Le 20 octobre 2017 – Source Telesur
Ce mois, on se souvient de nouveau de la Révolution à Grenade – même si c’est, de nouveau, uniquement pour de fausses raisons.
Il y a cependant un changement cette année : un nouvel ouvrage propose un récit attendu depuis longtemps des événements de 1983 qui ont conduit à la mort de la jeune révolution la plus dynamique de son époque.
La révolution de Grenade a commencé le 13 mars 1979 et a duré quatre ans et demi, jusqu’en octobre 1983, lorsqu’une série d’événements a conduit à l’arrestation, à la détention, à la libération, puis à la mort du Premier ministre Maurice Bishop, suivie par un coup d’État militaire et une invasion conduite par les États-Unis – tout cela en une semaine.
Au cours des 34 années qui ont suivi, beaucoup a été dit et écrit sur ce qui s’est réellement passé et a conduit à l’arrestation de Bishop le 17 octobre et à l’invasion américaine le 25 octobre 1983.
Mais alors qu’on a dit beaucoup de choses dans des articles et des livres, des vidéos et des documentaires télévisés, les récits ont toujours varié en fonction de l’interprétation de l’auteur ou du narrateur de qui avait raison ou tort entre les deux factions du New Jewel Movement, NJM [littéralement : Nouvel effort commun pour le bien-être, l’éducation et la libération].
Le sentimentalisme et l’émotivité ont caractérisé la plupart des premiers récits (sinon tous), ce qui est tout à fait compréhensible vu la gravité des circonstances et les blessures et les cicatrices profondes laissées par les événements tragiques qui ont vu des camarades tués au nom des principes révolutionnaires.
Des reproches convaincants à l’égard de la faction du 1er ministre Bernard Coard du NJM, lui attribuant toute la responsabilité des morts et la fin de la révolution, ont été proposés dans le long métrage documentaire Forward Never, Backward Ever, du célèbre producteur de cinéma de Trinidad, Bruce Paddington, qui inverse le principal slogan de la révolution pour rapporter des témoignages émanant principalement de parents des victimes et de partisans de Bishop.
Bien que la plus grande partie de ces récits aient été de seconde ou de troisième main, d’autres, plus clairs et adéquats, sont apparus provenant de certains des principaux acteurs impliqués après que 17 anciens camarades du NJM de Bishop et de l’Armée révolutionnaire populaire, emprisonnés pour sa mort, ont été libérés de leurs longues périodes de détention politique.
Le premier ouvrage publié par les anciens prisonniers a été celui de Joseph Ewart Layne, un major de l’Armée révolutionnaire populaire (ARP) pendant les événements de 1983. Intitulé « We Move Tonight » et publié en 2014, c’est un récit sur « le début de la Révolution à Grenade ».
Dans ce livre, Layne n’essaie pas d’expliquer ce qui s’est passé en octobre 1983. En tant que jeune participant, Layne propose une vision détaillée des idées et des actions précédant l’attaque du 13 mars 1979 contre les casernes de l’armée, qui ont conduit à la première révolution armée réussie dans une nation anglophone indépendante des Caraïbes.
Layne, qui a écrit son livre pendant son incarcération de 26 ans, a obtenu un diplôme en droit de l’Université de Londres et est également diplômé de la Hugh Wooding Law School à Trinidad & Tobago, après avoir commencé ses études de droit à la prison de Richmond Hill à Grenade.
Mais un acteur important lors de la phase finale qui a scellé le sort de la révolution vient d’offrir un récit longtemps attendu, dont lui seul était capable.
Bernard Coard, juriste, écrivain et universitaire formé aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a été vice-Premier ministre et codirigeant du Gouvernement révolutionnaire populaire et du NJM pendant la révolution.
Aujourd’hui, pour la première fois – trente-cinq ans plus tard – l’homme accusé d’avoir dirigé le processus qui a conduit à la mort de Bishop et à la fin de la révolution a pris la plume pour donner ses explications.
Le livre de Coard est intitulé « The Grenada Revolution – What Really Happened ? » [« La révolution de Grenade – Que s’est-il vraiment passé ? »] et contient ce que sa couverture décrit comme « un aperçu unique sur les causes, le cours et pour finir l’implosion de la révolution ».
Le livre, dit Coard, raconte « l’histoire du dedans : honnête, autocritique et basée sur la richesse d’une documentation crédible et indépendante ».
Il dit aussi qu’il « révèle, avec des détails dramatiques, les facteurs, les forces et les personnalités qui ont provoqué, par leur addition, l’aggravation de la crise au sein de la révolution de Grenade et finalement la tragédie intégrale ».
Horace Levy, un sociologue et professeur d’université jamaïcain réputé, affirme que le livre est « une page qui se tourne sur ‘qui l’a fait’. Un livre à lire ! »
Ce nouvel ouvrage emporte le lecteur par des détails que personne n’a vus ou dont il n’a jamais entendu parler, notamment les récits de Coard sur le rôle de Cuba pendant les crises politique et militaire.
Il décrit aussi en détail les résultats des rencontres cruciales entre le parti et l’armée ainsi que des réunions entre lui et Bishop pendant la période de crise.
Acclamé dans certains milieux comme l’auteur intellectuel de la transformation du NJM d’un parti de masse en un parti marxiste-léniniste, Coard a été à juste titre remercié, en tant que Ministre des Finances et du Développement économique du gouvernement populaire révolutionnaire (PRG), pour son rôle dans les miracles accomplis pour rendre l’État révolutionnaire viable économiquement et financièrement.
Les dirigeants des territoires voisins, membres de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECS) – en particulier les partenaires des Îles du Vent, Dominique, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-Grenadines – étaient ravis de trouver et de profiter chaque année du génie de Coard lorsqu’ils préparaient leurs présentations nationales pour leurs réunions annuelles avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire à Washington.
Mais tout a été réduit à néant après la nouvelle de l’arrestation de Bishop le 17 octobre 1983, prétendûment sur l’ordre personnel de Coard et mise en œuvre par sa faction du NJM et l’Armée révolutionnaire du peuple (PRA).
Entre le 17 et le 25 octobre 1983, Coard a été clairement l’homme le plus haï de la Grenade.
Son incarcération – avec d’autres – par les troupes d’occupation américaines et sa condamnation à la prison à perpétuité dans un procès bidon, payé par Washington et tenu hors de la compétence judiciaire de Grenade à l’époque, ont offert à Coard du temps pour penser – et réfléchir.
Rien dans son livre ne changera la position de ceux qui refusent obstinément d’avoir même une discussion sur ce qu’il pourrait avoir pensé pendant ces sombres journées d’octobre.
Mais pour ceux qui cherchent toujours des réponses aux nombreuses questions en suspens sur ce qui s’est réellement passé, le récit de Coard les aidera certainement à mieux comprendre ce qu’il pensait au moment où tout le monde le désignait.
Pendant ce temps, l’amertume persistante depuis 1983 a eu pour résultat que presque rien (et officiellement rien) n’a été dit ou fait à Grenade en mémoire de Bishop et du 19 octobre, alors que l’invasion du 25, présentée comme une « mission de sauvetage » est célébrée chaque année par un jour férié appelé « Thanksgiving Day » [Journée d’action de grâce] et dédié à l’intervention militaire.
Il existe une fondation privée pour la mémoire de la révolution à Grenade, mais il n’y a aucun sanctuaire pour honorer Bishop sur l’île – et, malgré des demandes chaque année, les Américains n’ont toujours pas rendu son corps à sa famille pour des funérailles chrétiennes correctes.
Des efforts précoces ont été faits pour effacer le nom de Bishop des institutions étatiques, avec Fort Ruper, le quartier général de l’Armée révolutionnaire populaire, aujourd’hui rebaptisé Fort George (son nom d’origine).
Mais l’aéroport international Maurice Bishop, commencé par les Cubains et mentionné par les États-Unis en 1983 comme une possible base soviétique, continue à porter le nom toujours révéré du tout premier ministre révolutionnaire de la minuscule île anglophone des Caraïbes.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone