Comment les nations vont récupérer de la crise du coronavirus


Par Helena Cobban – Le 9 mai 2020 – Moon of Alabama

J’ai une voisine et amie qui a été une des premières victimes de la Covid-19. Elle n’est pas morte, Dieu merci, mais – comme beaucoup d’autres survivants – elle a subi une convalescence de près de deux mois. Le rétablissement des nations face aux effets de la maladie sera encore plus long et complexe.

En mars, la Fed de San Francisco a publié un rapport (PDF ici) évaluant l’impact économique à long terme de 15 grandes pandémies depuis la peste noire de 1347-52. Elle a constaté que l’effet déprimant de ces pandémies sur les économies qui en ont souffert a duré 40 ans – la courbe bleu ci-dessus. Même si elles n’en valent pas la peine, les guerres provoquent un effet économique généralement positif qui commence au bout de 5 ans et se prolonge pendant plus de 40 ans – la courbe rouge.

Il est clair, cependant, que les pays actuellement touchés par le Covid-19 « s’en remettront » à des rythmes différents, de différentes manières et à des degrés divers.

Le 14 avril, Gita Gopinath, la brillante directrice du département de recherche du FMI, publiait un rapport donnant à réfléchir, dans le cadre de la série des Perspectives de l’économie mondiale du FMI, rapport qui prévoit que le PIB mondial se contractera en 2020, de 3 % en dessous de ce qu’il était en 2019. Il s’agit d’une révision spectaculaire des Perspectives de l’économie mondiale qu’elle a publiées en janvier dernier, dans lesquelles elle prévoyait que le PIB mondial augmenterait de 6,3 % en 2020.

Mais la contraction prévue par Gopinath en avril n’est pas répartie de manière uniforme dans le monde. Dans le graphique ci-dessus publié sur son blog, elle nous montre – dans la moitié gauche de l’image – qu’elle s’attend à ce que le PIB des États-Unis se contracte de 5,9 % en 2020, alors que celui de la Chine augmenterait de 1,2 %. Les chiffres précis de ces prévisions se trouvent ici.

Tous ceux d’entre nous qui vivent aujourd’hui aux États-Unis constatent en direct la quasi-défaillance de l’économie du pays. Je passe à pied et en voiture devant des magasins et des petites entreprises fermés et devant des campements de sans-abri d’une dimension alarmante – ici, dans la « capitale du monde libre ». J’ai un gendre qui a créé et géré, en copropriété, deux restaurants/bars autrefois très animés à New York, fruit de quinze années de travail acharné. Aujourd’hui, juste avec l’un d’entre eux, il essaie de gagner un peu d’argent en faisant de la vente à emporter. Mais personne ne peut décrire cela comme une bonne affaire. L’argent « pour assister » que le président et le Congrès ont distribué est minuscule par rapport aux besoins de la plupart des gens, et son effet n’est qu’à très court terme. Entre-temps, la façon dont le gouvernement fédéral a réagi aux aspects médicaux de la crise, de façon stupide et criminellement corrompue, va faire en sorte qu’elle se poursuive pendant plusieurs mois encore, rebondissant d’un endroit à l’autre du pays. Il est tout à fait possible que la prochaine fois que le Dr Gopinath publiera une projection de l’OMS, les perspectives de l’économie américaine pour 2020 soient encore pires qu’à la mi-avril.

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Il existe trois facteurs clés qui détermineront l’efficacité de la capacité d’un pays à rebondir, sur le plan économique, d’une épidémie de Covid-19 – ou de tout autre Covid qui pourrait survenir dans son sillage… :

  • L’efficacité des mesures médicales et de santé publique qui sont prises.
  • La nature de l’intervention économique du gouvernement.  J’envisage de diviser cette question en deux sous-catégories : la taille et la direction d’une telle intervention. Mais une intervention malavisée, qui grignote les finances, sera préjudiciable quelle que soit sa taille… [Plus sur ce point, ci-dessous, NdA]
  • La capacité du gouvernement à garder la confiance du public pour ses actions concernant les deux premiers points.

Comme je l’ai écrit dans mon blog, le 6 mai dernier, la réponse du gouvernement américain au défi médical, et de santé publique, a été incroyablement médiocre. Le taux de mortalité enregistré à cette date, de 21,78 pour 100 000 habitants, en un peu plus de deux mois à compter du premier décès, est effroyable pour un pays aussi riche. De nombreux décès de Covid-19 n’ont peut-être pas été enregistrés comme tels. Et aux États-Unis, le nombre de décès continue d’augmenter.

En Chine, en revanche, le taux de mortalité était de 0,33 pour 100 000 habitants et la pandémie a apparemment été stoppée en mars. C’est le résultat de mesures de santé publique jugées draconiennes, à l’époque, par de nombreux observateurs extérieurs. Ces mesures furent le développement, la distribution et le déploiement rapides d’un test de dépistage du virus, le verrouillage complet de la ville de Wuhan, d’importantes restrictions dans le reste du pays, en particulier à ses frontières, et la mobilisation de nombreux cadres de différents niveaux pour les tâches médicales et sociales.

La semaine dernière, de nombreux élèves de Wuhan sont retournés à l’école ; et CBS a même annoncé que le Disneyland de Shanghai devait rouvrir la semaine prochaine.

Lorsque les gouvernements ont réagi à la forte contraction de l’activité économique provoquée par les diverses mesures de quarantaine et de verrouillage, ils ont choisi, pour la plupart, deux approches différentes. L’une d’entre elles consiste à distribuer la quasi-totalité des aides à travers les institutions financières. Et cela, comme l’économiste Michael Hudson, basé à New York, l’a expliqué ici, peut être fait de nombreuses manières indirectes ; pas seulement de la façon chaotique dont les banques ont organisé le « soutien aux petites entreprises » comme Trump l’a voulu.

L’autre approche, fondamentalement différente, serait une répétition de ce que FDR a fait dans les années 1930, en réponse à la Grande Dépression. Dans son programme du « New Deal », c’est le gouvernement fédéral qui a géré presque tous les programmes, qui étaient fortement axés sur la modernisation des infrastructures. Le gouvernement fédéral s’est occupé directement de la quasi-totalité de ces programmes. Le rôle des banques et des spéculateurs était minime.

Oui, le New Deal a impliqué la mise en place de nombreux programmes entièrement nouveaux, en partant de rien, ce qui a pris du temps. Oui, cela a impliqué une grande augmentation du rôle du gouvernement fédéral, non seulement dans l’économie mais aussi dans la société américaine en général… Et cela a fonctionné.

Devinez qui a mis en place des politiques du type de celles de Franklin Delano Roosevelt cette fois-ci ? Non, ce n’est pas Donald Trump. C’est le président chinois Xi Jinping. Selon ce récent article d’Eva Dou dans le Washington Post, les dirigeants chinois ont, en 2010, chargé l’économiste Liu He, aujourd’hui vice-premier ministre, d’étudier la réponse du pays à la crise financière de 2008-2009. Liu a également, semble-t-il, inclus une étude sur le New Deal de FDR dans le rapport que son équipe a publié trois ans plus tard.

Dou écrit :

La réaction de la Chine cette année montre qu'elle a tiré quelques leçons de la crise financière de 2008.À l'époque, Pékin avait inondé le pays de liquidités et de crédits bon marché, ce qui a permis à son économie de continuer à croître, mais a entraîné des années d'endettement pour les gouvernements locaux et la hausse des prix de l'immobilier, a déclaré l'économiste en chef de Citibank pour la Chine, Li-gang Liu...

Cette fois-ci, la Chine a annoncé qu'elle allait surmonter la crise grâce à la construction d'infrastructures, une méthode de relance économique plus stable mais plus lente. Xi a récemment averti que les maisons étaient faites pour y vivre, et non pour spéculer avec.

Plusieurs autres aspects du rapport de Liu, tels que décrits par Dou, sont également intrigants.

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De quelle taille d’économies parlons-nous, aux États-Unis et en Chine ? En 2019, le PIB des États-Unis s’élevait à 21 200 milliards de dollars, et celui de la Chine à 14 200 milliards de dollars, avec une population quatre fois plus importante. Si, au cours des deux ou trois prochaines années, l’économie chinoise peut afficher une certaine croissance continue alors que l’économie américaine continue de se contracter – ce qui est tout à fait possible -, alors d’ici 2022 ou 2023, les économies des deux pays pourraient être de taille à peu près égale.

Une forte économie confère un pouvoir au sein du système international de plusieurs façons. Un pays, ou un groupe de pays comme l’UE, qui possède une économie robuste peut disposer d’atouts dont d’autres pays peuvent avoir besoin ou envie, elle peut alors les utiliser comme levier. Il s’agit notamment des éléments suivants :

  • Ses produits, s’ils sont de bonne qualité et à un prix raisonnable
  • Sa technologie
  • Ses capitaux d’investissement et autres instruments financiers
  • L’accès à son marché
  • L’accès à ses instruments financiers.

Au cours des 75 dernières années, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont utilisé tous ces leviers de puissance économique. Le Japon et l’UE, ainsi que certains pays membres de l’UE comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, les ont utilisés, au moins en partie. Au cours des 20 dernières années, la Chine a également été de plus en plus en mesure d’utiliser – et a utilisé – tous ces leviers.

Les performances économiques brutes en termes de PIB ne se traduisent pas, bien entendu, directement par du pouvoir au sein du système mondial. Parmi les autres facteurs qui confèrent également celui-là dans le système mondial, on peut citer : la solidité des relations, commerciales ou autres, que le pays entretient avec d’autres pays ; la capacité – prouvée – de défendre son pays contre les menaces extérieures ou le déclin interne ; des qualités que les citoyens d’autres pays admirent, notamment la réputation de générosité et d’honnêteté ; le droit de veto au Conseil de sécurité et une position forte dans d’autres organisations internationales. Je vais en examiner quelques-unes dans les derniers billets de cette série.

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Depuis près de vingt ans, j’observe la hausse progressive du PIB mondial chinois – ainsi que les graphiques du PIB par habitant – et la baisse concomitante de la position des États-Unis dans ces graphiques. Le déclin des États-Unis est encore relatif plutôt qu’absolu. En termes absolus, leur PIB est toujours « numéro un » ! Mais le déclin s’est accéléré à partir de 2003, lorsque les présidents américains successifs ont décidé de consacrer des montants massifs de recettes publiques à des aventures militaires de grande envergure, et toujours désastreuses, dans le monde entier. En novembre dernier, le projet « Costs of War » de l’université Brown a chiffré le coût de ces guerres pour le budget des États-Unis : 6 400 milliards de dollars pour la période 2001-2020. Ces fonds auraient pu être investis dans la rénovation et la modernisation des infrastructures vitales du pays, y compris les infrastructures de santé. Mais non. Au lieu de cela, l’argent est allé dans les poches des grands entrepreneurs militaires qui en ont ensuite utilisé une partie pour de coûteuses opérations de lobbying destinées à s’assurer que la truie des dépenses militaires continue à nourrir sa progéniture – c’est-à-dire eux-mêmes.

Lorsque Donald Trump est devenu président, en 2017, l’un de ses premiers instincts a été de se retirer des guerres étrangères. C’était à peu près son seul bon instinct. Le complexe militaro-industriel s’est alors révélé capable de ralentir beaucoup des mouvements de retrait militaire qu’il voulait faire… L’un des autres thèmes récurrents de la présidence Trump a été son désir de « découpler » l’économie américaine de l’étroite intégration qu’elle avait développée, à de nombreux niveaux, avec l’économie chinoise, dans le cadre d’un effort plus large pour arrêter ou ralentir la montée en puissance de la Chine dans le système mondial. Au niveau économique, nous avons vu les « guerres douanières » et la campagne contre Huawei. Sur le plan militaire, nous avons assisté à une légère escalade des « démonstrations de puissance » que la marine américaine fait en mer de Chine méridionale. La mobilisation contre « l’influence chinoise » semble également venir naturellement à un président qui n’hésite pas à dénigrer tout personne – même des citoyens et des hommes politiques américains – qui se trouve ne pas avoir la servilité d’un européen.

Avec l’éruption de la Covid-19 dans les communautés ethniques de tout le pays, la tendance préexistante du président Trump à diaboliser et à dénigrer tout ce qui est chinois s’est considérablement accrue ; stimulée, semble-t-il, par son désir évident de trouver un bouc émissaire à blâmer pour la terrible situation que Covid-19 a infligée aux Américains et sa tentative de détourner l’attention des électeurs de la grave responsabilité que lui et son administration portent à leur égard.

Lui et ses conseillers économiques se rendent clairement compte que, les chaînes d’approvisionnement des grandes industries américaines étant toujours inextricablement liées aux entreprises situées en Chine et la Chine détenant toujours 1 100 milliards de dollars de dette publique américaine, il ne peut pas simplement couper le cordon et se découpler de la Chine du jour au lendemain. Hier, son secrétaire au Trésor et le représentant américain au commerce ont passé un coup de téléphone au vice-premier ministre chinois Liu He, afin de rassurer les deux parties sur le fait que l’accord commercial conclu il y a quatre mois serait toujours respecté.

Mais aujourd’hui, moins de 12 heures après la déclaration commune rassurante publiée après l’appel téléphonique, M. Trump déclarait à Fox News qu’il était « très partagé » sur l’accord commercial et qu’il n’avait « pas encore décidé » s’il allait le maintenir. Ceci, alors qu’il lance de fréquentes tirades verbales contre la Chine pour avoir « provoqué » la crise du coronavirus.

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Les données économiques et de santé publique que j’ai examinées dans le dernier billet de mon blog, et dans celui-ci, indiquent toutes fortement que l’équilibre du pouvoir économique entre Washington et Pékin commence à changer très rapidement. Étant donné l’incapacité, ou la réticence, des États-Unis à prendre les mesures de santé publique nécessaires pour arrêter ou même diminuer la propagation de Covid-19, cet équilibre va basculer en faveur de la Chine encore plus rapidement au cours de l’année à venir.

Nous entrons tous sur cette planète dans un monde post-coronavirus, dans lequel la force des infrastructures de santé publique d’un pays constituera nécessairement, et sera perçue comme, la composante majeure de la puissance d’une nation. Les pays qui ne disposent pas d’une infrastructure de santé publique solide verront non seulement leur pouvoir dans les affaires mondiales décliner rapidement, mais ils se trouveront aussi de plus en plus exclus des relations normales – visites individuelles, tourisme, commerce, etc. – par les pays qui en disposent.

Il y aura presque certainement un grand découplage, mais il ne ressemblera en rien à celui que les idéologues anti-chinois de Washington préconisent. Pour la plupart des Américains, les perspectives sont très sombres.

Helena Cobban

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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