Art et Liberté d’exécration
Hollywood tue des Arabes : le film. 

Par Khaled A. Beydoun et Abed Ayoun, Al Jazeera
Le 25 janvier 2015 – Source Al Jazeera

le film “American Sniper” nous SATURE EN rejouANT leS VIEUX clichés racistes.

Le film réalisé par Clint Eastwood contient tous les clichés des films de guerre selon Beydoun and Ayoub [Reuters]

L’art et la propagande ont un rapport intime. Tout spécialement aujourd’hui, aux États-Unis, où les films de guerre sont un genre sacré qui montre, dans l’intimité, des M. Tout-le-monde états-uniens issus de la classe moyenne ordinaire de leur pays et placés au milieu des dangers d’un champ de bataille à l’étranger, où ils deviennent des héros aux proportions historiques.

L’illustration la plus récente de ce genre, American Sniper [1], se déroule en Irak. Le film, réalisé par Clint Eastwood, présente tous les clichés essentiels du genre film-de-guerre: le soldat protagoniste traité comme personnage principal, le paradigme du bien contre le mal, et la présentation de ce dernier comme implacablement méchant, menaçant, et déterminé à détruire tout ce qui est pur et civilisé.

American Sniper ne déçoit pas et présente cette néfaste dichotomie, renforcée par les lieux communs ordinaires sur les Irakiens et les musulmans qui attirent des masses de spectateurs. Au point que le film a établi, pendant son premier week-end, un record au box-office. Celui-ci se confirme tandis que le film entame sa deuxième semaine.

En parlant d’art

Le cinéma est un art, et une expression créatrice ne devrait pas être limitée par la loi. Cependant, l’art a un pouvoir d’incitation, surtout lorsque des méchants, dans un film qui fait un succès au box-office, sont représentés de façon caricaturale, malignement dénaturés, et apparaissent comme les incorrigibles opposants des États-Unis et de leur héros au revolver six-coups.

Dans American Sniper, les Irakiens ne sont rien de plus que des cibles pour le tir à la carabine et des ennemis, que Chris Kyle abat avec délectation pour imposer un patriotisme parasitaire – pour lequel un large secteur des États-Unis n’est pas seulement formaté, mais qu’il s’engage lui-même à perpétuer.

Tous les Irakiens, dans le film, sont présumés coupables. Et, donc, relèvent de la justice pervertie que Kyle est plus que disposé à imposer de façon répétée.

Si les impostures habituelles sur les écrans sont nocives, la violente réaction raciste inspirée par American Sniper met en évidence le fait que le cinéma équipe les promoteurs de la haine de munitions de plus en plus abondantes.

Et les cibles sont Arabes et musulmanes, des têtes de chiffon [enturbannées, NdT] et tous ceux qui peuvent ressembler aux caricatures d’Irakiens dans American Sniper.

American Sniper est beaucoup plus qu’une étude de caractère. Le héros principal, Chris Kyle, est un M. Tout-le-monde états-unien, qui incarne consciencieusement l’extrême mépris pour les musulmans, qui est endémique – et qui s’intensifie –  dans les États-Unis d’aujourd’hui. De plus, Kyle vit son séjour en Irak comme une occasion de venger les attaques terroristes du 11 Septembre, réduisant le patriotisme à une vendetta sanglante contre un petit peuple totalement déconnecté et dissocié de cette attaque.

Une étude caricaturale ?

Ces idées, et la vision du monde d’où elles surgissent, ne sont pas seulement celles de Kyle. A travers son positionnement comme archétype, Kyle représente plutôt une position basée sur une grandiose perspective, adoptée par un segment substantiel de la population des États-Unis. En outre, ces points de vue ne passent pas par un personnage tragique ou un nihiliste, mais à travers un héros en tenue de combat, coiffé d’une casquette de base-ball, et joué par une star de Hollywood bourreau des cœurs: Bradley Cooper, qui considère son massacre indiscriminé de 255 sauvages méprisables et méchants comme une croisade politique et spirituelle.

A travers le regard faussé de Kyle, le spectateur aussi voit les Irakiens comme des cibles, que ce soit une mère couverte d’un voile, un jeune garçon, ou le fictif rival Mustapha – le chevalier noir, l’inquiétante incarnation du mal, qui s’est engagé à détruire Kyle et tout ce qu’il représente.

Comme art et comme propagande, American Sniper continue la tradition du genre du cinéma de guerre. Mais dans le contexte de la considérable intolérance bigote arabophobe et islamophobe aux États-Unis, il rappelle un autre film, acclamé par la critique bien que raciste, Naissance d’une nation [1915], de D.W. Griffith. Celui-ci, parallèlement à la dichotomie d’American Sniper, héroïse des membres du Ku Klux Klan grâce à une mise en scène déplorable d’Américains noirs. Par conséquent, le film appelle les spectateurs à prendre les armes contre les méchants.

Comme de nombreux films antérieurs, American Sniper amalgame les Irakiens, les Arabes et les musulmans, al-Qaïda et les djihadistes. Pour Kyle et Eastwood, ces distinctions ne sont pas pertinentes..

Déployant une fois de plus de vieilles images orientalistes [2], les Irakiens du film, débiles mentaux, apparaissent comme les ennemis des divins démocrates, et doivent donc être méthodiquement mitraillés pour le bien de Dieu et de la patrie. Croyance qui, dans les États-Unis d’aujourd’hui, est bien plus une réalité qu’une fiction.

Depuis la sortie du film, le Comité américano-arabe contre la discrimination (ADC) a émis un avis à l’adresse de la communauté et averti d’une augmentation significative de la rhétorique de haine        violente contre les communautés arabe et américano-musulmane.

L’information a été publiée en réaction à la grande quantité de messages violents contre les Arabes et musulmans américains émis après la sortie du film American Sniper. Beaucoup de ces menaces ont passé par les réseaux sociaux.

Réactions violentes

Les menaces préconisent l’assassinat des Arabes et des musulmans américains. L’une d’elles dit même : «Excellent putain de film, et maintenant je veux vraiment tuer quelques putains de têtes de chiffon.» Dans un autre message de menace, maintenant supprimé, l’usager de Twitter Dex Harmon avait même écrit : «Grâce à American Sniper, j’ai eu envie d’aller tuer quelques putains d’Arabes», paroles suivies de l’émoticône de trois pistolets.

On ne doit pas ignorer l’incitation à la haine de ce genre de menaces. Elles doivent au contraire servir d’avertissement. Les discours et la rhétorique de l’incitation à la haine ne feront qu’ajouter à la culture de la violence, qui entraînera de nouveaux incidents et de nouvelles attaques. Surtout dans un contexte déjà mûr de haine arabophobe et islamophobe.

Les statistiques collectées par ADC, comme par le Centre légal sur la pauvreté du Sud, montrent qu’il y a eu une augmentation de 50% des crimes de haine contre les Arabes, les musulmans et les personnes perçues comme arabes ou musulmanes aux États-Unis. Cette augmentation est liée au début de la controverse sur la Mosquée Ground zéro, qui s’intensifiera certainement avec la réaction intérieure et globale contre Arabes et musulmans après l’attaque contre Charlie Hebdo.

Car tant qu’existeront l’imagerie négative et la haine permissive contre Arabes et musulmans, les membres de ces communautés continueront à vivre constamment dans la peur à l’idée qu’ils pourraient être les prochaines victimes d’un crime de haine. Le précédent existe et l’Histoire a montré qu’à mesure que la rhétorique empire, la culture de la criminalisation collatérale et les perspectives de violence augmentent.

American Sniper est de l’art. Mais c’est aussi une arme. Le droit à l’expression créatrice devrait être tempéré par la responsabilité. Faut de quoi le film American Sniper n’aboutit qu’à glorifier à l’attention du public, à travers son personnage central, les attaques indiscriminées qui touchent Arabes et musulmans pour le simple fait d’être arabes ou musulmans.

Nous espérons que ce n’est pas là l’objectif du film.

Khaled A Beydoun est professeur assistant de droit à l’École de droit Dwayne O. Andreas à l’Université Barry. Il est né à Detroit.

Abed Ayoub est directeur légal du Comité états-unien arabe contre la
discrimination à Washington DC. Il est né à Detroit.

Notes:

[1] Le film sortira en France le 18 février.
[2] Orientalisme : études universitaires occidentales sur l’Orient,
impliquant un point de vue faussé, méprisant et hostile. Voir l’étude
d’Edward Said : L’Orientalisme.

Traduit par Rosa Llorens relu par jj pour le Saker Francophone

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