Jusqu’à quand abuserons-nous de notre innocence ?
Par Zénon − juillet 2016
À nouveau résonne dans nos rues l’écho des nuits barbares. À nouveau s’égrènent condoléances et promesses de singes, tandis que les familles de victimes n’ont pas fini d’enterrer leurs proches. À peine essuyées les larmes et le sang, que les semeurs de haine s’en donnent à cœur-joie. Que les plus ignorants réclament à cor et à cri leurs propres chaînes, et que les politicards apportent en réponse toujours plus de contrôle et de surveillance.
Toujours plus de guerres et d’innocents sacrifiés. Devant ce déferlement de violence aveugle, devant la fureur et le bruit des bottes, devant l’accélération du cours des événements mondiaux, nous nous indignons, certes, à juste titre. Nous recherchons les vrais coupables et nous demandons quelles solutions adopter pour s’en sortir. Mais dans notre conditionnement, quel qu’il soit, nous continuons d’attendre que proviennent de l’extérieur tous les remèdes à nos maux… Il devrait pourtant être clair, au vu de tout ce qui se pratique aujourd’hui à visage découvert, que rien de positif ne saurait naître d’une énième procuration sur nos vies et notre avenir.
Nous le savons : les puissants ne tiennent leur autorité que par la somme des pouvoirs que nous acceptons de leur concéder. D’abord par le vote, lequel ne fait qu’entretenir aux yeux du bon peuple l’illusion démocratique, par le biais de la fausse alternance. Le suffrage universel» est un leurre : tous les prétendants aux mandats publics sont cooptés au sein des écoles et autres think tanks à la solde néolibérale. De fait, voter revient à légitimer les décisions d’une caste politicienne de métier, dont la collusion d’intérêts, entre eux, ainsi qu’avec les pontes de l’industrie et de la finance, n’est que trop flagrante. Quels que soient leur résultat, les élections ne visent jamais qu’à assurer les différentes sphères d’influence que surtout, rien ne changera.
En notre nom a été décidée, puis patiemment élaborée durant soixante ans, la formation de l’union européenne. Celle-ci a permis la mainmise quasi-totale d’un conglomérat de lobbys et de technocrates sur la moindre prérogative populaire. La mise sous tutelle des économies nationales par l’application des politiques d’austérité dictées par la City et Wall Street. L’organisation logistique et légale de cette transhumance de main-d’œuvre low-cost que représentent les flux migratoires. Entre autre signature à venir du pacte transatlantique ; fin programmée de notre droit de choisir ce que l’on consomme.
En notre nom ont été envoyés, au prétexte de lutte antiterroriste, nos soldats participer aux guerres néocoloniales atlantistes, nos avions bombarder à tout-va hommes, femmes et enfants ressortissants d’Afghanistan, de Libye, de Côte d’ivoire, de Centrafrique, du Mali, du Tchad, d’Irak, et à présent de Syrie. Le tout bien évidemment au nom des droits de l’homme. Et avec l’argent de nos impôts…
En notre nom ont été votées, en réponse au terrorisme né des agissements de ceux-là mêmes prétendant vouloir le combattre, les suppressions progressives de nos libertés publiques et privées. L’implantation de caméras partout, la reconversion de nos soldats en vigiles de supermarchés touristiques, notre mise sur écoute généralisée. La fin de tout état de droit au profit d’un état d’urgence à la vocation clairement affichée de se voir constitutionnaliser.
En notre nom ont été actées la déréglementation massive dans les domaines alimentaire et médical, la fin de la séparation de l’exécutif et du judiciaire, via la disparition des juges d’instruction. L’abrutissement programmé des générations futures, par la baisse des exigences scolaires et la diffusion de programmes encourageant toujours plus à la bêtise et la perversion. L’abrogation dans les faits de l’habeas corpus, aussi bien à travers les détentions à durée illimitée, à titre préventif et sans procès, de présumés terroristes au sens large ; incluant dans les textes tous les dissidents politiques potentiels, avec la promesse d’un traitement thérapeutique pour ces derniers ; que par cette loi scélérate rendant le don de nos organes pratiqué d’office sur nos dépouilles encore chaudes, sauf formulaire de désaccord préalablement adressé à l’instance ad hoc.
En notre nom et sous couvert d’information, les médias distillent incessamment la haine par tous les canaux : à la télé, sur le net, dans les journaux, sur les affiches, dans les haut-parleurs des gares. Diabolisent toute forme de communauté, ethnique, nationale, religieuse ou même d’appartenance réelle ou supposée à telle ou telle affinité d’opinions. Nous infantilisent à travers le gavage permanent de la pédagogie. Réduisent toujours leur vocabulaire au fil des exigences politiquement correctes, pour nous faire entrer dans le cadre étroit de leur pensée unique.
En notre nom et par la somme d’argent réel que nous leur confions, un étroit consortium de banques privées se réserve le droit de battre monnaie au détriment des nations. Celui d’alimenter perpétuellement l’endettement public et privé par le système des réserves fractionnaires, de rançonner les contribuables dans le contexte d’une soi-disant crise financière. Le droit d’affamer les populations de pays entiers en spéculant sur le prix des matières premières, voire le cas échéant d’y semer la guerre. Le droit, enfin, de nous enchaîner toujours plus à des boulots inutiles et aliénants, non plus en vue de jouir du standard de vie promu par les publicitaires, mais simplement pouvoir se loger, nourrir tant bien que mal sa famille, au jour le jour, bon an mal-an, un jour de plus, et ainsi de suite. Ad nauseam.
Au nom de notre confort et notre sécurité sont perpétrés les crimes d’utilisation d’armes nucléaires appauvries, d’ingénierie climatique, de trafic génétique des animaux et des plantes, au seul motif de l’accroissement du profit, de passage à tabac de manifestants par la police, d’incarcérations arbitraires, de distributions d’armes à des juntes terroristes et de leur vente à grande échelle à tous les pays, des opérations Gladio, des mensonges, des abus de confiance, de traite des noirs, des blancs, des rouges, des jaunes, des viols de lois, des viols de personnes, assassinats, tortures légales, génocides lents, humanitaires ; conformes au protocole de Kyoto et à la convention de Genève. La paix achetée, l’amour vendu, le rêve bradé, les corps soumis, pliés, bien sages, les félicitations du jury épinglées aux murs et les consciences tranquilles…[Le Nobel de la Paix à Obama, NdlR]
Cette série d’attentats ayant dernièrement endeuillé la France nous indique une chose : c’est que nous autres, citoyens, avons depuis longtemps accepté trop de trahisons de la part de nos dirigeants. Depuis des décennies, ceux-là privilégient l’intérêt de puissances étrangères, politiques ou financières, au préjudice de celui du peuple qu’ils prétendent représenter. Nous en observons aujourd’hui les conséquences : l’ingérence dans notre politique extérieure par les USA, le financement de groupes d’extrême gauche par les mondialistes, celui de l’extrême droite par la Russie, des campagnes électorales par les monarchies du Golfe, la mainmise de Bruxelles et de la City sur nos économies, sans oublier l’acquisition de la quasi-totalité de notre classe politique à la cause d’Israël. Et au lieu de défendre les pseudo-principes fondateurs de la république, je pense notamment au droit des peuples à s’autodéterminer ; au lieu de faire le ménage chez nous afin de recouvrer notre souveraineté, nous infligeons la même chose aux pays du Moyen-Orient et d’Afrique. Il ne faut pas, dès lors, nous étonner ni des retours de flammes d’incendies que nous avons allumés, ni de notre incapacité à les prévenir.
Certes, la plupart d’entre nous n’ont jamais directement pris part à ces forfaitures. Et l’on pourrait logiquement s’en déclarer innocents. Pourtant, nous avons cautionné par les urnes la présence de ces nuisibles au pouvoir, depuis des générations. Nous avons par naïveté, ignorance ou paresse, délégué nos capacités d’organisation et d’action commune à des marchands de sable [et d’armes, NdlR]. Il est donc difficile d’ouvrir les yeux. Mais nous n’entretenons pas seulement cette mécanique de mort par le vote. Il faut également compter sur les impôts, dont nous n’acceptons de nous acquitter que par crainte de poursuites pénales. Sur les crédits que nous contractons pour complaire à nos caprices, à notre blonde ou au petit dernier. Sur notre tendance à la flemme, complètement essorés par le quotidien. De faire la cuisine, chercher des produits locaux naturels, de s’instruire et de s’informer. Sur notre peur d’aller vers l’Autre. Notre indifférence. Nos choix de vêtements, de matériaux, de fourniture en énergie et plus généralement de consommation. Compter sur la peur du lendemain et notre penchant paradoxal à le compromettre au nom de l’instant présent… La liste est longue et ne saurait être exhaustive.
Une parenthèse : le libre-arbitre est une loi universelle. Inaliénable. Nous pouvons dissimuler nos faiblesses derrière les abus de pouvoir d’une minorité : ceux-ci ne sont possibles qu’avec notre consentement, actif ou passif. C’est à ce petit jeu que participe l’actuelle divulgation massive d’affaires en tous genres mouillant les politiciens. Celle-ci ne résulte pas du travail d’investigation de médias soucieux de professionnalisme, mais d’une volonté de nous associer à la responsabilité de leurs crimes, par leur banalisation dans nos esprits et notre acceptation progressive. Les vrais coupables entendent ainsi atténuer le poids de leur propre implication. En somme, nous faire payer la facture de leurs forfaits, sur le plan moral de la même manière que sur le plan matériel. Dans quelle mesure ne sommes-nous pas collectivement victimes du syndrome de Stockholm ? Dans quelle mesure ce viol de nos consciences n’est-t-il pas du moins partiellement consenti ?
Mais cette part de responsabilité qui nous incombe ne doit pas être perçue comme un fardeau ou une faute. Elle est au contraire l’exacte mesure du pouvoir que nous avons, au fil du temps, abdiqué. De notre capacité créatrice, instant après instant, étouffée sous les obligations extérieures. Que signifie donc ce non-sens ; de confier à une quelconque autorité ce que nous sommes capables de faire par nous-mêmes ? Nous nous trouvons pris dans un processus de dépendance, auquel la réappropriation de l’initiative ainsi que des moyens d’échange sera notre seule chance de survie. Quel serait le Monde de demain, d’après vous ? Qu’êtes-vous prêts à faire pour le bâtir ? Combien de temps continuerons-nous à refuser de vivre nos rêves ?
Quels que soient les avantages qu’elle prétend offrir, nulle société autoritaire ne peut permettre le plein épanouissement de toutes ses composantes. Car le malheur débute sitôt que quiconque s’arroge un droit sur autrui. Le modèle égalitaire était celui des sociétés traditionnelles, jadis florissantes, heureuses et prospères, jusqu’à l’arrivée des premiers colons. Il était celui des réseaux d’entraide informels au sein des populations ouvrières, autour des grandes manufactures occidentales comme en Russie soviétique. Et il l’est encore aujourd’hui, dans la rue, en manif ou dans la solidarité de quartier des banlieues dites déshéritées, dans une discussion à bâtons rompus avec un mendiant à l’arrêt de bus, avec le serveur du bar d’en face, la concierge, avec le premier ou le dernier venu. Peu importe. Le modèle égalitaire est encore celui de l’échange de conseils en homéopathie avec d’autres en informatique, de l’attention portée les uns aux autres sans laquelle personne ne saurait s’élever. Il est dans le repas qu’on partage, dans le ciel que l’on regarde ou le sourire au voisin qui passe. En somme, dans toute libre interaction d’individu à individu. Il n’est ni le fantasme de doux rêveurs, ni une abstraction politique. Il est une réalité concrète et omniprésente. La traduction en actes du plus pur élan d’aspiration au bonheur de l’humanité.
Qu’il ne soit plus question de placer d’espoir ou d’attente en un quelconque changement de gouvernement ou même de régime. Le suivant ne fera encore qu’inféoder ses ouailles à de nouvelles règles. Le pouvoir n’est pas plus à réformer qu’il n’est à combattre : il est à bannir, purement et simplement de notre rapport direct à autrui. Non seulement sur le plan hiérarchique ou économique, mais aussi par la connaissance plus ou moins rompue de nos failles psychologiques, ainsi que par la somme des savoirs que nous pensons avoir accumulés. Aucun retour d’expérience ne vaut plus qu’un autre. Il faudra tôt ou tard nous rendre à l’évidence que tous ont quelque chose à nous enseigner, et que tous sont complémentaires. Rappelez-vous lorsque vous jouiez, enfants. Rappelez-vous l’âge d’or de la découverte et votre amour premier pour chaque chose. Seul ce sentiment d’unicité dans l’univers procure la joie véritable. Le reste, poussières de paille. Ce sentiment, cette pureté, ne sont pas inhumés sous les années mortes. Ils sont là, disponibles, à portée de tous. Il ne tient qu’à nous de les retrouver.
Il ne tient qu’à nous d’inverser le cours des choses, et d’agir, directement, sans ordre ou consigne. De désobéir, chaque fois qu’il nous est dicté de faire quelque chose que notre conscience réprouve. De nous unir et d’élargir tant que possible le réseau des solidarités. N’imaginez pas la floraison anarchiste comme une révolution violente et soudaine. Mais comme l’imperceptible et inéluctable poussée du désir de liberté naturelle en nos cœurs. Gardons-nous des porteurs de mégaphones, hurlant leurs appels à la révolte et au casse-pipe. Écoutons plutôt le guide impartial de notre voix intérieure. Commençons peu à peu à essaimer, autour de nous, discrètement. Sans rien revendiquer haut et fort. Sans nous identifier à une idéologie ou une autre. Lorsque l’on cesse d’alimenter ces parasites que sont nos doutes, nos dépendances, nos attachements à tel ou tel aspect de l’ordre ancien, dans un premier temps se manifeste le manque. Nous nous sentons harcelés comme des animaux aux abois. Puis ce sentiment et ce poids s’estompent, à mesure que l’on apprend et avance. Imperméables à toute emprise, nous n’intéressons plus les prédateurs, hors de leur portée. Le plus fort est qu’une fois parvenus à ce point, la puissance d’action de deux ou plusieurs électrons libres associés devient exponentielle. Au niveau collectif, la multiplicité des micro-communes tend à rendre caduques les lois et la matrice étatiques. L’empire devra logiquement tomber de lui-même, pan par pan, comme les branches d’un arbre mort. La question est d’y rester accroché ou de lui préférer la terre ferme.
Partout, des collectifs solidaires s’organisent. De plus en plus souvent, s’unissent au gré des rencontres et affinités, non à ourdir quelque action symbolique, à comploter ou je ne sais quoi, mais à bâtir au quotidien, de façon concrète, la possibilité de vivre autrement. À essayer, apprendre, échanger, à constamment se remettre en question et à progresser sans cesse. À découvrir qu’en définitive, un même idéal nous anime et nous est commun. Un immuable désir de nous tourner vers la beauté, où qu’elle soit. Cette vérité du cœur, inaccessible au mental. De sentir au bruissement des feuilles, aux cris des enfants jouant dans le jardin ou à l’incandescence du ciel avant l’aurore, l’omniprésence de la magie. La vivre et la rayonner. N’attendons plus de solution venue de l’extérieur. N’attendons plus de sauveur providentiel ou que le voisin agisse le premier. Si vous ne le faites pas vous-mêmes, personne ne viendra à votre secours. Personne ne vous prendra par la main. Il nous faut agir pour nous et les nôtres. Revenir à l’initiative, non plus à la suite. À n’en pas douter, l’apprentissage sera long. Il faudra composer au cas par cas avec les résidus de la société actuelle, au moins quelque temps. Les questions seront d’abord plus nombreuses que les réponses. L’Anarchie n’est pas une résolution idéologique et instantanée. Elle est expérience d’apprentissage permanent. Retour conscient, volontaire, à l’ordre naturel et la logique de notre évolution. Des erreurs seront sans doute encore commises. Mais nous saurons nous en instruire et en appliquer les leçons… Surtout, qu’est ce risque, comparé à l’atrocité collective à laquelle nous sommes chaque jour confrontés ? Alors essayons, dès maintenant, où que nous nous trouvions. Nous saurons nous reconnaître… Si ce n’est pas aujourd’hui, si ce n’est pas demain, nous y parviendrons. Et même si nous ne voyons pas de notre vivant germer les fruits de ces tentatives, et si la majorité de nos contemporains s’affuble à la première sonnerie du prêt-à-porter médiatique, nous ne pourrons, d’avoir à ce point vécu et expérimenté, que ressortir grandis.
Zénon