Immanuel Wallerstein
Par Immanuel Wallerstein – Le 1er octobre 2016 – Source iwallerstein.com
Commentaire No 434
C’est la question que les gens de centre-gauche posent depuis un certain temps. Elle est posée de différentes manières en Amérique latine, dans la plus grande partie de l’Europe, dans les pays arabes et islamiques, en Afrique du Sud et dans le Nord-Est asiatique. La question est d’autant plus dramatique du fait que dans tant de ces pays, cela suit une période ayant connu d’importants changements à gauche.
Le problème pour la gauche est celui des priorités. Nous vivons dans un monde où la puissance géopolitique des États-Unis est en déclin constant. Et nous vivons dans un monde où l’économie-monde réduit fortement les revenus de l’État et des individus, si bien que le niveau de vie de la plus grande partie de la population mondiale est en baisse. Ce sont les contraintes pour toute activité politique de la gauche, des contraintes sur lesquelles la gauche peut très peu agir.
De plus en plus, des mouvements émergent qui fondent leur appel sur une dénonciation des partis politiques centristes dominants. Ces mouvements appellent à des politiques radicalement nouvelles. Mais il y a deux sortes de mouvements, ce qu’on pourrait appeler une version de droite et une version de gauche. La version de droite peut être trouvée dans la campagne présidentielle de Trump aux États-Unis, dans la campagne anti-drogue de Rodrigo Duterte aux Philippines, dans le parti Droit et justice en Pologne, et beaucoup d’autres. Pour la gauche, la priorité numéro un est d’empêcher ces mouvements de prendre le pouvoir. Ces mouvements sont fondamentalement xénophobes, excluant et utiliseront leur contrôle sur l’État pour écraser les mouvements de gauche.
D’autre part, il existe des mouvements de gauche qui se sont organisés sur la base de politiques de transformation radicalement neuves. Cela comprend la tentative de Bernie Sanders d’obtenir l’investiture démocrate pour la présidence des États-Unis, la tentative de Jeremy Corbyn de faire revenir le Parti travailliste britannique à son soutien historique du socialisme, Syriza en Grèce et Podemos en Espagne, et beaucoup d’autres. Bien sûr, lorsque de tels mouvements sont près d’arriver au pouvoir, la droite mondiale (dominante ou radicalement anti-establishment) s’unit pour les éliminer ou pour les forcer à modifier substantiellement leurs positions. C’est ce qui est arrivé à Syriza.
Donc cette seconde priorité a ses limites intrinsèques. Ces mouvements sont contraints de devenir une nouvelle version d’un parti social-démocrate de centre-gauche. Cela remplit une seule fonction : cela limite les dégâts à court terme pour les couches les plus pauvres, minimisant les dommages qu’elles subissent. Mais cela n’aide pas à la transformation.
L’objectif à moyen terme d’instaurer un nouveau système-monde relativement démocratique et relativement égalitaire exige une action politique d’un genre différent. Il exige de s’organiser partout au niveau inférieur de la politique et de construire des alliances à partir de là, plutôt que de haut en bas à partir du pouvoir étatique. Cela a été le secret de la récente force des mouvements anti-establishment de droite.
Ce qui permettra à la gauche de dominer dans la bataille des prochaines 20 à 40 années pour instaurer un système qui succédera à notre système capitaliste actuel, maintenant en déclin définitif, est une capacité à combiner la politique d’alliances à court terme pour réduire au minimum les préjudices que les budgets serrés font subir aux couches les plus pauvres, une opposition farouche au contrôle du pouvoir étatique par les mouvements anti-establishment de droite, et une organisation constante de la gauche mondiale au niveau politique inférieur. C’est très difficile et cela exige une clarté d’analyse permanente, des choix moraux fermes quant à la sorte d’autre monde possible que nous voulons, et des décisions politiques tactiques sages.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone