Par Rusty Guinn − Le 22 octobre 2019 – Source Epsilon Theory
Le monde libre se plonge sur le cas LeBron James [qui a tièdement pris parti pour la Chine à Hong Kong] depuis plus d’une semaine maintenant et il n’a pas pris une ride. Pourtant, quelque chose me met mal à l’aise. Suis-je mal à l’aise parce que le roi James a besoin d’une grâce spéciale, parce que je crains que nous ne soyons pas assez sincères dans nos critiques à son égard ? Non. Bon Dieu, non. Amusez-vous bien, vous tous. Je suis mal à l’aise parce qu’une fois que vous voyez clairement l’influence que le Parti communiste chinois peut exercer arbitrairement sur vous et moi en tant que citoyens du monde libre, vous voyez ce même pouvoir dans un million d’autres endroits. C’est comme un stéréogramme, une de ces images pour lesquelles nos yeux doivent vaincre leur tendance naturelle à coordonner les fonctions de focalisation et de vergence pour voir tout sauf une série de points répétitifs.
Et une fois qu’on le voit, on ne peut pas l’ignorer.
Quand j’avais 18 ans, j’ai fait une tournée en Chine et à Hong Kong avec l’Orchestre symphonique de l’Université de Pennsylvanie. Nous avons joué au Meet in Beijing Arts Festival dans une sorte de » partenariat « entre notre université et plusieurs universités en Chine continentale et à Hong Kong. Nous avons joué à l’opéra de Pékin qui n’avait jamais été orchestré pour des instruments occidentaux devant une foule incroyablement nombreuse. Nous avons joué devant une foule en cravate noire au Watermelon Festival près de Pékin. J’ai une jolie lettre signée par Henry Kissinger qui doit être dans une boîte dans mon grenier.
C’était il y a presque 20 ans, et c’est la première fois depuis très longtemps que je pense aux badges d’identité que l’on nous demandait de porter lors de ces deux événements. Nous étions des artistes, et il était important que nous ne soyons pas autorisés à converser ou à interagir à l’extérieur de notre rôle. Dieu nous garde de polluer l’air à proximité des cadres du parti, locaux et régionaux, qui étaient présents. Nos badges ont été vérifiées religieusement, même lorsque nous utilisions les toilettes avoisinantes – comme lors d’une visite sur le campus Westport de Bridgewater. Nous nous sommes donc blottis dans une petite pièce verte pendant plusieurs heures, en attendant – dans de nombreux cas, avec une sérieuse gueule de bois – que d’autres groupes se produisent. L’université, avide de tout ce qui pourrait accroître sa présence – lire financement – et son prestige – lire financement, et sa réputation – lire financement – sur la scène mondiale, a accepté avec joie toutes ces restrictions.
De très petites choses tout ça. Et si vous voulez faire valoir que l’attitude « À Rome fais comme les Romains », sur le territoire de quelqu’un d’autre, est plus acceptable que de voir le Parti communiste chinois presser les institutions américaines pour influencer le libre échange des idées sur nos propres rivages, je ne discuterai pas avec vous. C’était leur territoire, après tout. Mais ce n’est pas le centre de mon propos. Ce que je veux dire, c’est que je pense au pouvoir que le PCC a exercé sur moi pour la première fois depuis un certain temps. J’ai vu et je ne peux pas ignorer depuis combien de temps cela se passe dans un million d’endroits différents. Ce n’est pas nouveau. Il a toujours existé sous les explications abstraites qui m’ont convaincu de l’ignorer, comme un maillage coloré et répétitif de points.
Et une fois qu’on le voit, on ne peut pas l’ignorer.
Je ne suis pas seul. Voici ce que nous observons à l’échelle macro :
- Que tout le monde sait depuis les années Nixon – et nous le savions tous – qu’en exportant simplement le capitalisme et la libre entreprise, nous déchaînerions les forces de la liberté en Chine.
- Que ce que tout le monde sait est en train de se briser.
Aujourd’hui, nous savons tous que nous savons tous que l’influence du Parti communiste chinois sur ce que vous et moi faisons a été aidée, et non contrecarrée, par l’adhésion nominale de la Chine au capitalisme. Je pense que ce n’est pas la NBA, ou Hearthstone, ou Disney, mais la connaissance commune des effets de distorsion de la concentration du pouvoir sur l’efficacité des résultats du marché – qui est le véritable événement principal.
Néanmoins, avant d’examiner ce que cela signifie, cela vaut la peine de jeter un coup d’œil rapide à la façon dont les récits haussiers sur la croissance américaine sur les marchés chinois se sont retournés en un clin d’oeil.
La NBA
Le basket-ball – et par extension, la NBA – a facilement été le sport américain le plus exporté avec succès, malgré le fait qu’elle un lointain deuxième – ou troisième, selon la façon dont on le mesure – derrière la NFL [football américain] au niveau national en terme de notoriété. Les raisons de ce succès sont multiples, mais elles se résument toutes à une idée simple : lorsqu’il n’y a que cinq personnes dans chaque équipe sur le terrain, chacune étant visible et capable d’influencer de manière significative le résultat de chaque match, les Superstars sont la valeur de la marque. Les stars de la ligue existent, commercialisent et développent des identités et des marques indépendantes mais toujours au service de la NBA. Ils l’ont fait d’une manière qui est remarquablement en phase avec l’esprit de l’époque sociale et culturelle qui anime toutes sortes de décisions d’achat des consommateurs.
En d’autres termes, la NBA est l’exportation culturelle parfaite.
La couverture et la connaissance commune de la croissance des marques liées à la NBA en Chine ont donc été presque universellement positives pendant des années. Ce ne sera pas un secret, mais un coup d’œil à la carte narrative ci-dessous vous dira que la narration a toujours porté sur deux choses : combien il est Bon, et Important, de vendre des chaussures. Au cours des douze mois précédant le tweet de Morey, dix articles ont été notés par Quid comme ayant un sentiment généralement positif – mis en évidence par des nœuds verts dans les graphiques ci-dessous – pour chaque article noté négatif – nœuds rouges.
Les entreprises américaines qui ont maximisé leur empreinte et leur croissance en Chine ont été une Bonne chose.
A quoi ressemble ce monde après le tweet de Morey et la réponse de la Chine, de la NBA et des superstars comme LeBron James ? D’une part, le sentiment des médias sur l’image de marque et les efforts de marketing de la NBA en Chine est passé de 10 contre 1 positifs à 2 contre 1 négatifs. Mais les sentiments vont et viennent. Ce qui est fascinant, c’est la façon dont le langage utilisé dans les articles les relie au langage utilisé dans toutes sortes d’articles d’actualité à cycle plus long, comme les protestations de Hong Kong elles-mêmes – pour des raisons évidentes – la guerre commerciale entre Trump et la Chine, et surtout, d’autres exemples de pressions exercées par le PCC sur des entreprises et individus américains. Le langage consacré à la discussion sur la croissance économique, les opportunités des entreprises, et le pouvoir d’amélioration de la liberté après l’adoption du capitalisme par les Chinois ?
Disparu. Pas diminué. Disparu.
Vous remarquerez également que la carte du réseau est beaucoup moins dense – c’est ainsi que la visualisation montre des différences et des distances plus marquées entre les principaux sujets et les groupes. Nous avions tous l’habitude de chanter le même hymne sur les brillants efforts de la NBA en Chine. Aujourd’hui, c’est un champ de bataille de langage et de comportements missionnaires concurrents.
Bref, la NBA en Chine n’est plus seulement une histoire de croissance cool. Aujourd’hui, nous savons tous que tout le monde sait qu’elle est liée à de grandes questions politiques, sociales, culturelles, économiques et de droits de l’homme que le pouvoir concentré dans le PCC a empêché les marchés de refléter clairement.
Blizzard
Blizzard Entertainment a fait l’objet de tirs similaires pour avoir retiré un prix gagné par un participant à un concours pour Hearthstone, son jeu de construction sur le thème de World of Warcraft. La raison ? Il s’est fait le porte-parole des manifestants de Hong Kong dans un live sur internet, et la direction de Blizzard a subi des pressions de la part du PCC pour prendre des mesures. Au cas où vous ne le sauriez pas, l’éditeur de Hearthstone n’est pas une société d’État chinoise. Il s’agit d’une filiale d’Activision Blizzard, société cotée et domiciliée aux États-Unis.
Bien qu’il n’y ait – encore -pratiquement aucune couverture dans les publications grand public, eSport est une industrie énorme et en plein essor, en particulier en Asie de l’Est et du Sud-Est. Au cours de la même période pré-Morey, le récit sur eSport en Chine était uniforme, cohérent et presque universellement positif. C’est exactement la carte narrative à laquelle on s’attendrait d’une industrie en pleine croissance, axée sur le divertissement, avec des médias professionnels qui l’appuient et qui bénéficient de ses caractéristiques de croissance et de divertissement – un peu comme la presse financière.
Après que Blizzard se soit prosternée devant Pékin, comme c’est le cas pour le récit de la marque NBA, le récit sur le eSport en Chine est devenu immédiatement moins cohérent, beaucoup plus négatif et immédiatement lié par la langue et la terminologie aux conflits politiques, sociaux et économiques mondiaux.
Écoutez, je ne suis pas ici pour vous dire que tout a changé pour la NBA ou Blizzard ou toute autre société qui a construit son histoire autour de la croissance en Chine. Les gens oublieront qu’ils en voulaient à LeBron James et à la NBA. Et je parle de semaines, pas de mois. Le sentiment va s’apaiser. Désolé, mais c’est vrai. Les gens aiment vraiment les jeux vidéo et le basket-ball. Sur CNBC, d’ici le quatrième trimestre de 2020, nous reviendrons aux « Initiatives de croissance en Chine », qui occupent la première ligne des diapositives du rapport de gestion des sociétés américaines. Les gens aiment vraiment les gains croissants. Imaginez un peu ça. [C’était avant la Covid-19, NdT]
Mais la prise de conscience – en général – de ce que la Chine peut faire ? Ça ne peut pas être invisible. Qui plus est, elle correspond presque parfaitement à ce que nous avons décrit comme la connaissance générale – telle que représentée dans les médias politiques – de l’élection de 2020, à savoir qu’il s’agit de l’identité et de l’élimination de la concentration des titulaires du pouvoir financier et politique. Cependant, contrairement à ces récits, ou à ceux qui sont promus par les slogans de la campagne Trump 2016 pour drainer-le-marais, la préoccupation de la Chine a un attrait universel. Cette question et l’inévitable conclusion qu’il « faut faire quelque chose » ne vont pas disparaître.
Pour ma part, je suis en conflit.
D’un côté, je ne peux pas ignorer ce que j’ai vu. Il n’est pas seulement désagréable ou indésirable que la Chine soit en mesure d’influencer – et de punir ! – aussi directement le libre exercice des droits aux États-Unis. C’est intenable.
Je crois aussi en la liberté d’action, de pensée et d’association. Je crois en ces libertés comme des fins en soi, sans être gêné par la nécessité de les justifier en évaluant leurs effets de second ordre. Je n’arrête pas de croire en ces idéaux lorsqu’ils concernent les interactions commerciales privées entre individus et/ou entreprises. Ce n’est pas parce que j’ai la fantaisie de croire qu’un commerce transfrontalier non réglementé et sans restriction mènera toujours à des résultats universellement optimaux. Bien sûr que non. Mais parce que je crois sincèrement aux marées montantes et à la fonction généralement supérieure des caractéristiques informelles, non planifiées et spontanées des marchés pour organiser nos activités collectives.
Je crois aussi que le fait de permettre à des entreprises formées par des Américains de faire des affaires où bon leur semble donnera généralement de meilleurs résultats globaux qu’une personne très intelligente qui a tout intérêt à transformer son salaire de fonctionnaire de $175 000 par an en une valeur nette de plusieurs millions de dollars, et qui croit avoir la pré-science de dicter quelles industries nationales devraient être subventionnées et retenues et lesquelles ne devraient pas l’être. Je craindrai toujours que le remède contre les concentrations de pouvoir ne soit pire que la maladie.
Et vous tous, j’ai de bonnes raisons de m’inquiéter. Rappelez-vous, si vous le voulez bien, que chaque fois que quelqu’un vante le fait de s’appuyer sur l’État et la politique, pour résoudre les distorsions causées sur les marchés par la concentration du pouvoir, les gens qui prennent ces décisions pensent des choses comme celle-ci :
Malgré tout, peu importe à quel point nous sommes en conflit ou mal à l’aise, ces discussions s’annoncent. Toi et moi ne pourrons pas les éviter. Anti-concentration. Restrictions sur le commerce et les activités avec des puissances étrangères comme la Chine. Abolition des milliardaires, peut-être même réduction du pouvoir de l’État – désolé, je voulais juste voir si vous ne dormiez pas. Ce n’est pas un sujet temporaire. Que cela vous plaise ou non, c’est l’esprit du temps.
Alors, quelle est la réponse ?
Les yeux grands ouverts. Nous voyons et rejetons le mème du « Vive le capitalisme ! » qui ne tolère aucune dissidence quant à l’idée que la liberté d’entreprise est la panacée qui s’infiltrera pour renverser les dictateurs et les tyrans. Nous le faisons en sachant que la forme du mème ne ressemble guère à la simple croyance que l’organisation sociale non structurée et démocratique, qui récompense ceux qui prennent des risques, est un mécanisme magnifique et éprouvé pour rendre les hommes et les femmes plus riches et plus libres.
Permettez-moi de le dire plus clairement à mes collègues libéraux des marchés de niches : nous devons être prêts à voir et à identifier les concentrations de pouvoir et leurs effets, sans craindre que cela implique nécessairement notre consentement à une solution fondée sur une politique d’État qui pourrait être pire.
Haut les cœurs. Nous reconnaissons que ni nous ni personne d’autre ne pouvons être objectifs quant aux concentrations de pouvoir que nous jugeons déformantes. Nos déterminations refléteront notre posture et nos croyances sur un grand nombre de choses. Nous serons tentés de considérer nos propres conclusions comme allant de soi et éprises de justice. Nous serons tentés de voir les conclusions des autres comme des tentatives d’ingénierie de la société à leur propre image. C’est l’effet de l’élargissement du tourbillon. Mais même lorsque tout dans notre tête nous dit que la personne avec qui nous discutons utilise le pouvoir exercé par la Chine, Facebook, les banques ou le gouvernement comme raison pour restructurer la société en fonction de ses préférences personnelles, nous écoutons et traitons ces arguments de bonne foi jusqu’à preuve du contraire.
Longtemps après que nous aurons oublié la réécriture forcée des scénarios de films de Disney, ou les cartes de la Chine qu’ESPN [réseau de télévision thématique orienté sur le sport] utilise comme fond d’écran pour son émission Sportscenter, ou les interdictions d’accès par les sociétés de jeux et les médias sociaux, ce débat sera avec nous. Pour ceux d’entre nous qui croient vraiment, vraiment, sincèrement, au pouvoir du capitalisme, nous pouvons nous appuyer sur le mème de « Vive le capitalisme ! » pour les contrecarrer, et les affronter de bonne foi.
Nous sommes dans ce dernier camp.
Traduit par Hervé, relu par jj pour le Saker Francophone
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