Par Michel Delanature − Juin 2019
La régulière et inexorable dégradation de notre pays depuis plus d’un demi siècle est la preuve que ce que nous appelons, aujourd’hui, décisions politiques ou choix gouvernementaux ne sont pas des actes passés pour faire prospérer le pays, à court ou à moyen terme, ou des actes de gestion de ce genre. Dans un contexte où la carrière d’un dirigeant politique dépend de l’appui de personnes fortunées et influentes, il est normal que des liens d’influence se tissent et que les nouvelles lois visent à conforter l’influence et la fortune des soutiens. Les dirigeants médiatisés paraissent les acteurs d’un scénario décidé ailleurs que dans le champ de la vie politique.
Les grands médias n’ont aucun rapport avec l’information, ou le métier de journaliste, mais tout à voir avec la manipulation et la promotion des figures politiques acceptables. Les grands médias sont uniquement un outil de gouvernement, c’est à dire l’un des moyens utilisés par un petit nombre pour diriger l’ensemble de la société en dissimulant la direction suivie.
Les « représentants du peuple » présentés comme l’opposition politique, sont installés à la table du banquet. Les avantages de la situation, consistants et nombreux, la possibilité pour certains de se constituer une fortune personnelle, sont bien préférables au risque de prendre des coups, voire de briser une belle carrière en dépassant les limites assignées. Voici l’avis d’un grand homme d’État du 20ème siècle : « En réalité, le système représentatif ne tient pas. On ne peut pas faire reposer la vie d’une nation sur des gens qui ne pensent qu’à se faire mousser auprès de leurs mandants, de manière à se faire réélire le prochain coup. »
Le scénario, qui s’accélère depuis plus d’un demi-siècle, consiste en ce que les grands propriétaires des grandes sociétés privées dirigent les collectivités et les États le plus légalement du monde et de manière anonyme. C’est la conjonction de l’argent et du pouvoir dissimulé. Pour qui n’est pas l’un de ces propriétaires, la place assignée dans le scénario, ou celle de ses enfants est celle d’un esclave. C’est à dire qu’il ne pourra plus rien décider de son existence. Il pourra encore moins penser librement, ce dernier processus est bien avancé.
La majorité de la société souffre du développement volontaire du chômage, de l’installation d’une société de plus en plus inhumaine et sans valeur destinée à servir les intérêts des puissants. Mais elle ne réagit pas, et ne cherche pas à conclure à partir des faits qu’il est possible, avec un peu de curiosité, de rassembler. C’est une énigme aux causes multiples. On peut reconnaître que le brouillage des informations a atteint un niveau vraiment professionnel par le retournement de la réalité, l’organisation de la peur, à coté duquel la simple propagande est un travail de bricoleur. Par ailleurs, un grand nombre de personnes ne voit pas qu’en acceptant de reculer sans cesse, il ne leur restera rien ; ce n’est qu’une question de temps. Comme les moyens d’action sont invisibles il paraît préférable de croire aux fables, comme à la venue au pouvoir de l’opposition, aux prochaines élections, qui changera tout, bien que nous ayons eu maintes fois la preuve que l’alternance est factice et ne change rien. Coté électeurs, tout se passe comme s’il était préférable d’oublier et de réserver sa mauvaise humeur pour la comédie des élections, car on vote comme il est prescrit. Un premier pas serait de tourner le dos aux consignes de vote, puisqu’elles sont manipulées, de chercher soi-même dans les propositions ce qui est réaliste, même imparfait et ce qui n’est que du vent. Même cela paraît impossible.
Compte tenu de ce qui précède, un mouvement de rébellion paraît très utopique. Dans le contexte actuel de manipulation de l’opinion publique (ou de ce qu’il en reste), la probabilité est bien faible mais pourrait résulter d’un emballement progressif du mécontentement. Il faut un grand courage à ceux qui manifestent leur opposition ; aujourd’hui, on prend des risques pour son intégrité physique en sortant de la tranchée. L’enjeu de la répression impitoyable des manifestants est d’éviter le danger réel d’une révolte.
Tant que le scénario est caché, tout va bien et la prison se construit à l’abri du regard du grand public. Mais les mailles du filet commencent à apparaître ; les barbelés des clôtures deviennent visibles dans le paysage. Finalement, les grands médias sont là autant pour tromper que pour faire perdurer l’anesthésie et le confort du public. Ils méritent bien leurs médailles.
Comment cela finira-t-il ? Bien malin qui peut le dire mais, tandis que nous nous replions et régressons (et il faut garder à l’esprit que le travail de sape consiste également à miner les fondations du pays lui-même et tout ce qu’il protège), d’autres pays, plus solides, plus cultivés, mieux gouvernés, se développent, et bien entendu, nous n’en savons rien. Et si cela dure, il viendra un jour où, par comparaison, les injustices dans des pays vampirisés comme le notre, ne pourront plus être ni cachées ni justifiées de quelque manière que ce soit. Alors il est possible que le fruit pourri tombe de lui-même car, même les forces sur lesquelles s’appuie la classe dirigeante cachée se rendront compte qu’elles sont piégées. Le pays en faillite s’effondrera sur lui-même. La classe dirigeante cachée qui a pillé le pays n’aura plus personne sur qui s’appuyer, et probablement aura-t-elle mis ses actifs à l’abri et déménagé depuis longtemps. Une autre forme de pouvoir verra le jour. On assistera au déballage de plus d’un demi siècle de mensonges, à des règlements de compte et aux astuces des profiteurs pour s’en sortir. Et le pays en faillite mettra ensuite des décennies à rattraper le retard qu’il a accumulé, si le retard peut être rattrapé. Hélas, c’est le scénario optimiste car il est basé sur l’hypothèse que le pays, dirigé par les intérêts privés, ait pu perdurer.
Michel Delanature
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