Résister ? Résister ! Pourquoi et comment ?


Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein

Par Immanuel Wallerstein – Le 1er mars 2017 – Source iwallerstein.com

Depuis des temps immémoriaux, les gens qui se sentent opprimés et/ou ignorés par les puissants ont résisté à leur autorité. Cette résistance a souvent changé les choses, mais seulement parfois. Que l’on considère la cause des résistants comme vertueuse, cela dépend de leurs valeurs et de leurs priorités.

Aux États-Unis, au cours du dernier demi-siècle, une résistance latente a émergé contre ce qui était vu comme une oppression par les « élites », qui introduisaient dans les pratiques sociales des changements offensants pour certains groupes religieux, ainsi que pour des populations rurales ignorées et pour des personnes dont le niveau de vie déclinait. Au début, la résistance a suivi la voie du retrait de l’engagement social. Puis elle a pris une forme plus politique, pour finir par prendre le nom de Tea Party.

Le Tea Party a commencé à engranger quelques succès électoraux. Mais il était dispersé et sans stratégie claire. Donald Trump a vu le problème et la chance qu’il représentait. Il s’est présenté comme un dirigeant unificateur de ce « populisme » de droite et a catapulté le mouvement en pouvoir politique.

Ce que Trump a compris est qu’il n’y a pas de conflit entre diriger un mouvement contre le soi-disant establishment et chercher le pouvoir à travers le Parti républicain. Au contraire, la seule manière dont il pouvait atteindre ses objectifs maléfiques était de combiner les deux.

Le fait qu’il ait réussi dans la plus grande puissance militaire mondiale a encouragé des groupes semblables partout dans le monde, qui ont poursuivi des voies similaires avec un nombre toujours plus grand d’adhérents.

La réussite de Trump est encore incomprise à ce jour par la majorité des dirigeants des deux grands partis américains, qui cherchent des signes qu’il deviendra ce qu’ils appellent « présidentiel ». C’est-à-dire qu’ils veulent qu’il abandonne son rôle de leader d’un mouvement et se limite à être le président et le dirigeant d’un parti politique.

Ils s’emparent du moindre petit signe qu’il le fera. Lorsqu’il a adouci son discours pendant un moment (comme il l’a fait dans son discours du 28 février au Congrès), ils n’ont pas compris que c’est précisément la tactique trompeuse d’un leader de mouvement. Au lieu de quoi, ils se sentent encouragés et pleins d’espoir. Mais il ne renoncera jamais à son rôle de leader d’un mouvement, parce qu’au moment où il le ferait, il perdrait son véritable pouvoir.

L’an passé, face à la réalité de la réussite de Trump, un contre-mouvement a émergé aux États-Unis (et ailleurs) qui a pris le nom de Resist. Les participants ont compris que la seule chose qui pourrait éventuellement contenir et finalement vaincre le trumpisme, est un mouvement social qui se mobilise pour des valeurs et des priorités différentes. C’est le « pourquoi » de Résister. Ce qui est plus difficile, c’est le « comment » de Résister.

Le mouvement Résister s’est développé à une vitesse extrême, parfois suffisamment impressionnante pour que la presse grand public commence à parler de son existence. C’est la raison pour laquelle Trump fulmine constamment contre la presse. La publicité nourrit ce mouvement et il fait ce qu’il peut pour écraser le contre-mouvement.

Le problème avec Résister est qu’il en est déjà au stade où ses nombreuses activités sont dispersées et sans stratégie claire ou du moins sans une stratégie déjà adoptée. Il n’y a pas non plus de figure unificatrice capable, à ce point, de faire ce que Trump a fait avec le Tea Party.

Résister s’est engagé dans toutes sortes d’actions différentes. Ils ont organisé des marches, contesté les représentants locaux du Congrès dans leurs assemblées publiques, créé des sanctuaires pour des personnes menacées d’expulsions ordonnées par l’État, perturbé les moyens de transport, publié des dénonciations, signé des pétitions et créé des collectifs locaux qui se réunissent pour étudier et décider d’autres actions locales. Résister a été capable de transformer de nombreuses personnes ordinaires en militants, pour la première fois de leur vie.

Résister va cependant au devant de quelques dangers. De plus en plus de participants seront arrêtés et emprisonnés. Être un militant est exigeant et après un certain temps, beaucoup de gens s’en lassent. Et ils ont besoin de réussites, petites ou grandes, pour maintenir leur moral. Personne ne peut garantir que Résister ne disparaîtra pas. Il a fallu des décennies au Tea Party avant d’arriver où ils en sont aujourd’hui. Cela peut prendre autant de temps pour Résister.

Ce que Résister, en tant que mouvement, doit garder à l’esprit, est le fait que nous sommes au milieu d’une transition historique structurelle entre le système-monde capitaliste dans lequel nous avons vécu pendant 500 ans et un ou deux systèmes qui lui succéderont – un système non capitaliste qui préserve toutes les pires caractéristiques du capitalisme (la hiérarchie, l’exploitation et la polarisation) et son opposé, un système relativement démocratique et égalitaire. J’appelle cela la lutte entre l’esprit de Davos et l’esprit de Porto Alegre.

Nous vivons dans une période de transition chaotique et confuse. Cela a deux implications pour notre stratégie collective. À court terme (disons jusqu’à trois ans), nous devons nous rappeler que nous vivons tous dans le court terme. Nous souhaitons tous survivre. Nous avons tous besoin de nourriture et d’abri. Tout mouvement qui espère s’épanouir doit aider les gens à survivre, en soutenant tout ce qui diminue la douleur de ceux qui souffrent.

Mais à moyen terme (disons 20 à 40 ans), diminuer la souffrance ne change rien. Nous devons nous concentrer sur notre lutte contre ceux qui représentent l’esprit de Davos. Il n’y a pas de compromis. Il n’y a pas de version « réformée » du capitalisme qui puisse être construite.

Ainsi, le « comment » de Résister est clair. Nous avons collectivement besoin de plus de clarté sur ce qui est en train de se se passer, de plus de choix moral décisif et de stratégies politiques plus perspicaces. Cela n’arrive pas automatiquement. Nous devons construire cette combinaison. Nous savons qu’un autre monde est possible, oui, mais nous devons aussi être conscients qu’il n’est pas inévitable.

Immanuel Wallerstein

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

   Envoyer l'article en PDF