Une fois n’est pas coutume, Le Saker Francophone prend la plume. L’équipe poursuit ses efforts pour traduire et proposer en français des articles qui contribuent à une meilleure connaissance du monde et de son destin. Nous essayons de suivre régulièrement certains auteurs : Pepe Escobar, Dmitry Orlov, Mike Withney, Paul Craig Roberts, Norman Pollack, Israël Shamir, etc. pour que vous puissiez vous faire une idée de leurs pensées, de leur vision du monde et de l’évolution de celle-ci – ou pas, d’ailleurs – dans le temps. Nous ne reprenons que rarement des textes francophones qui sont par ailleurs facilement accessibles sur le net, même si de temps en temps, nous glissons des textes de sites amis et complices en dissidence (référencés sur le site dans la colonne de gauche) tels que dedefensa.org, ou des textes qui nous semblent très pertinents pour la compréhension globale d’une situation par ailleurs rarement évoquée, comme le texte récent de Bernard Lugan sur la Libye, un auteur qui enseigne – enseignait? – à l’école de Guerre de Saint-Cyr Coëtquidan.
Ce post va me permettre de vous présenter plus formellement quelqu’un que j’ai découvert au hasard de mes recherches sur la monnaie, un sujet qui peut sembler technique et rébarbatif mais qui est au cœur des problèmes actuels et surtout des solutions pacifiques possibles. Gérard Foucher, l’auteur de la vidéo qui suit, nous parle avec passion de la monnaie et de son corollaire, la dette. Il est aujourd’hui dans l’espace francophone un de ceux qui en parlent le mieux avec Gabriel Rabhi notamment.
Je l’ai cité récemment dans un article provenant du site de Dmitry Orlov sur le système monétaire. J’en ai remis une couche avec Gail Tverberg qui fait le lien entre dette et énergie.
Je me fends de ces quelques mots pour expliciter clairement ce qui pourrait être pris pour une subtile propagande en faveur de nos thèses. Rien de subtil, mais réel prosélytisme, oui, puisqu’il s’agit d’inviter formellement à débattre, sur la place publique, de sujets apparemment complexes comme la monnaie ou l’énergie, et de ne pas rester focalisé sur la géopolitique, aussi important et essentiel que soit ce sujet vu l’actualité frénétique du moment. Nous ne devons pas abandonner, aux mains des escrocs pseudo-experts qui nous gouvernent manipulent, des biens collectifs qui appartiennent aux peuples, tels que la monnaie et le cadre de vie – physique et psychique – afin qu’ils les utilisent pour notre propre anéantissement. La finance actuelle, comme toutes les combines et artefacts, n’est pas compliquée à comprendre.
Je profite donc de l’occasion et du sujet de cette vidéo où Gérard Foucher aborde la crise des migrants du point de vue de l’endettement pour vous le présenter, ce qui me démangeait depuis un moment. Je vous laisse avec la vidéo. Après je voulais faire un résumé de celle-ci, mais je vous propose à la place un commentaire de l’auteur sur sa page Facebook en réponse à un de ses auditeurs et qui reprend le contenu de la vidéo.
Question de l’auditeur :
Le fait qu’en Occident nous consommons trop est exact. Par contre la présentation comprend deux grosses erreurs :
- la Banque mondiale ne crée pas d’argent à partir de rien. L’argent qu’elle prête, elle le récolte en plaçant des obligations sur le marché des capitaux.
- Une fois construites, les infrastructures financées par la Banque mondiale sont conçues pour pouvoir générer des bénéfices économiques qui permettent de rembourser les financements obtenus.
Un projet n’est pas financé si sa rentabilité économique n’est pas suffisante.
Réponse :
Effectivement, vous avez raison :
- la Banque mondiale ne crée pas de monnaie, elle crée des obligations (des titres de dette) que les banques commerciales achètent par création monétaire selon leur processus habituel d’achat de titres.
- les infrastructures sont effectivement des investissements extrêmement rentables !
Pour préciser tout cela, j’ai écrit, spécialement pour vous, ce petit résumé :
Tous les pays occidentaux croulent sous des dettes privées et publiques colossales. Ils connaissent tous des pressions énormes pour réduire leur déficit public. Leurs secteurs privés, ménages et entreprises, manquent cruellement et continûment d’argent.
Dans ces conditions, comment est-il possible que ces pays puissent réussir à prêter de l’argent aux pays pauvres ?
La réponse est simple : en réalité, la monnaie qui est avancée aux pays pauvres (et qui leur servira en général à payer des entreprises occidentales pour construire les infrastructures qui permettront dans un deuxième temps aux pays riches d’exploiter leurs ressources !), cette monnaie n’est pas prêtée, mais créée ex nihilo, comme toute la monnaie qui existe dans l’économie du monde.
C’est cette émission initiale qui est à l’origine de la dette réelle du tiers-monde. La dette du tiers-monde, c’est en fait une partie de la masse monétaire globale. Cependant, la Banque mondiale n’opère pas tout à fait comme une banque ordinaire. En fait, elle fonctionne plutôt comme un État qui émet de la dette publique.
Dans un premier temps, la Banque mondiale émet, par une simple écriture comptable, des obligations (des titres de dette portant intérêt), puis elle vend ces obligations aux banques commerciales (les fameux marchés financiers).
Les banques commerciales, pour payer ces obligations, utilisent le mécanisme comptable employé par toutes les banques commerciales du monde lorsqu’elles achètent des titres : elle inscrivent l’obligation à leur actif, et créditent ex nihilo le compte de l’émetteur du titre au passif. La monnaie ainsi créée est ensuite transmise aux pays pauvres, qui se retrouvent effectivement endettés, capital et intérêts.
Le FMI, quant à lui, est, selon sa présentation officielle, un regroupement d’États dont le rôle est de «soutenir les pays connaissant des difficultés financières» grâce à une réserve de monnaie constituée conjointement par les contributions de tous les pays participants. Une sorte de fonds mutuel. Or, en 1969, le FMI a créé les DTS, ou Droits de Tirage Spéciaux, qui ont permis d’augmenter considérablement les fonds disponibles. Les DTS constituaient de droit et de fait une nouvelle monnaie internationale. Lorsque le FMI crédite un pays en DTS, ce pays devient débiteur du FMI, et s’engage à rendre capital et intérêts en DTS, ou en dollars (à parité 1 pour 1).
Le crédit ainsi accordé au pays pauvre n’est jamais effectivement crédité. Il s’agit juste d’une facilité de paiement, une simple autorisation de découvert. La monnaie est créée au fur et à mesure des dépenses d’infrastructure effectuées par le pays endetté. Le processus est simple : les fonds sont portés au découvert du compte à la Banque mondiale du pays endetté, et ils sont simultanément crédités au compte des entreprises (généralement occidentales) qui sont en train de réaliser les travaux.
Le fonds mutuel du FMI joue pour la Banque mondiale le même rôle que celui que jouent les réserves en monnaie centrale pour les banques commerciales traditionnelles : un rôle mineur permettant de laisser croire au public que la monnaie prêtée doit en quelque sorte être garantie par quelque chose. Depuis que la Banque d’Angleterre a précisément décrit ces mécanismes, nous savons que le principe de la réserve fractionnaire n’était qu’une illusion.
Néanmoins, ce principe reste important dans la psyché du public pour perpétuer les mythes de la prise de risque du créancier et de la réalité de l’endettement du débiteur. Le processus est similaire lorsque la Banque mondiale émet des obligations. Comme nous l’avons vu, la Banque mondiale ne crée pas elle-même de la monnaie nouvelle, elle ne fait que créer de nouvelles obligations porteuses d’intérêt et les vendre à des banques commerciales. Ce sont ces banques commerciales qui créent de la monnaie pour payer les obligations, exactement comme le font au quotidien toutes les banques commerciales lorsqu’elles achètent des titres.
Dans un cas comme dans l’autre (émission de DTS par le FMI ou émission d’obligations par la Banque mondiale), et bien que le pays pauvre lorsqu’il dépense le montant de son crédit se retrouve effectivement endetté, on constate qu’aucune épargne, aucun fonds de garantie n’est utilisé, aucun compte n’est débité du moindre montant que ce soit, aucun solde existant ne diminue, ni au FMI, ni à la Banque mondiale, ni dans aucune banque commerciale. La monnaie reçue et dépensée par le pays pauvre est de la monnaie entièrement nouvelle, qui n’existait pas auparavant.
Le prêt n’est pas un prêt, puisqu’on n’enlève rien à personne. C’est bien un simple crédit : le solde du compte du débiteur a augmenté. Lorsque le pays endetté dépense son crédit pour payer les travaux d’infrastructure réalisés, la somme des dépôts sur les comptes du pays occidental a bien augmenté. C’est une augmentation de sa masse monétaire. Et une augmentation de la dette du pays pauvre. La monnaie créée par la dette du tiers-monde revient donc, sous forme de monnaie nouvelle, faciliter le commerce en Occident. La dette et les intérêts restent à la charge des pays pauvres. Les pays les plus pauvres deviennent ainsi les émetteurs de monnaie pour les pays riches, qui profitent de cet afflux sans en payer le prix.
Gérard Foucher