collaborative qui résoudrait le problème climatique au moyen d’une transition énergétique rapide. Néanmoins, le jeu du dilemme du campeur offre une perspective sur la situation actuelle que je ne voudrais pas rejeter comme impossible, et pas même comme improbable.
Note : cette publication a été inspirée par une histoire racontée par Filippo Musumeci, publiée (en italien) sur le blog « Effetto Risorse ».
Ugo Bardi
Note du Saker Francophone On peut aussi imaginer que l'ours puisse être le symbole de la dette, d'un emploi dans une multinationale, d'une guerre civile... Et dans ces temps de russophobie, vous pouvez aussi réécrire l'histoire sans les ours mais avec des Pygargues à tête blanche aux serres acérées par exemple.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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