Par Adam Garrie −Le 29 août 2019 − Source eurasiafuture.com
L’une des caractéristiques définissant la constitution britannique est qu’il ne s’agit pas d’un simple corpus unifié, mais plutôt d’un mécanisme vivant, respirant, comprenant la Common Law, de grands documents telle la Magna Carta, le processus parlementaire, et une suite d’usages et de traditions qui se transmettent d’une génération à l’autre, de la même manière que la grande poésie d’Homère fut transmise de génération en génération dans le monde hellénique.
C’est ainsi que le système a été façonné par de nombreuses générations d’hommes et de femmes diligents, éclairés et vertueux, dont la manière de penser fait honneur à la tradition, cependant que ceux qui s’essayèrent à manipuler le système à leurs propres fins, au fil des siècles, furent exposés comme des fripons, des lâches, ou de sauvages idéalistes.
Dans le cadre de l’ordre constitutionnel, il est normal que le parlement se voie prorogé une fois par an, pour permettre au gouvernement de sa Majesté de préparer une nouvelle législation. Le programme législatif est alors lu par le Monarque, assis dans la Chambre des Lords, et c’est l’unique occasion au cours de laquelle les pairs du Royaume qui y siègent habituellement sont accompagnés des membres de la Chambre des Communes.
Du fait des luttes résultant du programme du Parlement précédent à livrer le Brexit, cela fait deux années qui viennent de s’écouler sans prorogation et sans discours de la Reine. De ce fait, si une chose a violé la procédure constitutionnelle, c’est bien le long délai sans prorogation du Parlement, alors que Theresa May occupait le poste de premier ministre — certainement pas la prorogation « mieux vaut tard que jamais » de Boris Johnson.
Aller brâmer qu’une prorogation constitue une aberration constitutionnelle, dont la durée couvre dans tous les cas la saison des conférences d’automne des partis, est tout simplement absurde. En outre, après que le Brexit a été débattu à mort de manière ininterrompue depuis trois années, il reste inimaginable qu’un débat parlementaire de plus sur le sujet puisse accomplir quoi que ce soit d’autre qu’un nouveau report, ou pire, la scandaleuse abrogation de la volonté du peuple, exprimée au cours du Référendum de 2016 sur le retrait des institutions européennes.
On en arrive donc ici à la vraie crise constitutionnelle — l’échec du dernier Parlement (dont les membres comprendront dans une large part ceux du nouveau parlement qui va ouvrir à la mi-octobre) à honorer les résultats du référendum de 2016, au cours duquel une majorité d’électeurs avait décidé de retirer l’adhésion britannique de l’Union Européenne.
En termes strictement constitutionnels, le parlement est souverain et suprême, et peut donc abroger toute législation adoptée par un parlement précédent. De ce point de vue, tout référendum au Royaume-Uni est consultatif. Mais cela rend la charge du parlement d’honorer le référendum plus grande encore qu’elle ne le serait dans un système comme celui de la Suisse, ou dans les systèmes de plusieurs États des USA, où le référendum est légalement contraignant.
Du fait que les référendums au RU sont consultatifs, et doivent le rester du fait des précédents constitutionnels, la volonté du parlement de défendre, de faire respecter, et de livrer les résultats d’un référendum est directement contingente au respect par le parlement de la souveraineté et de la liberté du peuple. Si le parlement est une institution souveraine, la nation l’est tout autant, et, il n’existe pas de représentant d’une nation qui soit supérieur à son propre peuple.
Dans un système où le référendum est légalement contraignant, les législateurs travaillant à mettre en œuvre les clauses de tels référendum n’agissent qu’en tant que serviteurs civils exécutant une tâche. Mais dans le système britannique, ils font plus que cela — ils agissent sur instruction directe du peuple, qui a pris une décision souveraine au cours d’un processus démocratique pacifique.
À l’inverse, en essayant de stopper le Brexit, de retarder le Brexit ou de rabaisser le Brexit, le parlement sortant a fait preuve d’un absolu mépris pour le peuple, en ne souscrivant pas à ses instructions, pourtant basées sur le concept d’une majorité exprimée lors d’un suffrage universel [Comme en France à l’issue du Référendum de 2005 ; mais certains pays se préoccupent de ces considérations plus que d’autres, NdT].
En conséquence, la crise législative entourant le Brexit ne constitue pas le résultat d’une crise constitutionnelle : ses origines remontent plutôt à une crise de confiance. Le respect de la souveraineté du peuple est devenu partie d’une constitution évolutive, que le parlement sortant s’est employé à écarter avec la désinvolture la plus choquante qui soit.
Quoique la prorogation, décidée à présent comme elle l’a été, ne garantisse pas que le gouvernement de Boris Johnson honorera bien sa promesse de respecter la volonté du peuple, elle montre au minimum que Boris Johnson veut, par un geste symbolique, montrer au peuple qu’il souscrit au fait que la position du parlement sortant était basée sur le mépris du peuple, et non sur la confiance en la décision souveraine du peuple britannique.
Adam Garrie
Note du Saker Francophone Et "va te faire foutre toi-même", Hugh Grant, qui croit que l'avenir de tes privilégiés d'enfants passe devant celui des fils et des filles du peuple britannique.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone