Note du Saker Francophone Une fois n'est pas coutume, nous publions une réaction d'un lecteur et la réponse du traducteur. Cet échange mérite d'être porté à la connaissance des lecteurs du Saker Francophone, car il est représentatif de la réalité de notre travail, de notre questionnement et des choix qui sont les nôtres. Nous le publions tel que nous l'avons reçu.
Mail d’un lecteur – Le 11 janvier 2016
Bonjour,
Je suis très étonné de l’article Comment se porte État islamique dans le plus grand pays musulman au monde ?, reproduit par le Saker Francophone, sans même une petite critique pour l’accompagner. Et surtout en mettant en avant : «L’Indonésie est un pays dont le gouvernement n’est pas répressif, un pays qui n’est pas sous occupation, qui est politiquement stable, où il n’y a pas de conflits sociaux ou ethniques et où les musulmans ne sont pas une minorité persécutée.»
Dommage qu’il n’y ait plus de forum derrière les articles. Je suis loin de bien connaître ce pays, mais j’ai lu à son propos des articles d’une personne qui le connait très bien, et dont l’approche journalistique est plutôt louable et de qualité, et je pense que vous partagerez cette avis : il s’agit d’Andre Vltchek.
Donc voici deux petites lectures sur l’Indonésie qui contredisent assez fortement cet article :
http://www.legrandsoir.in
http://www.legrandsoir.in
Bonne lecture (et accrochez vous bien pour le second…)
Cela n’enlève pas tout à la thèse développée dans l’article de Delman, car forcément les conditions sociales internes influent sur le développement des radicalismes, mais tout de même…
On pourrait aussi relever l’assertion selon laquelle la Russie discriminerait sa minorité musulmane, mais bon, ça reste The Atlantic quand même, donc sur la Russie….
Bonne continuation!
Voici la réponse de Wayan, le traducteur de l’article.
Merci de votre intérêt pour notre site et de votre commentaire.
Je suis Wayan, le traducteur de l’article lié à votre commentaire.
D’abord, le Saker Francophone se donne une ligne éditoriale la plus ouverte et éclectique possible. Ne pas s’enfermer dans une ligne de pensée est la règle à laquelle nous portons le plus d’attention. Pour cela, nous n’hésitons pas à traduire et éditer des textes avec lesquelles nous ne sommes pas complètement d’accord, à partir du moment où ils sont bien argumentés et offrent un point de vue différent. Donc si vous n’êtes pas d’accord avec certains de nos textes, c’est normal. Mais continuez à nous lire, le prochain devrait vous satisfaire davantage.
Plus en rapport avec votre commentaire, maintenant. Je réside en Indonésie depuis plus de 20 ans et je connais l’avis d’Andre Vltchek sur le sujet. Voici ce que j’en pense : il connait l’Indonésie autant qu’un journaliste américain prétendrait connaitre la France après y avoir fait une enquête sur la France collabo de Pétain pendant la Seconde Guerre mondiale, puis enchaînerait sur les quartiers nord de Marseille, les indépendantistes corses et un petit dernier sur les milices d’extrême droite du FN. Voilà la France !
Tout cela est vrai, mais un Français s’exclamerait : c’est quoi cette caricature de mon pays ? Il enquête sur toutes les zones d’ombre et prétend décrire et connaitre mon pays. Un peu plus d’humilité, Mossieur le journaliste larmoyant.
Maintenant je confirme personnellement l’en-tête de l’article, car je suis RELATIVEMENT d’accord avec lui, si le mot relativement nous renvoie à ce qui se passe dans le reste du monde.
L’Indonésie est un pays dont le gouvernement n’est pas répressif. Bien sûr, des répressions il y en a encore. Mais où n’y en-t-il pas ? L’Indonésie a énormément avancé en matière de liberté d’expression depuis la chute de Suharto. C’est une société où le dialogue comme lien social est important. De temps en temps, certains flics ou militaires oublient encore que les temps ont changé, mais ils ne sont pas représentatifs de la nouvelle politique gouvernementale.
Il n’est pas sous occupation. Andre Vltchek prétend qu’il est dirigé par les Américains. Ce fut vrai il y a 30 ans. Mais ici comme dans le reste du monde, ils ont perdu leur attrait et leur puissance. L’Indonésie se tourne de plus en plus vers la Russie et la Chine, et vers le reste du monde.
Elle est politiquement stable. Vraiment et bien plus que la Thaïlande en ce moment, par exemple.
Il n’y a pas de conflits sociaux. Un peu, bien sûr, comme partout, mais rien de bien grave. Ni de conflits ethniques, le seul qui existe encore est avec les Papous. Mais de là à parler de génocide comme le fait Vltchek, c’est carrément déformer la réalité. Il y a bien un mouvement indépendantiste que le gouvernement central ne reconnaît pas, comme en Corse, en Écosse ou en Catalogne, mais Jokowi, le président indonésien, a ordonné publiquement aux militaires de ne pas utiliser la violence. Il y a bien encore quelques éruptions, hélas, mais parler de génocide…
Les musulmans n’y sont évidemment pas persécutés. Ah oui, le reportage de Vltchek sur le village chiite… D’abord, ce n’est pas une initiative gouvernementale, mais une attaque entre villages. Cela se passe à Madura, île à la réputation un peu violente, une sorte de Corse indonésienne. Et comme le dit l’article que j’ai traduit, il existe bien sûr en Indonésie une frange de la population extrémiste, comme dans tous les pays du monde, mais les autorités religieuses comme gouvernementales font tout ce qu’elles peuvent pour la contenir sans violence. Ah oui, les athées sont très mal vus, paraît-il, mais jusqu’ici, personne n’est encore venu me chercher des noises sur le sujet. Que Dieu me garde. Sérieusement, le mot lui-même ne veut rien dire pour 99% de la population, c’est un concept inimaginable ici.
Comprenez-moi bien, l’Indonésie n’est pas un pays abouti, ni parfait, loin de là. La loi de la jungle qui y règne, due à une administration totalement corrompue, reste encore LE problème du pays. Mais, par vécu, ce qui est dit dans le texte de l’article traduit correspond assez bien à la réalité du moment ici. L’extrémisme islamique n’arrivera pas à pénétrer les couches profondes d’une population trop pacifique de nature, et ceci malgré les efforts financiers de l’Arabie saoudite pour y construire un maximum d’écoles coraniques d’influence wahhabite. Mais là aussi, les autorités religieuses et gouvernementales ont déjà réagi. Dans une île surpeuplée comme Java, où réside la moitié de la population du pays, la notion d’équilibre social est une notion traditionnelle bien trop importante pour que l’on joue avec.
Chaleureuses salutations.
Wayan.
P.S. A la suite du récent attentat à Jakarta je vous renvoie a cette analyse du Point que vous trouverez ici
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