Par Brandon Smith – Le 5 avril 2018 – Source alt-market.com
Lorsque les historiens et les analystes se penchent sur les facteurs entourant l’effondrement d’une société, ils se concentrent souvent sur les événements et les indicateurs les plus importants − les moments d’infamie. Cependant, je pense qu’il est important de considérer une autre réalité. Le déclin sociétal à grande échelle est construit sur un mélange d’éléments, importants aussi bien que petits. L’effondrement est un processus, pas un événement singulier. Cela arrive au fil du temps, pas du jour au lendemain. C’est un spectre de moments et de choix terribles, mis en mouvement dans la plupart des cas par des personnes en position de pouvoir, mais aidées par des idiots utiles parmi les masses. Le déclin d’une nation ou d’une civilisation nécessite la complicité d’une foule de saboteurs.
Ainsi, au lieu de nous concentrer sur l’approche descendante, qui est plutôt courante, partons des fondements de notre culture pour mieux comprendre pourquoi il y a une déstabilisation claire et définissable.
Boussole morale déclinante
Il y a toujours un conflit entre gain personnel et conscience personnelle − c’est la nature d’un être humain. Mais dans une société stable, ces deux choses ont tendance à s’équilibrer. Ce n’est pas le cas lors d’un déclin sociétal car le gain personnel (et même le confort personnel et la gratification) tend à l’emporter largement sur les freins et contrepoids des principes moraux.
Les gens confondent souvent le terme « moralité » avec une création religieuse, mais ce n’est pas nécessairement ce à quoi je fais allusion. Les concepts de « bien » et de « mal » sont archétypaux − c’est-à-dire qu’ils sont psychologiquement inhérents à la plupart des êtres humains depuis leur naissance. Ce n’est pas une question de foi, mais une question de fait, observée par des spécialistes dans le domaine de la psychologie et de l’anthropologie au cours de siècles d’études. Notre relation avec ces concepts peut être affectée par notre environnement et notre éducation mais pour l’essentiel, notre boussole morale est psychologiquement enracinée. C’est à nous de la suivre ou de ne pas la suivre.
Regarder comment les gens gèrent ce choix est un de mes passe-temps et je prends des notes. Vous pouvez en apprendre beaucoup sur l’état de votre environnement en observant ce que les gens autour de vous ont tendance à faire face à ce conflit entre gain personnel et conscience personnelle. Il est triste d’admettre que même si je vis dans l’Amérique rurale, où vous êtes plus susceptible de trouver une certaine autonomie et une stabilité culturelle, je peux pourtant voir notre nation chanceler.
J’ai vu des soi-disant bonnes personnes agir malhonnêtement dans des accords commerciaux. J’ai vu des institutions locales escroquer des citoyens travailleurs. J’ai vu un système judiciaire plein de préjugés adopter une attitude de favoritisme « à la papa ». J’ai vu des compagnies locales prétendre être des contributrices bienveillantes de la communauté tout en organisant des fraudes et des rackets. J’ai même vu quelques personnes au sein même du mouvement de la liberté mettre en péril le mouvement avec leur propre avarice, leur gourmandise, leur narcissisme et leur sociopathie.
Encore une fois, il est important de prendre note de ces personnes et de ces institutions car à mesure que le système poursuit sa spirale descendante, ce sont ces personnes qui présenteront la plus grande menace pour les innocents.
Comme le note Carl Jung dans son livre The Undiscovered Self, il y a toujours un contingent de sociopathes latents et de psychopathes dans toute culture ; habituellement environ 10% de la population. En temps normal, ils sont obligés, au moins pour la plupart d’entre eux, de s’acclimater moralement au reste de la population. Mais en période de déclin, ils semblent sortir du bois comme les champignons après la pluie. Pendant la période intense de l’effondrement, ils n’ont plus à faire semblant d’être normaux et ils montrent leur vraie nature.
Le moment le plus dangereux est celui où les sociopathes latents ou les sociopathes épanouis assument des rôles de direction ou de pouvoir au pire de la crise. Alors que tout le monde est distrait par sa propre situation, ces personnes peuvent devenir un cancer, infectant tout avec leurs poursuites narcissiques et causant la destruction dans leur sillage.
Désintérêt pour récompenser la conscience
Au cours d’un effondrement culturel plus large, il peut devenir « à la mode » de considérer les actes de principe comme une chose à ridiculiser ou dont se moquer ou même de les voir comme des menaces au statu quo. Le concept d’« aller de l’avant » a préséance sur ce qui est juste même quand c’est difficile ; cette attitude n’est pas reléguée aux gens les moins honnêtes de la société.
Au fur et à mesure qu’un système s’effondre, un brouillard d’apathie peut en résulter. Les bonnes personnes peuvent devenir passives, se précipitant dans leur coin de pays et espérant que les temps mauvais passeront. L’expression « Je veux juste mettre tout ça derrière moi » est régulièrement invoquée ; mais alors que nous ignorons les offenses de ces terribles hommes et femmes, nous leur permettons également d’être. Comment ? Parce qu’en ne faisant rien, nous leur permettons de continuer leurs activités criminelles et nous soumettons les personnes et les générations futures à la victimisation.
Quand faire une chose bonne est considéré comme risible ou « folle » par ce qui semble être une majorité au milieu de la corruption généralisée, vous êtes vraiment au milieu d’un grand déclin.
Dans les cercles chrétiens, on parle parfois de l’idée de « vestige ». En termes chrétiens, cela représente généralement une minorité de vrais croyants survivant à une époque tumultueuse et immorale. Je vois ces « vestiges » non seulement comme un contingent de chrétiens, mais comme un contingent de personnes qui continuent de maintenir leurs principes et leur conscience face à une adversité sans précédent. Aux pires moments, ces personnes restent inflexibles, même si elles sont ridiculisées pour cela.
Désintérêt pour l’effort indépendant
On dit que dans ce monde il y a deux sortes de personnes − les leaders et les adeptes. Je n’en suis pas si sûr, mais je peux voir pourquoi cette philosophie est promue ; cela aide les personnes malfaisantes au pouvoir à rester au pouvoir en encourageant l’acceptation passive.
Je dirais qu’il y a en fait deux types de personnes dans ce monde − les personnes qui veulent contrôler les autres et les personnes qui veulent simplement être laissées tranquilles. Dans la vie, nous sommes parfois à la fois des leaders et des suiveurs. Nous devons juste être sûrs que lorsque nous menons, nous menons par l’exemple et non par la force et quand nous suivons, nous suivons quelqu’un qui en vaut la peine.
En tout cas, la passivité n’est pas une solution pour déterminer nos rôles dans la société. Dans la plupart des situations, une action indépendante est requise de chaque personne pour rendre le monde meilleur. Pourtant, dans une ère de crise systémique, c’est habituellement les efforts indépendants qui sont abandonnés en premier. Des millions et des millions de personnes attendent quelqu’un, n’importe qui, pour leur dire ce qu’ils devraient faire et comment ils devraient le faire. De cette façon, la société se retrouve en stase, figée dans une position d’inaction. Le collectivisme empoisonné l’emporte par l’agression de masse mais aussi par la passivité de masse.
En fait, lorsque les individualistes prennent des mesures, ils peuvent être réprimandés en cas de rupture de la société, même si leurs actions ont le potentiel de résoudre un problème. L’idée qu’un homme ou une femme (ou un petit groupe de personnes) puisse faire n’importe quoi, est qualifiée de « fantaisie » ou d’« illusion ». Mais les mouvements de masse de citoyens travaillant vers un objectif pratique sont rares et ils sont encore plus rares s’ils ne sont pas contrôlés ou manipulés au profit de l’ordre établi. Ce ne sont pas les mouvements de masse qui changent le monde pour le meilleur, mais les individus et les petites organisations dévoués, agissant sans permission et sans administration.
Ce sont ces individus et ces petits groupes qui, avec le temps et grâce à des efforts incessants, inspirent une majorité pour faire ce qui est nécessaire et juste. Ce sont ces personnes qui inspirent les autres à prendre enfin le leadership dans leur propre vie.
S’isoler soi-même
J’écris souvent sur la situation critique des droits individuels au sein de la société et je continue de considérer le facteur de l’individu comme l’élément le plus important de toute culture. Une culture fondée sur la protection et la promotion de l’individualisme et du bénévolat est, à mon avis, la seule culture qui réussira à éviter un effondrement total. Cela dit, l’inconvénient de l’individualisme manifeste est le danger de l’isolement. C’est-à-dire que lorsque les vrais individualistes ne se préoccupent que de leur situation personnelle et ignorent les circonstances du reste du monde, ils finissent par se mettre eux-mêmes en position d’être écrasés par ce monde.
L’organisation sur une base volontaire est non seulement saine mais vitale pour la longévité d’une société. Plus les gens se replient sur eux-mêmes et se soucient seulement de leurs propres conditions générales, plus il est facile pour les méchants de faire des choses mauvaises sans être remarqués. En outre, le repli sur soi à la suite d’un effondrement met les individus en échec car personne n’est capable de survivre sans au moins l’aide d’un plus large bassin de connaissances et de talents.
Dans un système basé sur la corruption, l’établissement encouragera l’isolement comme un moyen de contrôler la population. Ou, ils offriront un faux choix entre l’isolement et le collectivisme aveugle. La vérité est qu’il y a toujours un juste milieu. L’organisation volontaire et l’individualisme ne s’excluent pas mutuellement. J’appelle cela la « différence entre la communauté et le collectivisme ». Une communauté ne supplante pas l’individu, tandis qu’un collectif exige l’effacement complet des activités et de la pensée individuelles.
Si vous vous trouvez entouré de gens qui refusent toute organisation, même pratique et bénévole face à l’instabilité, alors votre société vit sans doute les derniers stades d’un effondrement.
Déni de désastre
Même si une crise ou un effondrement se déroule, si une société réalise, réagit et prend note du problème, il y a de l’espoir pour cette société. Si, cependant, cette société ignore volontairement le danger et nie même qu’il existe lorsqu’il se présente avec des preuves accablantes, alors cette société va probablement subir une désintégration complète et devra probablement repartir de zéro − avec un ensemble de principes et d’idéaux basés sur la conscience et l’honneur.
La force d’une culture peut être mesurée par sa volonté de réfléchir sur elle-même. Sa survie peut être déterminée par sa volonté d’accepter ses défauts lorsqu’ils surviennent et sa volonté de réparer les dégâts causés. Les sociétés conscientes sont difficiles à corrompre ou à contrôler. Ce n’est que dans le déni que les gens peuvent facilement être manipulés et réduits en esclavage.
Si vous ne pouvez pas accepter la réalité de l’abîme, vous ne pouvez pas bouger pour l’éviter ou vous préparer à survivre à la chute. Je vois cette question comme l’élément le plus important dans la lutte pour sauver les parties de notre société qui méritent d’être sauvées. Éduquer les gens sur les faits flagrants derrière notre propre déclin national peut dissoudre le mur du déni et peut-être nous trouverons quand la catastrophe frappera, qu’il y a beaucoup plus de personnes éveillées et conscientes prêtes à agir que nous ne le pensions initialement.
Brandon Smith
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone
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