Par Moon of Alabama – Le 16 décembre 2025
Les négociations du week-end entre les États-Unis, l’Ukraine et l’Europe sur les paramètres d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix avec la Russie étaient surréalistes. Les trois parties s’affrontaient sur certains points que la Russie est sûre de rejeter. Par contre, ils omettaient des points importants que la Russie avait désignés comme ses priorités.
Il n’y a aucune chance que tout cela mène à la paix. Ce qui pourrait d’ailleurs bien être le but de tout ce théâtre.
Zelensky et Trump saluent les progrès des pourparlers de paix alors que les États-Unis offrent des garanties de sécurité – Politico.eu
Les dirigeants occidentaux ont salué lundi des progrès majeurs dans les pourparlers sur un éventuel accord de paix après près de quatre ans de guerre à grande échelle en Ukraine, soulignant pour la première fois comment les garanties de sécurité pourraient empêcher Vladimir Poutine d’envahir à nouveau.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a donné une évaluation optimiste d’une nouvelle offre spectaculaire de responsables américains visant à fournir une assurance de type OTAN pour protéger l’Ukraine.
Les propositions semblent “plutôt bonnes”, a déclaré Zelensky à l’issue de deux jours de discussions avec les négociateurs de Donald Trump à Berlin. Trump lui-même a déclaré : “nous sommes plus proches maintenant que nous ne l’avons jamais été” de la paix.
Mais le président ukrainien a averti que les plans n’étaient qu’un “premier projet”, des questions importantes restant en suspens. Par exemple, il n’y avait toujours pas d’accord sur ce qu’il adviendrait du territoire contesté dans la région du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, dont une grande partie est occupée par les troupes russes. Et rien n’indique que le dictateur russe Vladimir Poutine acceptera tout cela.
Le chancelier allemand Friedrich Merz, qui a accueilli les pourparlers, a salué ce qu’il a appelé les garanties de sécurité juridiques et “matérielles” “remarquables” que les négociateurs américains Steve Witkoff et Jared Kushner, le gendre de Trump, avaient proposées.
“Pour la première fois depuis 2022, un cessez-le-feu est envisageable”, a déclaré Merz lors d’une conférence de presse avec Zelensky. “C’est maintenant entièrement à la Russie de décider si un cessez-le-feu peut être conclu d’ici Noël.”
Par où commencer ?
Non, M. Merz, il n’y a pas de cessez-le-feu concevable. La Russie n’en veut pas. Un cessez-le-feu permettrait à l’Ukraine de se rétablir et de se préparer pour un prochain cycle de guerre. La Russie veut un accord de paix qui non seulement couvre l’Ukraine mais définit une nouvelle architecture de sécurité pour l’ensemble de l’Europe. La Russie veut également un contrôle physique sur les quatre oblasts, plus la Crimée, qui ont voté pour devenir membres de la Fédération de Russie. Elle veut une Ukraine désarmée et dénazifiée.
Rien de tout cela ne semble être proposé.
A la place, nous obtenons un spectacle sur les « garanties de sécurité » américaines conditionnées à la perte de terres ukrainiennes. Zelenski tente d’encaisser le premier sans concéder le second :
“La base de cet accord est essentiellement d’avoir des garanties vraiment, vraiment solides, comme l’article 5”, a déclaré un haut responsable américain. “Ces garanties ne seront pas sur la table pour toujours. Ces garanties sont sur la table en ce moment s’il y a une conclusion qui est tirée dans le bon sens.”
…
[L] es responsables américains ont surtout évité les détails sur la façon dont ils visaient à combler d’autres lacunes sur les différends territoriaux. Ils ont dit qu’ils avaient quitté Zelensky avec des “idées stimulantes” sur la façon de procéder.
Traduction : “C’est du pur théâtre.”
Les Européens sont également dans l’illusion :
Merz, ainsi que ses homologues du Danemark, de la Finlande, de la France, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Pologne, du Royaume-Uni, de la Suède et de l’UE ont publié une déclaration saluant des “progrès significatifs” dans les efforts des États-Unis en s’engageant à aider l’Ukraine à mettre fin à la guerre et dissuader l’agression russe, y compris par le biais d’une force multinationale pour l’Ukraine, dirigée par l’Europe et soutenue par les États-Unis.
La déclaration commune des Européens soulève plusieurs points qui sont totalement irréalistes et que ni les États-Unis, ni la Russie, ni les électeurs européens ne seront disposés à accepter ou à soutenir :
Les dirigeants américains et européens se sont engagés à travailler ensemble pour fournir de solides garanties de sécurité et des mesures de soutien à la reprise économique à l’Ukraine dans le cadre d’un accord sur la fin de la guerre. Cela inclurait des engagements à :
- Fournir un soutien soutenu et significatif à l’Ukraine pour renforcer ses forces armées, qui devraient rester au niveau de 800 000 en temps de paix pour pouvoir dissuader les conflits et défendre le territoire ukrainien.
- Une « force multinationale ukrainienne » dirigée par l’Europe composée de contributions de nations volontaires dans le cadre de la Coalition des Volontaires et soutenue par les États-Unis. Elle contribuera à la régénération des forces ukrainiennes, à la sécurisation du ciel ukrainien et au soutien en mer, notamment en opérant à l’intérieur de l’Ukraine.
- Un mécanisme de surveillance et de vérification du cessez-le-feu dirigé par les États-Unis avec une participation internationale pour fournir une alerte précoce contre toute attaque future et attribuer et répondre à toute violation ainsi qu’un mécanisme de déconfliction pour travailler sur des mesures de désescalade mutuelles qui peuvent être prises au profit de toutes les parties.
- Un engagement juridiquement contraignant, soumis aux procédures nationales, de prendre des mesures pour rétablir la paix et la sécurité en cas de future attaque armée. Ces mesures peuvent inclure la force armée, le renseignement et l’assistance logistique, des actions économiques et diplomatiques.
- Investir dans la prospérité future de l’Ukraine, notamment en mettant à disposition d’importantes ressources pour le redressement et la reconstruction, des accords commerciaux mutuellement avantageux et en tenant compte de la nécessité pour la Russie d’indemniser l’Ukraine pour les dommages causés. Dans cet esprit, les actifs souverains russes dans l’Union européenne ont été immobilisés.
- Soutenir fermement l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
Chacun de ces points est un vœu pieux délirant.
- Il est impossible que l’Ukraine, avec à peine 25 millions d’habitants, dont la moitié sont des retraités, puisse soutenir une armée de 800 000 hommes en temps de paix.
- La Russie a rejeté toute force étrangère en Ukraine et a annoncé qu’elle attaquerait celles qui y apparaissent.
- Les États-Unis sont une partie du conflit. Ils ont déclenché cette guerre par procuration contre la Russie et continue d’y participer en soutenant l’armée ukrainienne par des services de renseignement et de communication. Une partie prenante à une guerre ne peut pas être celle qui surveille un « cessez-le-feu« .
- L’une des principales raisons du conflit en Ukraine était la perspective de son adhésion à l’OTAN. Réintroduire cela sous le couvert d’un « engagement juridiquement contraignant » multilatéral ne sera pas accepté par la Russie.
- L’Europe n’a pas l’argent pour investir en Ukraine. La Russie est en train de gagner la guerre. Elle ne « compensera pas l’Ukraine » pour tout dommage, mais pourrait bien demander des réparations, payées par l’Ukraine, pour les dommages qu’elle a causés sur les terres russes.
- Il n’y aura pas d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne dans un avenir prévisible. Environ 65% du budget de l’UE sont des paiements à des pays plus ruraux dans le cadre de la « Politique agricole commune« . Les agriculteurs polonais sont actuellement les plus gros bénéficiaires nets. Si l’Ukraine entre dans l’UE, la quasi-totalité de l’argent de la PAC lui reviendrait. Il est peu plausible que la Pologne et d’autres membres ruraux de l’UE votent pour cela.
Tout ce plan délirant que les dirigeants européens ont présenté dans leur déclaration commune ne vise qu’à prolonger le conflit. Comme le résume Elijah Magnier à propos de la déclaration commune :
Plutôt que d’intégrer l’Ukraine dans un ordre de sécurité européen d’après-guerre, le plan de l’UE institutionnalise l’Ukraine en tant qu’atout de sécurité de première ligne, et non en tant qu’État normalisé. L’UE souhaite que l’Ukraine devienne une société militarisée en permanence.
Les paramètres négociés actuels ne peuvent pas conduire à un accord de paix avec la Russie.
L’administration Trump doit prendre du recul. Elle peut livrer le paquet actuellement négocié à la Russie qui l’étudiera et demandera des négociations sur les points de « détails » qui prendront plusieurs années pour trouver un accord. Ou elle peut mettre tout le problème de côté pour l’instant et réessayer dans six à douze mois.
D’ici là, l’Ukraine sera dans un état bien pire qu’elle ne l’est aujourd’hui: toute l’Ukraine aura été désélectrifiée, Zelenski pourrait bien avoir disparu, Zaparozhia et Kherson pourraient bien être tombés aux mains des forces russes, la volonté européenne de soutenir l’Ukraine aura encore diminué.
D’ici là, la résistance à un accord de paix, que ce soit de la part de l’Ukraine ou de l’Europe, aura diminué. Ce n’est qu’alors que la paix en Ukraine et en Europe deviendra une possibilité réelle.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.