Par Moon of Alabama – Le 18 novembre 2023
Larry Johnson a repéré l’un des nombreux signes indiquant que « l’Occident » abandonne sa guerre en Ukraine :
Cette semaine, le prix « No Shit Analysis » [une analyse pas merdique] est décerné à Eugene B. Rumer pour son article d’opinion du Wall Street Journal intitulé « It’s Time to End Magical Thinking About Russia’s Defeat » [Il est temps de mettre fin aux illusions sur la défaite de la Russie]. Il ne lui a fallu que 22 mois pour s’en rendre compte. Il est peut-être lent à apprendre, mais il faut lui reconnaître qu’il s’est enfin réveillé de son rêve et qu’il commence à comprendre que le projet ukrainien est en train de sombrer.
Eugene B. Rumer est Senior Fellow à l’Institute for National Strategic Studies, National Defense University, Washington DC. Auparavant, il a travaillé au département d’État, au Conseil national de sécurité et à la RAND.
Malgré son pedigree, il peine à voir la réalité et éprouve toujours le besoin de débiter des inepties. En voici un exemple :
Poutine a des raisons de croire que le temps joue en sa faveur. Sur la ligne de front, rien n’indique que la Russie est en train de perdre ce qui est devenu une guerre d’usure. L’économie russe a été secouée, mais elle n’est pas en lambeaux. Paradoxalement, l’emprise de Poutine sur le pouvoir s’est renforcée après l’échec de la rébellion d’Evgeniy Prigozhin en juin. Le soutien populaire à la guerre reste solide et le soutien de l’élite à Poutine ne s’est pas fissuré.
Oui. L’économie russe est tellement secouée qu’elle se dirige vers une croissance de 4 %, son industrie de la défense surpasse l’Europe et les États-Unis réunis, elle fabrique de nouveaux drones plus meurtriers et les magasins de toute la Russie sont remplis à ras bord. Si c’est cela « être vaincu« , je veux bien l’être.
D’autres signes indiquant que l’establishment officiel de la politique étrangère est en train de jeter l’éponge peuvent être trouvés dans l’édition actuelle de Foreign Affairs. L’ancien président du Council of Foreign Relations, Richard Haass, y exhorte l’administration Biden à pousser l’Ukraine à la négociation :
Redéfinir le succès en Ukraine – Une nouvelle stratégie doit équilibrer les moyens et les objectifs – Foreign Affairs – 17 novembre 2023
Oui, les Etats-Unis, l’OTAN et l’Ukraine ont perdu leur guerre contre la Russie. Redéfinissons cela comme une victoire et oublions le reste :
La contre-offensive de l’Ukraine semble s’être enlisée, alors que le temps humide et froid met un terme à la deuxième saison de combat dans les efforts de Kiev pour contrer l’agression russe. Dans le même temps, la volonté politique de continuer à fournir un soutien militaire et économique à l’Ukraine a commencé à s’éroder tant aux États-Unis qu’en Europe. Ces circonstances nécessitent une réévaluation complète de la stratégie actuelle de l’Ukraine et de ses partenaires.
Cette réévaluation révèle une vérité dérangeante : l’Ukraine et l’Occident sont sur une trajectoire insoutenable, caractérisée par une inadéquation flagrante entre les objectifs et les moyens disponibles. Les objectifs de guerre de Kiev – l’expulsion des forces russes du territoire ukrainien et la restauration complète de son intégrité territoriale, y compris la Crimée – restent juridiquement et politiquement inattaquables. Mais d’un point de vue stratégique, ils sont hors de portée, certainement dans un avenir proche et très probablement au-delà.
Le moment est venu pour Washington de prendre la tête des efforts visant à forger une nouvelle politique qui fixe des objectifs réalisables et aligne les moyens et les fins. Les États-Unis devraient entamer des consultations avec l’Ukraine et ses partenaires européens sur une stratégie centrée sur la volonté de l’Ukraine de négocier un cessez-le-feu avec la Russie et de passer simultanément de l’offensive à la défensive.
La défense, comme l’offensive, nécessite un certain équilibre des forces. Avec une supériorité russe de dix contre un en matière d’artillerie et de capacité d’attaque aérienne, l’Ukraine n’a aucun moyen de maintenir une ligne de défense. Ce qui suit n’est donc que pure fantaisie :
La Russie peut très bien rejeter l’offre de cessez-le-feu de l’Ukraine. Mais même si le Kremlin se montre intransigeant, le fait que l’Ukraine passe de l’offensive à la défensive limiterait la perte continue de ses soldats, lui permettrait de consacrer davantage de ressources à la défense et à la reconstruction à long terme et renforcerait le soutien de l’Occident en démontrant que Kiev dispose d’une stratégie viable visant des objectifs réalisables. À plus long terme, ce pivot stratégique montrerait clairement à la Russie qu’elle ne peut se contenter d’espérer survivre à l’Ukraine et à la volonté de l’Occident de soutenir ce pays. Cette prise de conscience pourrait finalement convaincre Moscou de passer du champ de bataille à la table des négociations, ce qui serait à l’avantage ultime de l’Ukraine, puisque la diplomatie offre la voie la plus réaliste pour mettre fin non seulement à la guerre, mais aussi, à long terme, à l’occupation du territoire ukrainien par la Russie.
Ce qu’il écrit semble supposer que la Russie en aura terminé après avoir complètement pris les quatre oblasts qu’elle a déjà intégrés. Ce ne sera pas le cas :
Lors d’une récente réunion, le 3 novembre, à la veille de la Journée de l’unité nationale, avec les membres des chambres civiques fédérales et régionales au Musée de la Victoire à Moscou, le président Vladimir Poutine a répété une fois de plus que la Russie « défend ses valeurs morales, son histoire, sa culture, sa langue, y compris en aidant ses frères et sœurs du Donbass et de Novorossiya à faire de même. C’est la clé des événements d’aujourd’hui« .
Une personnalité politique ukrainienne de renom, Vladimir Rogov, ancien législateur à Kiev, a rappelé à Poutine avec une intensité passionnée : « Croyez-moi, nous, les habitants de la partie méridionale de la Russie, qui avons été coupée de nos racines pendant 30 ans, sommes en fait un entrepôt des forces historiques du peuple russe, qui a été mis en veilleuse et n’a pu faire aucun effort pour régénérer notre grande Russie. »
Poutine a répondu en soulignant le fait historique que la Novorossia constituait « les terres du sud de la Russie – toute la région de la mer Noire et ainsi de suite » qui ont été fondées par la Grande Catherine après une série de guerres avec l’Empire ottoman.
Ces terres russes, que les Soviétiques ont, sans raison valable, soumises à l’administration soviétique ukrainienne, seront rapatriées.
L’administration Biden sait qu’elle ne peut rien y faire et qu’il y a peu de chances de fournir à l’Ukraine les 30 milliards de dollars dont elle aura besoin pour financer le déficit de l’année prochaine :
Penny Pritzker, représentante spéciale des États-Unis pour le redressement de l’Ukraine, a suggéré aux responsables d’imaginer comment le pays pourrait survivre économiquement sans l’aide des États-Unis lors de sa première visite en Ukraine.
…
Mme Pritzker a rencontré le président Volodymyr Zelenskyy, le premier ministre et des représentants du gouvernement, le président du parlement et des entreprises américaines. Elle a également assisté à un congrès des autorités régionales en compagnie d’Andrii Yermak, chef du cabinet du président.
Ukrainska Pravda a déclaré que sa première visite en Ukraine avait laissé « un arrière-goût plutôt inquiétant dans de nombreux bureaux gouvernementaux« .
L’une des sources, au fait du déroulement des réunions de Mme Pritzker, a déclaré qu’elle avait tenté de « les amener à l’idée » que l’Ukraine pourrait survivre économiquement sans l’aide américaine.
Ne recevant plus d’argent à piller, les fonctionnaires corrompus de l’Ukraine ne pourront plus nourrir leur avidité. Ils se demanderont pourquoi ils devraient faire la guerre et endurer l’hyperinflation qui en résulte (en russe), alors qu’il n’y a plus aucun moyen d’en tirer profit. (traduction automatique) :
La [croissance du taux de change du dollar] dépendra fortement du volume et de la rapidité de l’aide internationale qui arrivera en Ukraine. Si, comme le prévoient les autorités financières, le montant de l’aide extérieure est nettement inférieur à celui prévu dans le budget (le ministère des finances affirme qu’à l’heure actuelle, le trou est de 29 milliards de dollars), l’un des moyens les plus probables de résoudre le problème pourrait être de dévaluer la hryvnia – de sorte que le budget reçoive plus de hryvnia pour les dollars et les euros d’aide internationale qui entrent dans le pays.
Il arrivera un moment où la Russie fera une offre à laquelle les autorités et la population ukrainiennes ne pourront pas résister. Du gaz bon marché, beaucoup de commerce en échange de l’acceptation officielle par l’Ukraine des nouvelles frontières russes autour de la Novorossiya ainsi que la neutralité politique et militaire.
C’était inévitable.
Voici ce que j’avais écrit le 24 février 2022, le jour où les troupes russes ont franchi pour la première fois la frontière ukrainienne :
En regardant cette carte, je pense que l’état final le plus avantageux pour la Russie serait la création d’un nouveau pays indépendant, appelé Novorossiya, sur les terres situées à l’est du Dniepr et au sud le long de la côte, qui abritent une population majoritairement russe et qui, en 1922, avaient été rattachées à l’Ukraine par Lénine. Cet État serait politiquement, culturellement et militairement aligné sur la Russie.
Cela supprimerait l’accès de l’Ukraine à la mer Noire et créerait un pont terrestre vers la Transnistrie, territoire sécessionniste de la Moldavie, qui est sous la protection de la Russie.
La Novorossiya, les parties rouge et jaune, ne sera pas, comme je le supposais, un pays indépendant, mais deviendra une partie à part entière de la Fédération de Russie. Pour le reste, ma prédiction sur l’issue de cette guerre se vérifie. Ce qui reste de l’Ukraine, aussi pauvre soit-elle, devra l’accepter.
Sans l’afflux croissant d’argent frais et d’armes en Ukraine, l’Occident n’a plus rien à opposer à l’offre russe. Il est bon de voir que cela commence à être admis.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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