Par Nikita Mikhalkov – Le 30 janvier 2015 – Source (en anglais) FortRuss
L’EUROPE EST UN HOSPICE, ET MERKEL EST LE SEUL HOMME ENCORE VALIDE
Interview donnée à Russia 24 le 30 janvier 2015.
Regardez les visages de Turchinov, Porochenko, Iatseniouk, de cette dame pas très équilibrée qui voulait utiliser l’arme atomique. [Probablement une des hystériques qui officie au Département d’État US, note du Saker Francophone]
C’est un comportement de gens instables et sans racines.
Vous connaissez ce jeu dans les foires, où vous visez des têtes, et elles se mettent à bouger dans tous les sens ? C’est à ce jeu que me fait penser tout ce qui vient de ce gouvernement. On en arrive à de l’absurdité totale. On prétend que les gens se sont brûlés eux-mêmes à Odessa. On argumente avec des chiffres invraisemblables
– Ces gens qui ont ouvert la boîte de Pandore, ont-ils conscience de ce qu’ils font ?
Ils agissent consciemment, mais ils ne sont pas certains de la façon dont tout cela va finir. Il ne s’agit pas de la Libye, de la Géorgie, ni de l’ancienne Ukraine. Et la situation leur réserve déjà bien des surprises. Le pays fait défaut, et l’argent, qui devrait aider la population qui souffre de la crise, est simplement volé; le gaz est volé; un oligarque vend à sa propre armée des gilets pare-balles pour trois fois leur prix: ils vivent dans une réalité parallèle. Je suis sûr qu’ils agissent sans penser un instant à leur pays, sans imaginer les conséquences. A chaque instant, ils se retournent pour vérifier que l’Oncle Sam est bien là, pour les soutenir au cas où. Ils en arrivent à des actions complètement insensées. Plus incroyable encore, inconsciemment, ils sont de plus en plus terrifiés en réalisant la façon dont tout cela pourrait finir pour eux.
J’ai entendu une histoire incroyable. Une personne s’est rendue à une conférence internationale, pas à la tribune, mais dans les couloirs, pour essayer de montrer aux Européens des photos du Donbass. Personne n’a regardé. Ils détournaient le regard. L’un d’eux a même simplement fermé les yeux. Pour éviter d’avoir à réagir. Un tel manque de responsabilité..
C’est tout l’infantilisme de cette Europe gavée et lâche, qui n’est plus rien d’autre aujourd’hui qu’une colonie. Ils ne comprennent pas, ils ont vécu les cinquante dernières années à l’abri du parapluie nucléaire américain. Ils ont créé une communauté, en s’imaginant qu’avec vingt-huit vieillards on peut fabriquer un jeune homme. Sans comprendre que ce qu’ils ont créé n’est qu’un hospice, avec des toilettes bien chauffées, des pantoufles confortables, le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner, tout va très bien, et puis… boum ! Paris. Et après ? Je suis Charlie ? Qu’est-ce que c’est « Je suis Charlie » ? La liberté d’expression ? « Nous sommes un pays libre, nous avons des caricatures depuis le XVIIe siècle ». Et alors ? « Alors on peut le faire. » Non, vous ne pouvez pas [ou alors, caricaturez aussi les puissants, note du Saker Francophone].
Qu’est-ce que la démocratie pour vous ? La protection contre ceux qui vous gavent, ou la permission à eux donnée de vous gaver ? Quand les gens défilent ensemble, en serrant les coudes, contre le terrorisme, cela signifie qu’ils défendent le droit d’insulter les sentiments religieux, sacrés, d’autres personnes. Ce double standard, il se paye avec du sang. Si vous jetez ou si vous brûlez le Coran, vous payez, c’est votre affaire, et c’est votre droit.
Ilyin a dit : « Nous avons besoin de vivre pour quelque chose au nom de quoi nous sommes prêts à mourir. » Ces gens acceptent de mourir pour le prophète Mohamed. Vous acceptez de mourir pour un dessin ? Vraiment ? OK, alors ne vous plaignez pas. Le résultat : en Afrique, en Asie, des chrétiens paient pour ça, et ce sont des gens qui n’ont rien à voir avec toute cette histoire ! A cause de ça, on tue et on brûle des églises dans d’autres pays. C’est de la provocation globalisée.
L’infantilisme : c’est la perte du sens du danger qui existe quand on insulte un autre être humain. C’est un conflit de civilisation, et pas seulement un conflit entre des Arabes et des Européens.
L’Europe est repue, endormie, et ne sait pas quoi faire à présent. Tous les leaders européens en parlent, mais il ne reste qu’un seul homme valide : c’est Merkel. Les autres sont des eunuques. Ils ne sont rien du tout. Qui sont-ils ? Assument-ils ce qu’ils disent ? Sont-ils capables de dire « oui » [aux US sûrement, note du Saker Francophone] et « non » ? Sont-ils responsables de leurs actes ? Peuvent-ils défendre leurs concitoyens ? Ramener l’ordre ? Ils s’agrippent les uns aux autres pour démontrer leur solidarité. Solidarité pour quoi ? De toute façon, vous y passerez, puisque vous ne pouvez pas comprendre qu’il existe des choses pour lesquelles on accepte de mourir. Trois à dix personnes ont commis des meurtres, et vingt, trente, quarante, cinquante millions glorifient leurs noms. Et dans le vaste monde musulman, ils passent pour des saints. Il va falloir que vous compreniez ça.
Il existe un autre danger, et à mon avis c’est le plus grand danger. Les États-Unis: un pays dépourvu de toute peur quant à la guerre. Ils n’ont jamais eu à combattre des ennemis sur leur propre territoire.
– J’aimerais vous interroger sur ce sujet. Il y a aujourd’hui une grande peur relativement à la guerre. Je redoute de le dire, car c’est comme si le fait d’en parler concrétisait la menace. La guerre semble se concrétiser quand les gens se mettent à la croire possible, quand ils se mettent à y penser, de plus en plus souvent. D’un côté, je voudrais vous demander comment faire pour cesser d’y penser, mais de l’autre, si on n’y pense pas, alors on devient inconscient du danger. Comment peut-on réagir à ce spectacle télévisé quotidien de la guerre qui vient ?
C’est une Fenêtre Overton [2] : on implante dans les consciences la croyance qu’il n’y a rien de mal à ce qu’un garçon vive avec un garçon, une fille avec une fille ; pourquoi donc un enfant aurait-il besoin d’un père et d’une mère ? Il suffit d’un parent numéro 1 et d’un parent numéro 2. – « Mais vous êtes fou, et pourquoi pas le cannibalisme?» – «Il y a des tribus qui pratiquent le cannibalisme… au fond, quand il n’y a plus rien à manger… et puis la personne est morte de toute façon.» – «Vous êtes fou? » – Non, non, non… on ne fait que parler, nous sommes des scientifiques, nous sommes compétents pour parler de tout. »
Cela consiste à implanter dans la conscience une possibilité, qui ensuite tend à être perçue comme quelque chose d’inévitable. Et c’est très dangereux. C’est une guerre hybride idéologique, une guerre de communication, où les armes sont plus destructrices que des bombes atomiques, parce qu’elles détruisent le subconscient des individus et le transforment en une non-conscience. C’est effrayant.
Quand l’Amérique envoie ses soldats en Libye, en Afrique, en Corée, au Viêt Nam, ce qui revient c’est un cercueil. Une tragédie familiale. Un garçon est tué, les parents pleurent, on donne à la famille une médaille, il est enterré recouvert d’un drapeau américain – rien de tout cela n’a quoi que ce soit à voir avec l’expérience de la guerre.
Quand elle a lieu sur votre propre territoire, la moindre chose fait la guerre : le soldat, l’enfant, une femme, un rouge à lèvres, un cendrier, un verre, un crayon, une bague, un banc, les forêts et les champs. Brûlé par le soleil 2 [3] parle de cela. De Dieu dans la guerre. Une petite araignée est dans le viseur, le tireur essaye de l’enlever avant de tirer, il prend une balle dans la tête, une souris se met à courir, il tombe et renverse une lampe à pétrole, le pétrole se répand, et la souris déplace les morceaux de verre avec sa queue, un rayon de soleil frappe les morceaux de verre, et la forteresse, que nul n’était parvenu à conquérir en deux années de guerre, explose. La moindre chose fait la guerre. C’est le sens métaphysique de la présence de Dieu dans le conflit. Un peuple ne pourra jamais comprendre ce qu’est la guerre s’il ne l’a jamais connue comme présence d’un agresseur étranger sur son propre territoire.
C’est ce qui est le plus effrayant. Et vous me demandez comment chasser de telles pensées ? On ne devrait pas les chasser, sinon notre vulnérabilité face au réel sera encore plus effrayante. Enfin, il faut comprendre que c’est là l’ultime frontière : là, nous n’avons plus nulle part où aller. Aujourd’hui, nous sommes le seul pays [la Russie] qui peut encore dire « non » à ce monde d’agression. Le seul. Les autres se tiennent derrière nous, non pas parce que nous allons les défendre, mais parce que, plus que tout autre, nous possédons l’expérience pluriséculaire de la défense de notre patrie. Et c’est une chose sacrée. Il ne s’agit pas de quantité de bombes et de canons. C’est le fait de se sentir combattant jusque dans la moelle épinière.
Regardez les nombreux pays qui ont été détruits par des sanctions. D’abord ils résistent calmement, puis ils acceptent, et se disent que peut-être ce n’est pas plus mal, et alors on leur rend un peu de ce qu’on leur a volé.
Mais qu’en est-il de nous? Si nous ne recevons que de légères tapes sur la tête, nous engraissons et devenons paresseux, mais dès qu’on vient se frotter à nous plus méchamment, notre réaction change du tout au tout: «Quoi? Comment?», et on sort la trique car c’est le sentiment intime du bon droit, qui est la base de toute victoire. Alors, nous nous sentons bien.
Si on parle de la Crimée… Tous ces doutes sur la question de savoir si la Crimée nous appartient… Elle nous a toujours appartenu ! Quand on coupait le pays en morceaux, à Belovezhkaya Pusha [4], Eltsine aurait eu l’occasion de négocier ça, au moins : «Bon, les pays baltes, je peux comprendre. Mais, l’Ukraine, les gars, vous rigolez…» Et on a envoyé un télégramme à Gorbatchev pour lui annoncer qu’il n’était plus président. « Kravtchuk [5], écoute, rends-nous la Crimée. 1956. C’est à nous. Quand on divorce, ça se passe comme ça : rends-moi les affaires de ma mère , et prends tout le reste ! »
Il fallait le faire. Je suis absolument certain que si nous étions restés sans rien faire, en Crimée, les combats auraient été cent fois plus cruels qu’au Donbass.
Nikita Mikhalkov
Traduit de l’anglais par Philippe Cappelle relu par jj pour le Saker Francophone.
Nikita Sergueievich Mikhalkov est un acteur et réalisateur soviétique et russe. Il dirige l’Union cinématographiqu
[1] : pendant la grande guerre patriotique, l’Armée rouge était répartie en Fronts ou groupes d’armées, désignés par le lieu de leur activité militaire. L’appellation Front d’Ukraine n’a donc rien à voir avec l’appartenance ethnique, si l’on peut dire, des soldats qui y servaient, n’en déplaise à la diplomatie polonaise, qui s’est surpassée avec cette incongruité.
[2]: modèle d’ingénierie sociale développé dans les années 1990 par le sociologue américain Joseph P. Overton. Selon sa théorie, une fenêtre est l’ensemble des idées susceptibles d’être acceptées à un moment donné, et que la parole publique peut formuler ouvertement sans passer pour extrémiste. http://fr.sputni
[ 3 ] : film de Mikhalkov (1994)
[ 4 ] : à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, lieu où se tinrent d’importantes négociations en vue de l’éclatement de l’URSS.
[ 5 ] Leonid Kravtchuk, premier président de l’Ukraine indépendante.