Trump : le Déglobalisateur ?

Par Peter_Koenig-80x80_c Peter Koenig – Le 22 juillet 2018 – Source thesaker.is

On dirait que Trump devient fou furieux avec ses « politiques commerciales ». Non seulement il a contrarié l’Union européenne – qui ne mérite pas mieux, franchement – d’avoir été et d’être encore des vassaux soumis contre la volonté de 90% des Européens ; mais il a aussi réussi à mettre la Chine en rogne. Eh bien, pour la Chine, ce n’est pas très important, car elle a beaucoup d’autres marchés, y compris l’ensemble de l’Asie, et probablement de plus en plus l’Europe, qui ressent sérieusement le besoin de se détacher des États-Unis.

Ce qui est frappant, cependant, c’est que même au début du sommet du G20 en cours à Buenos Aires, en Argentine, les ministres de Trump ont clairement indiqué que faute pour l’Europe d’annuler toutes ses subventions – en se référant principalement aux subventions agricoles – et d’éliminer les représailles nouvellement imposées sur les droits de douane, de nouveaux accords commerciaux ne seront pas discutés. Peu importe que les États-Unis aient les subventions agricoles les plus élevées au monde.

De loin, cela ressemble à la guerre commerciale la plus embrouillée et absurde que les États-Unis, via Trump, mènent contre le reste du monde – à la « Make America Great Again ». Est-ce que ça marchera ? Peut-être. On ne peut jamais prédire la dynamique, surtout pas dans un monde occidental néolibéral habitué au simplisme, qui par définition est toujours faux. Sciemment et délibérément, l’Occident et ses institutions financières clés, le FMI, la Banque mondiale, la FED et la Banque centrale européenne, trompent le grand public en leur faisant croire leurs statistiques et leurs prédictions – qui, si l’on remonte dans l’histoire, ont toujours été hors des clous.

Toute vie est dynamique. Mais pour comprendre cela, il faut une pensée indépendante – que l’Occident a depuis longtemps abandonnée, malheureusement. Ainsi, en réponse au dernier fiasco commercial de Trump au G20 en Argentine, le FMI est sur les dents, estimant que cela pourrait faire baisser le PIB mondial d’au moins 0,5%. Même si c’est vrai, et alors ?

En réalité, il y a un scénario totalement différent dont personne n’ose parler. À savoir : qu’est-ce que la production locale renouvelée et la souveraineté monétaire peuvent apporter à l’économie mondiale ? Précisément ce que M. Trump dit qu’il veut apporter aux États-Unis : la production locale pour les marchés locaux et le commerce avec les pays qui respectent les avantages mutuels. Avantages mutuels qui, bien sûr, ne sont pas facilement au rendez-vous dans un accord commercial avec les États-Unis. Mais pour la question du pouvoir économique, ceux-ci sont un énorme baril de poudre. La stimulation des économies locales par le crédit interne est le moyen le plus efficace pour stimuler l’emploi local et le PIB.

Ensuite, il y a le jeu des sanctions. Ça devient de plus en plus agressif. De nouvelles sanctions contre la Russie, de nouvelles sanctions contre le Venezuela et de nouvelles sanctions lourdes contre l’Iran. Et les marionnettes européennes continuent à suivre, bien qu’elles souffrent le plus des sanctions américaines imposées aux autres, notamment parce que, « stupidité » ou peur, elles ne peuvent pas abandonner l’empire destructeur à l’agonie. Ou peut-être ces faux leaders de la construction bruxelloise sont-ils achetés ? – Oui, je veux dire achetés avec de l’argent ou des faveurs – ce n’est pas impossible, puisque les gens de la Commission européenne, qui dirigent les choses, ne sont pas élus, donc ils ne sont responsables vis-à-vis de personne.

Prenons le cas de l’Iran, Trump et ses pairs, Bolton et Pompeo, ont menacé toutes les compagnies pétrolières du monde entier de lourdes sanctions si elles continuaient à acheter des hydrocarbures en Iran au-delà de novembre 2018. Les géants européens du pétrole sont particulièrement inquiets, comme Total, ENI, Repsol et d’autres. En conséquence, ils ont annulé leurs contrats de plusieurs milliards d’euros avec l’Iran pour se protéger – et, bien sûr, leurs actionnaires. Tout récemment, j’ai parlé à un haut dirigeant de Total. Il a dit : « Nous n’avons pas le choix, car nous ne pouvons pas faire confiance à nos gens à Bruxelles pour nous protéger des sanctions de Washington. Nous devons donc chercher ailleurs pour remplir nos obligations contractuelles vis-à-vis de nos clients. Mais, a-t-il ajouté, nous n’avons pas acheté de pétrole de schiste américain ; nous négocions avec la Russie. Voilà où on en est. »

Le marché européen des hydrocarbures iraniens est estimé à environ 20% de sa production totale. Un montant, facilement pris en charge par la Chine et d’autres qui sont trop grands – et trop fiers – pour être sanctionnés par l’empire. Certains peuvent effectivement revendre des hydrocarbures iraniens, par une porte dérobée, aux sociétés pétrolières européennes autrement sanctionnées.

L’Iran dispose d’une autre arme puissante qu’il a déjà clairement annoncée :  si les États-Unis tentent sérieusement d’empêcher quiconque d’acheter du pétrole et du gaz iraniens, l’Iran peut bloquer le détroit d’Ormuz, par lequel transite quotidiennement environ 30% de tous les hydrocarbures utilisés dans le monde, dont près de la moitié vers les États-Unis. Cela pourrait augmenter le prix du pétrole de manière exponentielle et ruiner les économies de nombreux pays. Cependant, des prix plus élevés profiteraient également à la Russie, à la Chine et au Venezuela, précisément aux pays que Washington veut punir.

Une telle initiative de l’Iran provoquerait-elle une agression américaine directe ? On ne sait jamais avec les profiteurs de guerre aux États-Unis. Ce qui est sûr, c’est qu’une telle intervention ne se passerait pas sans une réponse proportionnée de la Chine et de la Russie.

De l’autre côté du scénario, imaginez : les pays embourbés dans ce gâchis mondial, provoqué par les États-Unis, commencent à nouveau à s’occuper de leurs propres intérêts, de leur propre souveraineté et indépendance vis-à-vis de la mondialisation. Ils se lancent dans des politiques économiques favorisant l’autosuffisance, la sécurité, d’abord dans le domaine alimentaire, puis se concentrent sur leurs recherches scientifiques pour construire leurs propres parcs industriels à la pointe de la technologie. Un exemple frappant est la Russie. Depuis l’imposition de sanctions, la Russie est passée d’un pays totalement dépendant des importations depuis l’effondrement de l’Union soviétique à un pays autosuffisant dans le secteur de l’alimentation et de l’industrie. Selon M. Poutine, les sanctions sont la meilleure chose qui soit arrivée à la Russie depuis la chute de l’Union soviétique. La Russie est le premier exportateur mondial de blé depuis deux ans.

Les Européens ont commencé tranquillement à réorienter leurs activités commerciales vers l’est. Les Européens ont peut-être enfin remarqué – non pas les marionnettes élitistes de Bruxelles, mais le Big Business et le grand public – que l’on ne peut pas faire confiance au partenaire transatlantique, ni à l’administration centrale européenne de Bruxelles que l’Europe s’est imposée elle-même. Ils cherchent leurs propres moyens, chacun de ces pays tente progressivement de se sortir des griffes de Washington, se détachant finalement de la domination du dollar, car ils remarquent, en hommes d’affaires avisés, que l’économie basée sur le dollar est une affaire perdante.

Et il y a le Brexit, le mouvement le plus flagrant pour s’éloigner ouvertement du dictat européen qui « limite la liberté », et qui n’est rien d’autre qu’une copie conforme du dictat économique du dollar, tel qu’il est pratiqué aux États-Unis et partout où le dollar reste la monnaie principale des contrats internationaux et la monnaie de réserve.

Le mouvement Cinq étoiles en Italie a été créé sur des prémisses similaires – se libérer de Bruxelles et des menottes de la politique de l’euro. Lors d’une première tentative de mise à l’écart de l’euro, ils ont reçu une fessée du président italien europhile, Sergio Mattarella, qui refusait d’accepter [dans le gouvernement] un ministre des Finances eurosceptique, Paolo Savona, proposé par le parti Lega Norte, partenaire de la coalition Cinq étoiles. Savona avait déclaré que l’entrée de l’Italie dans la zone euro avait été une « erreur historique ». Cette effort de l’Italie pour retrouver sa souveraineté monétaire n’est pas fini. Au contraire, il a pris de la force et de la détermination. L’Allemagne évolue dans la même direction en ouvrant discrètement ses portes à Moscou et à Pékin.

Malheureusement, ces initiatives ont peu à voir avec une nouvelle conscience, plus humaine et pacifique, mais plutôt avec les intérêts des entreprises. Mais peut-être que la prise de conscience – les retrouvailles avec l’étincelle originelle d’une humanité imprégnée de solidarité – est un processus qui se fera étape par étape.

Et si, compte tenu du mouvement des gens vers l’autodétermination, de la folie furieuse de Trump, de sa plongée dans le chaos – vers plus en plus de chaos – du jeu des sanctions sans fin, des punitions et menaces, amis et ennemis confondus, nous nous dirigions vers une véritable dé-globalisation du monde ?

Si cela devait arriver, alors nous, les 90% de la population mondiale, devrions être très reconnaissants à M. Trump, qui a montré et ouvert la voie des Lumières, celles de la dé-globalisation.

Peter Koenig est économiste et analyste géopolitique. Il est également spécialiste des ressources en eau et de l’environnement. Il a travaillé pendant plus de 30 ans avec la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé dans le monde entier dans les domaines de l’environnement et de l’eau. Il enseigne dans des universités aux États-Unis, en Europe et en Amérique du Sud. Il écrit régulièrement pour Global Research, ICH, RT, Spoutnik, PressTV, Le 21ème siècle, TeleSUR, The Saker, et d’autres sites internet. Il est l’auteur du livre  Implosion – An Economic Thriller about War, Environmental Destruction and Corporate Greed  – une fiction basée sur des faits et sur 30 ans d’expérience de la Banque mondiale dans le monde. Il est également co-auteur de The World Order and Revolution ! – Essays from the Resistance.

Note du Saker Francophone

Cet article a fait l'objet d'une analyse sur le site dedefensa.org

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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