Par Simon Romero – Le 31 décembre 2018 – The New York Times
CHANDLER, Arizona – Un jour d’octobre vers midi, l’agresseur se glisse hors d’un parc et se dirige vers sa cible, un fourgon sans chauffeur construit par Waymo, une filiale de Google, qui tourne au ralenti à une intersection voisine.
L’agresseur mène son attaque avec un objet pointu non identifié, perforant rapidement un des pneus. Le suspect, identifié comme étant un homme blanc d’une vingtaine d’années, disparait ensuite dans le quartier, à pied.
Cette attaque, une parmi deux douzaines d’attaques perpétrées ces deux dernières années contre des véhicules sans chauffeur, à Chandler, une ville près de Phoenix, où Waymo a commencé à tester ses fourgonnettes en 2017. La ville s’était pourtant penchée sur les réticences du public à l’égard de la montée de l’intelligence artificielle, et les fonctionnaires municipaux ont entendu des plaintes sur tous les sujets, de la sécurité à d’éventuelles pertes d’emploi.
D’après les rapports de police, certaines personnes ont caillassé des fourgonnettes Waymo. D’autres ont essayé à plusieurs reprises de faire sortir les véhicules de la route. Une femme a crié sur l’une des camionnettes en lui disant de quitter son quartier. Un homme s’est arrêté à côté d’un véhicule Waymo et a menacé l’employé qui se trouvait à l’intérieur avec un morceau de tuyau en PVC.
Au cours de l’une des anecdotes les plus graves, un homme a menacé un véhicule Waymo et son conducteur de secours avec un revolver de calibre .22. Il a dit à la police qu’il « méprisait » les voitures sans chauffeur, à cause de l’accident mortel d’une piétonne, en mars à Tempe, non loin de là, par une voiture Uber sans chauffeur.
« Il y a d’autres endroits où ils pourraient tester », nous dit Erik O’Polka, 37 ans, qui a reçu un avertissement de la police en novembre, après avoir, à plusieurs reprises, essayé de faire sortir les fourgonnettes Waymo de la route avec sa Jeep Wrangler. Dans un cas, il s’est dirigé de face vers un de ces véhicules automatiques jusqu’à ce qu’il soit obligé de freiner soudainement.
Son épouse, Elizabeth, 35 ans, a admis dans une interview que son mari « trouve amusant de freiner brusquement » devant les fourgonnettes sans chauffeur, et qu’elle-même « les a souvent forcées à s’arrêter » pour pouvoir leur crier dessus en leur disant de sortir de leur quartier. Cela a commencé, selon le couple, lorsque leur fils de 10 ans a failli être heurté par l’un de ces véhicules alors qu’il jouait dans un cul-de-sac voisin.
« Ils ont dit qu’ils ont besoin d’essais grandeur nature, mais je ne veux pas être victime d’une de leurs erreurs grandeur nature », nous déclare M. O’Polka, qui dirige sa propre entreprise qui fournit des technologies de l’information aux petites entreprises.
« Ils ne nous ont jamais demandé si nous voulions faire partie de leur test grandeur nature », rajoute sa femme, qui aide à gérer l’entreprise.
Au moins 21 attaques de ce type ont été lancées contre des fourgonnettes Waymo à Chandler, comme l’a signalé pour la première fois The Arizona Republic. Certains analystes disent qu’ils s’attendent à ce que de tels comportements se multiplient à mesure que le pays s’engage dans un débat plus large sur les voitures sans chauffeur et les changements colossaux qu’elles provoqueront dans la société américaine. Ce débat porte sur des craintes allant de la cession du contrôle de la mobilité à des véhicules autonomes à la suppression d’emplois pour les conducteurs.
« Les gens s’acharnent à juste titre », explique Douglas Rushkoff, théoricien des médias à la City University of New York et auteur du livre Throwing Rocks at the Google Bus [Lancer des pierres sur les cars Google]. Il compare les voitures sans chauffeur à des équivalents robotiques des briseurs de grève, ces travailleurs qui refusent de se joindre aux grèves ou qui prennent la place de ceux qui sont en grève.
« On a de plus en plus l’impression que les grandes entreprises qui perfectionnent les technologies sans chauffeur n’ont pas nos intérêts à cœur, ajoute-t-il. Pensez aux humains qui entraînent ces véhicules, qui forment l’intelligence artificielle qui les remplacera. »
Ces chauffeurs d’urgence des fourgonnettes Waymo qui ont été attaqués dans divers cas ont expliqué à la police de Chandler que l’entreprise préférait ne pas poursuivre les agresseurs en justice.
Dans certains de leurs rapports, les policiers ont également déclaré que Waymo n’était pas souvent disposé à fournir des vidéos des attaques. Dans un des cas, un employé de Waymo a répondu à la police qu’elle aurait besoin d’un mandat pour obtenir une vidéo enregistrée par les véhicules de l’entreprise.
Un gestionnaire de Waymo a montré des images vidéo de l’incident à l’agent Johnson, mais n’a pas permis à la police de les conserver pour une enquête plus approfondie. Selon le rapport de l’agent Johnson, le directeur a déclaré que l’entreprise ne voulait pas poursuivre l’affaire en justice, même si Waymo était préoccupé par les perturbations que connaissent ses essais à Chandler.
L’officier William Johnson, de la police de Chandler, décrit dans un rapport écrit en juin comment le conducteur d’un Cruiser Chrysler zigzaguait entre les lignes blanches pour gêner une fourgonnette Waymo.
Le rapport indique que Waymo était préoccupé par l’effet des attaques sur ses conducteurs d’urgence, qui sont censés rester en mode de surveillance. « Ces incidents incitent les conducteurs à reprendre le mode manuel plutôt que de rester en mode automatisé en raison de leurs peurs de ce que le conducteur de l’autre véhicule peut faire », y écrit l’agent Johnson.
Les chauffeurs d’urgence des fourgonnettes Waymo qui ont été attaquées ont dit à la police de Chandler que l’entreprise préférait ne pas poursuivre les agresseurs en justice.
Dans un communiqué, une porte-parole de Waymo a déclaré que les attaques ne concernaient qu’une petite fraction des plus de 25 000 miles que les camionnettes de la compagnie parcourent chaque jour en Arizona.
« La sécurité est au cœur de tout ce que nous faisons, ce qui signifie que la sécurité de nos conducteurs, de nos motocyclistes et du public est notre priorité absolue, a déclaré Alexis Georgeson, la porte-parole de Waymo. Au cours des deux dernières années, les Arizoniens ont bien accueilli et se sont montrés enthousiasmés par le potentiel de cette technologie qui rend nos routes plus sûres. »
Mme Georgeson a déclaré que l’entreprise prenait au sérieux la sécurité de ses chauffeurs d’urgence et a contesté les allégations selon lesquelles Waymo essayait d’éviter une mauvaise publicité en choisissant de ne pas intenter une action en justice.
« Nous signalons les incidents que nous jugeons dangereux et nous avons fourni des photos et des vidéos aux forces de l’ordre locales lorsque nous avons signalé ces actes de vandalisme ou d’agression, déclare Mme Georgeson. Nous soutenons nos chauffeurs et nous nous engageons dans les cas où un acte de vandalisme a été perpétré contre nous. »
Les autorités de Chandler et d’ailleurs en Arizona restent volontiers ouvertes à Waymo et à d’autres entreprises de voitures sans chauffeur. Rob Antoniak, directeur de l’exploitation de Valley Metro, qui aide à superviser le système de transport en commun de la région métropolitaine de Phoenix, a déclaré sur Twitter que l’Arizona accueillait toujours les voitures autonomes à bras ouverts malgré les attaques contre les fourgons Waymo.
« Ne laissez pas des criminels lançant des pierres ou crevant des pneus faire dérailler les efforts pour assurer l’avenir des transports », a déclaré M. Antoniak.
Mais ce tapis rouge officiel ne convainc pas les esprits négatifs.
L’un d’entre eux, Charles Pinkham, 37 ans, se tenait dans la rue devant un véhicule Waymo à Chandler un soir d’août quand la police l’a approché.
« Pinkham était en état d’ébriété, et son comportement variait de calme à belliqueux et agité pendant mon contact avec lui, a écrit l’officier Richard Rimbach dans son rapport. Il a dit qu’il en avait marre des véhicules Waymo qui circulaient dans son quartier, et qu’il pensait que la meilleure idée pour résoudre ce problème était de se tenir debout devant ces véhicules. »
Ça a marché, apparemment. L’employée de Waymo qui était à l’intérieur de la camionnette, Candice Dunson, a décidé de ne pas porter plainte et a dit à la police que l’entreprise préférait arrêter d’utiliser ses véhicules dans cette zone.
Pinkham a reçu un avertissement. La fourgonnette a continué sa route.
Simon Romero
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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