Voici pourquoi l’OTAN n’est pas en mesure d’aider l’Ukraine à gagner


Par Ilya Kramnik – Le 5 septembre 2023 – RT

Plus de 18 mois après le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’aide militaire de l’OTAN à Kiev reste un élément constitutif de la guerre. Ce facteur s’infiltre dans la conscience publique, influence la perception politique du conflit et la situation sur le champ de bataille, quel que soit le côté des hostilités où l’on se trouve. Tous ces aspects sont importants en soi, et chacun d’entre eux influencera le cours du conflit et son issue finale. Mais combien de temps l’OTAN pourra-t-elle fournir une assistance militaire à l’Ukraine ?

Des perspectives sombres pour l’Ukraine

L’OTAN a commencé à fournir une assistance à Kiev dès le début du conflit en 2022, et le volume de l’aide a augmenté tout au long de l’année dernière. Cette assistance a largement influencé l’attitude des Ukrainiens ordinaires à l’égard des hostilités et a renforcé le mythe d’une « victoire » rapide et inévitable de Kiev, certaine de se produire parce que « le monde entier nous soutient« .

La même attitude a prévalu dans le domaine de la politique publique : l’aide fournie par un pays donné indiquait de quel côté il se trouvait : Les « alliés » de l’Ukraine au sein de l’OTAN (principalement les États-Unis) fournissent une aide militaire directe, tandis que les pays « neutres » n’offrent qu’une aide financière et organisationnelle, voire aucune aide.

Sur le champ de bataille, l’aide de l’OTAN est entièrement la source des capacités de combat des forces armées ukrainiennes (FAU). Si cette aide est interrompue, l’armée ukrainienne perdra sa capacité de combat en quelques semaines, ou dès que les stocks de munitions actuels seront épuisés.

Quelle est la probabilité que l’aide de l’OTAN se poursuive ? Pour répondre à cette question, il faut connaître les stocks d’armes et d’équipements militaires des membres de l’Union, et il est important de noter que nombre d’entre eux présentent des lacunes à cet égard.

Les États-Unis se distinguent par les ressources dont ils disposent, et leur arsenal est plus important que celui de tous les autres pays de l’OTAN. Cependant, même si Washington a fourni à Kiev de grandes quantités d’armes et de munitions, il ne fournit encore qu’une part relativement faible de ce qu’il possède. La Grèce et la Turquie sont d’autres pays disposant d’arsenaux importants. Toutefois, ces stocks existent en raison de tensions séculaires entre les deux pays, ce qui limite leur éventuel transfert à l’Ukraine.

Dans la plupart des autres pays de l’OTAN, les stocks militaires sont relativement limités et sont principalement destinés à l’exportation, en particulier lorsque l’acheteur est intéressé par du matériel d’occasion qui peut être utilisé en l’état ou modernisé.

Ces facteurs imposent une limite au volume de l’aide allouée à l’Ukraine et expliquent pourquoi l’assistance militaire à Kiev, qui a commencé en 2022 et a atteint son maximum début 2023, a commencé à diminuer. Cela signifie également que si les États-Unis ne commencent pas à remettre des équipements militaires de réserve ou s’ils ne trouvent pas, avec d’autres alliés, d’autres fournisseurs, l’aide sera encore réduite.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

L’OTAN aurait pu éviter cette situation en augmentant la production d’armes et d’équipements militaires dès 2022 et en déployant des installations de production supplémentaires. Dans ce cas, certains progrès auraient déjà été visibles dès l’hiver 2023-24.

Cependant, le bloc n’avait pas de vision unifiée concernant la production d’armes supplémentaires, ce qui a sérieusement compliqué le processus de prise de décision. Aucun homme politique de l’OTAN n’était prêt à garantir aux entreprises de fabrication d’armes une demande régulière et à grande échelle d’armes une fois le conflit en Ukraine terminé. En outre, même si l’ampleur du conflit est significative, elle est dans certains cas insuffisante pour assurer la demande nécessaire en nouvelles armes. Enfin, il convient de noter qu’un certain nombre d’hommes politiques et de chefs militaires occidentaux pensaient que l’aide militaire actuelle à l’Ukraine suffirait à atteindre les objectifs de 2023 – manifestement, cela était dû aux conclusions erronées tirées à la suite des batailles dans les régions de Kharkov et de Kherson au cours de l’été et de l’automne 2022.

Ces conclusions erronées ont eu deux conséquences. D’une part, l’Ukraine n’a pas reçu l’équipement et les armes nécessaires pour percer les lignes de défense bien préparées de la Russie. En effet, nous pouvons supposer qu’aucune armée au sein de l’OTAN n’est actuellement préparée à cela, et que ce manque de préparation pratique et théorique a peut-être empêché le bloc d’évaluer de manière réaliste les capacités des troupes russes et de leurs positions défensives.

En conséquence, la contre-offensive ukrainienne a été lancée avec un manque évident d’artillerie, de chars et surtout de matériel de génie, alors que le commandant suprême des forces alliées de l’OTAN, le général Christopher Cavoli, avait déclaré que les troupes ukrainiennes étaient entièrement équipées.

D’autre part, l’OTAN a pris un certain nombre de décisions et signé des contrats pour équiper les troupes ukrainiennes à long terme. Il s’agit notamment du transfert de systèmes de défense antimissile et d’autres armes qui, en raison de capacités de production insuffisantes, ne seront pas disponibles avant plusieurs années. Tout comme la décision de transférer des avions de combat – qui n’a pas encore été finalisée publiquement en termes de volume et de calendrier – ces contrats ont été évalués par de nombreux experts comme étant « pour l’après-guerre« , c’est-à-dire destinés à compenser, après le conflit, les pertes subies.

Cependant, l’échec de la contre-offensive ukrainienne lancée en juillet rend incertaine la mise en œuvre à grande échelle de ces contrats et de ces intentions. Leurs perspectives seront encore plus incertaines en cas d’offensive russe réussie au cours de l’automne ou de l’hiver à venir.

Les prochaines élections américaines renforcent les doutes quant à l’assistance de l’OTAN à l’Ukraine au cours de l’année à venir, étant donné que le sujet de l’aide militaire sera dans le collimateur des Républicains. Il ne faut pas exagérer l’aspect « pro-russe » de cette critique, car certains politiciens Républicains traitent la Russie au mieux de manière pragmatique – mais rien ne les empêchera de souligner publiquement toutes les erreurs de l’administration Biden, exclusivement dans leur propre intérêt.

Qu’est-ce que cela signifie ?

L’OTAN sera-t-elle en mesure d’augmenter de manière significative l’aide à l’Ukraine dans un avenir proche ? La production militaire est une industrie inertielle, et même si la décision d’augmenter considérablement la production d’armes était prise demain, il faudrait jusqu’à deux ans pour obtenir des résultats. Compte tenu de l’image publique défavorable de la contre-offensive infructueuse de l’Ukraine, cela pourrait prendre encore plus de temps.

Il est intéressant de noter que les équipements militaires de fabrication soviétique, ou les équipements d’Europe de l’Est produits sous licence soviétique, se sont avérés les plus efficaces pour l’armée ukrainienne. Les chars soviétiques, les véhicules de combat d’infanterie et les autres équipements qui ne nécessitent pas d’entraînement, d’entretien, d’infrastructure et de munitions spécifiques peuvent être mis en œuvre immédiatement, et leur niveau de préparation au combat est plus élevé que celui des modèles occidentaux qui doivent être intégrés dans le nouvel environnement.

Si, en 2022, l’OTAN avait eu recours à la coopération militaro-industrielle de l’Europe de l’Est, qui permet la production de chars T-72, de véhicules de combat d’infanterie BMP-2, d’un certain nombre de systèmes d’artillerie de 122-152 mm et d’autres types d’armes et d’équipements militaires, cette décision aurait pu avoir des conséquences sur le cours du conflit. Cependant, cela ne s’est jamais produit et, étant donné que l’industrie polonaise de la défense se tourne désormais vers la production sous licence d’équipements conçus par la Corée du Sud, cela ne se produira probablement pas à l’avenir. Cela signifie que pour l’Ukraine, des questions telles que la fourniture insuffisante d’équipements militaires, les types d’armes très différents, la pénurie de munitions et les problèmes de gestion des troupes qui en découlent resteront sans réponse. Dans ces conditions, le succès d’une nouvelle contre-offensive est difficilement envisageable.

D’une manière générale, la balle – ou, en d’autres termes, l’initiative militaro-technique dans le conflit – est maintenant dans le camp de la Russie, et il dépend de la Russie de savoir comment elle utilisera cette opportunité. Il est fort probable que l’initiative de transférer des avions de combat occidentaux à l’Ukraine sera discrètement abandonnée, puisque les FAU ne seront plus en mesure de les utiliser. La Russie le sait très bien. En théorie, cette situation devrait renforcer la volonté de négociation des États-Unis, même si la période électorale à venir compliquera grandement toute discussion potentielle.

Ainsi, à moins d’un événement extraordinaire, l’Occident continuera très probablement à soutenir les forces armées ukrainiennes dans la mesure nécessaire à la poursuite de la résistance. Cela signifie que l’Ukraine ne disposera pas de suffisamment d’équipements et d’armes pour lancer une nouvelle contre-offensive à grande échelle, à moins que les États-Unis ne décident de partager leurs arsenaux d’armes. Une telle décision irait toutefois à l’encontre de la pratique américaine de ces dernières années et de sa planification stratégique, qui considère la Chine comme le principal rival sur lequel concentrer ses ressources financières, militaires et technologiques.

Ilya Kramnik, analyste militaire, expert auprès du Conseil russe des affaires internationales et chercheur à l’Académie des sciences de Russie.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

 

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