Sahara occidental : négociations autour de la dernière colonie d’Afrique


Par Ali El Aallaoui − Le 25 octobre 2018 − Source Zambakari

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Les Sahraouis sont un peuple d’origine nomade dont les terres traditionnelles s’étendent principalement dans ce qu’on appelle communément le Sahara occidental 1. Les Sahraouis revendiquent en tant que peuple l’indépendance de ce territoire, qu’ils considèrent comme leur territoire national, c’est la conséquence de l’histoire coloniale et du long processus de décolonisation qui n’est toujours pas achevé.

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Après le départ des troupes espagnoles sous Franco en 1973, les Sahraouis se sont vus déposséder une seconde fois de leurs terres par l’occupant mauritanien et marocain en 1975. Les Sahraouis combattent et dénoncent depuis lors cette dépossession qui se perpétue à l’intérieur du territoire du Sahara occidental par une résistance passive et active (notamment par des manifestations sévèrement réprimées par les forces d’occupation marocaines), mais également à l’extérieur du territoire, par une guerre menée depuis 1991.

Lorsque la Mauritanie s’est retirée du conflit en 1979 2, le Maroc est resté le seul opposant des Sahraouis, il occupe environ 80 % du pays, avec l’appui d’une structure de défense militaire, appelée le Berm du Sahara occidental, dressée du Nord au Sud et s’étendant sur approximativement 2700 kilomètres. Le Berm est une succession de dunes minées 3.

Les Sahraouis ont organisé leur combat pour l’indépendance dans les camps de réfugiés. Vingt-cinq années de guerre et d’exil ont façonné l’identité sahraouie, qui se caractérise maintenant par une langue, des institutions, un état d’esprit et une culture qui sont différents de ceux de ses voisins. Cela fait maintenant 43 ans que le peuple sahraoui attend que les Nations Unies organisent l’hypothétique référendum qui décidera du futur du Sahara occidental de manière démocratique.

Pour se figurer l’avenir des négociations sur le Sahara occidental, il est nécessaire de discuter brièvement du statut du Sahara occidental du point de vue des lois internationales, avant de passer en revue les moyens dont disposent les Nations Unies pour mettre fin à la dernière colonie d’Afrique.

Particularités de la décolonisation du Sahara occidental

La « décolonisation » peut être définie comme le processus par lequel un territoire soumis à un autre État devient un État souverain et indépendant. Pour qu’un territoire soit correctement décolonisé, quatre conditions essentielles doivent être réunies : un gouvernement qui puisse agir au nom de l’ensemble de la population doit être créé ; la puissance coloniale doit transférer sa souveraineté de manière officielle et concrète ; le gouvernement local et la puissance coloniale doivent s’entendre sur l’étendue du nouveau territoire national ; enfin, le nouvel État doit être reconnu au niveau international et obtenir un siège aux Nations Unies 4.

Historiquement, l’Espagne s’est emparée du territoire après la conférence de Berlin de 1884-1885, le rétrocédant en 1975, après la signature de l’accord de Madrid 5 avec le Maroc et la Mauritanie, chacun arguant de prétentions historiques, mais étant tout autant intéressé par les ressources naturelles du territoire. L’accord de Madrid a donné au Maroc et à la Mauritanie le contrôle administratif du territoire du Sahara occidental.

Dans son avis consultatif sur le statut international du Sahara occidental, la Cour internationale de justice (CIJ) est arrivée à la conclusion que le peuple du Sahara occidental avait un droit à l’autodétermination. La Cour a rejeté les demandes de souveraineté du Maroc et de la Mauritanie sur le Sahara occidental. Le jugement a été confirmé par la mission officielle des Nations Unies en 1975 dans le Sahara espagnol (appellation à l’époque), qui en a conclu qu’il y avait un consensus écrasant dans la population en faveur de l’indépendance nationale et contre l’intégration à quelque État voisin.

Depuis 1975, le Front Polisario 6 s’oppose à la présence du Maroc et de la Mauritanie dans le Sahara occidental, il a entamé une résistance militaire avec l’aide de la Libye puis de l’Algérie. Le Front Polisario a contraint la Mauritanie à se retirer du Sahara occidental en 1979, la Mauritanie signant un accord reconnaissant la République arabe sahraouie démocratique (RASD) 7 comme État légitime du peuple sahraoui. En 1984, la RASD a été acceptée comme membre de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), le Maroc s’en est alors retiré en signe de protestation.

Des combats armés entre le Maroc et le Front Polisario se sont déroulés tout au long des années 1980. Cette guerre a été désastreuse et ruineuse pour le Maroc, car aucune des deux forces en présence ne pouvant prétendre au final à la victoire. En septembre 1990, le Maroc a signé un cessez-le-feu, désirant finaliser en douceur le processus de paix initial et anticiper le mouvement vers un référendum démocratique sur le terrain. À la suite du cessez-le-feu, une mission des Nations Unies (MINURSO 8) a été établie au Sahara occidental. La question du Sahara occidental a ensuite été archivée dans les annales de la décolonisation comme territoire non autonome soumis au principe d’autodétermination du droit des peuples sous contrôle colonial. Pour comprendre comment cette situation a évolué depuis 1990, il est nécessaire de se souvenir des résolutions 9 des Nations Unies.

Confrontés à l’échec d’une solution africaine, le Maroc et la RASD se sont logiquement tournés vers les Nations Unies pour trouver une solution au problème. Ces efforts se sont matérialisés dans l’accord de 1990, autorisant la mission de l’ONU, un cessez-le-feu et la tenue d’un référendum offrant le choix entre l’indépendance ou le maintien du Sahara occidental sous la souveraineté du Royaume du Maroc.

Ce plan a rencontré des difficultés notables dans l’application de ses principales dispositions, à commencer par l’identification du corps électoral susceptible de participer au processus référendaire. Malgré les ajustements successifs du volet technique, le plan s’est révélé inapplicable, le Maroc se doutant que le résultat final ne serait pas en sa faveur. Le Maroc s’est ainsi appliqué à bloquer ou à rendre inefficace le processus de l’ONU en déplaçant des citoyens marocains de villes marocaines vers des villes du Sahara occidental pour les intégrer au recensement sans considération aucune pour le plan d’origine signé avec le Front Polisario.

Cette difficulté a été identifiée par le Secrétaire général des Nations Unies et son représentant officiel 10. En février 2000, le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan a évoqué pour la première fois la nécessité d’une solution politique pour résoudre le conflit au Sahara occidental par des pourparlers directs entre le Maroc et le Front Polisario. C’est à partir de ce moment qu’a été formulée cette nouvelle approche des Nations Unies dans sa recherche de résolution du conflit à propos du dernier fief de décolonisation en Afrique 11 : la négociation comme alternative.

Pourquoi l’ONU recherche-t-elle une solution par la négociation en laissant de côté l’accord initial ?

Nous ne devons pas oublier que la question du Sahara occidental est purement et simplement une question de décolonisation, dans ce sens elle est soumise à l’application des principes des lois internationales sur la décolonisation.

Le principe d’autodétermination signifie que tous les peuples ont le droit de choisir librement leur statut politique et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, principe renforcé par la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU 1514 (1960) 12. Il doit beaucoup au processus de décolonisation, qui s’est accéléré dans les années 1960. Dans ce contexte, l’autodétermination 13, on a demandé à l’Espagne de se retirer.

De la même manière, une procédure identique a été soumise au Maroc, qui ignore l’histoire de la décolonisation et continue de bafouer les lois internationales en la matière 14. Cette violation de l’ordre régional par le Maroc a été exacerbée par la décision de l’Espagne (avec la complicité des États-Unis), qui s’est dégagée de ses responsabilités en ratifiant secrètement l’accord de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie, ce qui de facto a transféré les pouvoirs administratifs sur le territoire à ces deux pays.

La notion d’autodétermination est un principe universel, qu’on le considère sous un angle politique, moral, ou légal comme un principe de Jus Cogens 15. C’est dans cette perspective que les Nations Unies devraient chercher à trouver une solution négociée politiquement, mais qui respecterait le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Voilà une partie des problèmes soulevés par l’adoption des négociations depuis 2001, elles ont échoué à apporter des solutions à la question de l’autodétermination.

En 2000, le Secrétaire général avait tiré des conclusions sur cette impasse, elles stipulaient l’impossibilité d’appliquer le plan de sédentarisation des populations. Cependant, en 2004, les divergences profondes entre les parties sur le plan Baker 16 de 2003 ont empêché toute progression vers une solution politique. Le Maroc a rejeté le plan et la question du Sahara occidental s’est retrouvée dans un cul-de-sac. Depuis 2004, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est abstenu de toute référence à ces plans, entérinant leur abandon final. Pourtant, le Conseil a adopté des résolutions successives – la 1570 (octobre 2004), la 1598 (avril 2005), la 1634 (octobre 2005), la 1675 (avril 2006) et la 1720 (octobre 2006) – qui ont appelé « les parties et les États de la région à continuer à coopérer pleinement avec les Nations Unies afin de mettre un terme au statu quo et s’orienter vers une solution politique » 17.

Il semble que la poursuite des négociations dans le Sahara occidental va continuer, comme alternative au référendum direct. Il semble que les superpuissances – principalement les États-Unis et la France – veulent à tout prix éviter au Maroc une défaite, ça n’est pas dans leur intérêt stratégique. Ils souhaitent une solution consensuelle pour sauver les intérêts marocains au Sahara occidental, ce qui doit plus s’entendre en termes d’intérêts économiques pour le Maroc qu’en termes de souveraineté.

Depuis le début des années 2000, une certaine confusion est entretenue autour du sujet, la question de l’autodétermination a été marginalisée par l’inaction du Conseil de Sécurité, qui accorde plus d’intérêt à des visions stratégiques. Tant que la paix et la sécurité mondiales ne sont pas menacées, les superpuissances portent leur attention ailleurs, cela favorise le statu quo qui œuvre au bénéfice des intérêts actuels. La marginalisation de la question du Sahara occidental est devenue la norme.

L’accord initial semble être né sous de mauvais auspices, puisque l’accord de paix a été circonscrit au chapitre IV de la Charte des Nations Unies, sans qu’à aucun moment mention y soit faite dans le chapitre VII, de manière à respecter les clauses de l’accord de paix initial. À nos yeux, c’est la principale raison pour laquelle les belligérants peuvent rester sur leur position initiale, sans permettre de concession pour la progression du processus d’autodétermination du peuple sahraoui.

Une nouvelle approche diplomatique

Il semble que les Nations Unies prennent au sérieux les facteurs de déstabilisation en Afrique du Nord. L’ONU tente de réconcilier les lois internationales d’autodétermination avec des considérations politiques, ce qui est problématique selon nous. Cela se traduit par le temps passé à élaborer différentes approches, qui semblent au final n’apporter aucune solution. Le dilemme des deux approches – par les juges ou par les politiques – est patent à deux points de vue : opportunité et effectivité.

L’opportunité des négociations

Plusieurs facteurs ont contribué à pousser l’ONU à tenter de nouvelles approches dynamiques au Sahara occidental. Aujourd’hui la situation semble différente de ce qu’elle était dans les années 1990 et au début des années 2000 : la sécurité dans les régions du Sahara et du Sahel (y compris l’Afrique du Nord) devenant plus précaire et menacée par le terrorisme. La guerre civile en Libye, la situation sécuritaire et la présence de l’ONU au Mali, les menaces des groupes jihadistes et terroristes ne sont que quelques-uns de ces facteurs.

Ce sont des facteurs externes à l’environnement propre de la population sahraouie, qu’elle soit réfugiée ou sous occupation marocaine, elle est chaque jour plus menacée par le manque de confiance envers les Nations Unies. Les habitants du Sahara occidental souffrent de la pauvreté et des inégalités, leur existence se balance entre sédentarisation et nomadisation, ils subissent la marginalisation, le pillage de leurs ressources naturelles, le manque de respect des droits de l’homme, des infrastructures à l’abandon et un déficit de service public dans les villes du Sahara occidental par rapport aux villes marocaines. Cela génère une insatisfaction, ces facteurs déterminants poussent la jeunesse sahraouie à chercher d’autres manières de vivre. Cela peut se traduire par la migration vers l’Europe – clandestine ou officielle – ou le travail dans l’économie parallèle autour des drogues marocaines. Accessoirement, certains peuvent trouver refuge dans les groupes terroristes ancrés dans le Sahel et le Sahara. Cette montée de la frustration chez les Sahraouis pourrait être un facteur déstabilisateur dans un futur proche.

Son adhésion à l’Union africaine en 2017 a inauguré une nouvelle ère dans les relations entre le Maroc et les institutions africaines ainsi que ses membres, ce qui pourrait conduire à une position marocaine plus flexible par rapport au processus d’autodétermination du peuple sahraoui.

Du côté de l’ONU, 2017 a vu la nomination de l’ancien président allemand Horst Köhler comme envoyé spécial au Sahara occidental, avec pour mission de trouver une issue aux négociations. Le rôle du médiateur varie d’un cas à un autre, cela peut aller de la stricte neutralité jusqu’à une forte implication exerçant de fortes pressions. Loin d’être systématiquement impartial, le médiateur peut s’afficher comme un « communicant », un « démonstrateur » ou un « manipulateur ». Dans le premier cas, il agit pour favoriser la communication et restaurer la confiance entre les parties. Dans le second cas, il ne doit pas hésiter à transmettre les messages du mieux qu’il le peut ; il suggère (autant que possible) des recettes pour trouver un accord. Dans le troisième cas, le médiateur prend tant d’importance qu’il modifie l’équilibre des forces en présence en intervenant lui-même dans la négociation. Ces différentes formes d’interventions peuvent être illustrées par le rôle joué par l’administration américaine dans les processus de paix de Camp David et de Dayton.

Les circonstances et la personnalité de Köhler pourraient initier une nouvelle dynamique et mettre fin à ce vieux conflit de la décolonisation, particulièrement en raison du soutien récent de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité sur la question du Sahara occidental, pour la première fois dans l’Histoire. Cependant, les stratégies des protagonistes joueront clairement un rôle majeur pour déterminer si une nouvelle dynamique se met en place.

Mettre l’accent sur l’efficacité

En principe, tous les traités doivent être appliqués sincèrement 18. Le principe de la sincérité renforce la règle du pacta sunt servanda. En signant un traité, les parties s’obligent à agir en toute bonne foi, étant liées par un accord. Cela a été ratifié dans l’article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, qui énonce la bonne foi comme préalable au règlement de tout conflit. Mais le principe de la sincérité est également un principe général du droit qui se repose sur les États en l’absence de tout lien conventionnel. Les États sont obligés de se comporter en toute bonne foi dans les relations internationales, et ainsi, de se soumettre au « principe de loyauté, respect du droit, fidélité aux engagements du côté de celui dont l’action est mise en cause », et de s’abstenir de dissimuler ou de frauder dans ses relations avec les autres États.

En 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a pour la première fois explicitement appelé à des négociations sans condition préalable, et demandé à ce que les deux parties se montrent responsables dans leur engagement. Dans la résolution 2414, le Conseil de sécurité de l’ONU affirme ceci : « Nous appelons les parties à reprendre les négociations sous les auspices du secrétaire général sans condition préalable et en toute bonne foi, en prenant en compte les efforts accomplis depuis 2006 et les développements réalisés depuis, en vue de trouver une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, qui mènera à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, dans le contexte des règlements en accord avec les principes et les buts de la Charte des Nations Unies. À cet égard, nous prendrons en compte le rôle et les responsabilités des parties. » 19.

Par conséquent, nous pouvons voir que l’ONU, via le Conseil de sécurité, tente de mettre la pression sur les parties concernées pour trouver une solution sans perdre plus de temps. Il est également important de noter que le renouvellement du mandat de la mission de la MINURSO a été réduit d’un an à six mois. C’est la preuve la plus éclatante de la nouvelle approche de l’ONU.

Solutions et scénarios

Après avoir vu ce qui est à l’œuvre avec le Conseil de sécurité, on peut étudier les divers scénarios possibles de la résolution finale de la question de l’autodétermination au Sahara occidental.

Scénario 1 : pas de dialogue (ou un dialogue interrompu) sans la présence de l’Algérie, en accord avec la vision du Maroc

Selon ce scénario, qui d’une certaine manière est irresponsable, il n’y aurait pas de dialogue, les deux parties se cantonnant fermement dans leurs positions respectives. Un tel scénario renforcerait la séparation ethnique actuelle et influencerait négativement tout dialogue futur entre les parties concernées. Pire, il pourrait même mettre en péril le (relatif) niveau de sécurité actuel et la communication interethnique au Sahara occidental.

De même, certains affirment que le retrait du dialogue servira uniquement à diminuer la position du Maroc sur l’arène internationale et pourrait probablement donner lieu à des sanctions par plusieurs États reconnaissant la RASD ou par l’ONU, si les procédures du chapitre VII devaient commencer à être mises en application. Le Maroc serait perçu sur la scène internationale comme un trublion, plutôt que comme un parangon de stabilité.

Scénario 2 : un référendum en ligne sur le principe d’autodétermination est approuvé

Selon ce scénario, la validité de l’autodétermination serait confirmée comme base pour un accord politique continu et définitif, et pour une sédentarisation des populations. La négociation demeure le mode d’action privilégié par la communauté internationale pour la satisfaction de ce principe d’autodétermination, qui reste un principe du droit international imprescriptible et immuable. En outre, le référendum demeure un modèle positif dans les pratiques de l’ONU (par exemple en Namibie ou au Timor-Leste).

La vertu de ce scénario réside dans le fait qu’il serait approuvé par toutes les parties et permettrait le maintien de la stabilité, de la cohésion sociale et, par-dessus tout, de la paix aux niveaux local et régional.

Scénario 3 : coopération économique et normalisation

Ce troisième scénario est basé sur le partage économique, il comprend la ratification d’un accord exhaustif et légalement contraignant entre le Maroc et la RASD qui préparerait le terrain pour une véritable normalisation des relations au sein de l’Union africaine et de la mission de l’ONU.

Des questions surgiraient dans ce scénario sur les problèmes relatifs à l’éducation et à l’héritage culturel. Il y aurait clairement besoin d’une phase d’intégration entre les communautés marocaines et sahraouies, et d’un temps de régularisation de leurs relations. Mais la reconnaissance à un niveau étatique est le cœur du problème, et s’il n’y a pas de reconnaissance mutuelle, il n’y aura pas de normalisation.

Scénario 4 : Reconnaissance mutuelle

Le scénario le plus positif est de loin celui de la reconnaissance mutuelle. La RASD doit-elle insister sur une reconnaissance formelle et prétendre à devenir un État ? et donc prétendre à la reconnaissance internationale et l’adhésion à l’ONU à travers ce processus ? C’est un vrai débat. Une RASD officiellement reconnue pourrait discuter avec le Maroc pour partager les ressources naturelles et donner des garanties par rapport à la sécurité, en tant qu’État pleinement souverain.

Il est important de noter que la liste des scénarios potentiels n’est pas exhaustive. Par exemple, de mon point de vue, la meilleure solution serait d’opter pour le choix démocratique, car ce serait le seul chemin qui pourrait apporter de l’espoir à toute la société dans la région du Maghreb. Cependant, cela soulève une interrogation : est-il possible de poursuivre de bonne foi des pourparlers sans condition préalable, de manière à parvenir à une solution juste et mutuellement acceptable, étant donné le degré de violence à l’œuvre dans les relations entre le Maroc et la population sahraouie ?

Au vu de ce qui s’est produit auparavant, de manière à assurer un climat favorable pour les deux parties pour conquérir la paix, le cas du Sahara occidental tel que reconnu par l’ONU comme ayant le droit à l’autodétermination doit être respecté, en vertu de l’obligation de ne pas freiner le droit d’accès à l’autodétermination des peuples dépendants, dont le caractère est péremptoire. Il est important malgré tout que le Maroc entreprenne de stopper plusieurs mesures qui affectent négativement le Sahara occidental, en tant que territoire et en tant que pays du peuple sahraoui. La première de ces mesures concerne l’exploitation des ressources naturelles au Sahara occidental. Il a déjà été prouvé que le Maroc ne dispose pas légalement des droits d’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental 20. Cependant, le Maroc s’est engagé à exploiter les ressources de la zone avec la complicité des puissances étrangères. Ainsi, l’Union européenne s’est montrée favorable à la signature d’un accord sur la pêche et l’agriculture, ressources du Sahara occidental, sans respect pour la décision de la Cour européenne de Justice 21 qui avait statué sur ce problème d’une manière claire lorsqu’elle avait déclaré que seul le peuple sahraoui et non le Maroc avait le droit de décider du destin de ses ressources naturelles,

Par ailleurs, l’installation de colonies marocaines au Sahara occidental peut être considérée comme une preuve de colonisation du territoire par le Maroc qui modifie sa composition démographique. La politique du Maroc consistant à établir des colonies dans les territoires occupés n’a aucun fondement légal 22. Si ce type d’action continue, les négociations sur l’avenir du Sahara occidental connaîtront le même destin qu’auparavant : elles se termineront par un cul-de-sac.

Ali El Aallaoui est analyste, écrivain, chercheur en géopolitique et en anthropologie, il vit à El Aaiun au Sahara occidental, dans une zone contrôlée par le Maroc. Il travaille actuellement dans l’Administration des bureaux de la sécurité sociale, et il exerce en indépendant pour essayer de comprendre la problématique des négociations dans les missions de maintien de la paix de l’ONU, principalement en Afrique du Nord et de l’Ouest.

Traduit par Manuel H, relu par Rémi D

Notes

  1. Le Sahara occidental est cette partie du désert dont les frontières résultent de la division de l’Afrique de l’Ouest entre les Français et les Espagnols (lors de la Conférence de Berlin 1884-1885) : entre le Maroc et la Mauritanie, le long de la côte atlantique (266 060 km² de surface, 1100 km de côtes)
  2. Le 5 août 1979, la Mauritanie a signé un accord de paix avec le Front Polisario et s’est retiré de Oued Eddahab, la partie sud du Sahara occidental, et en 1984, la Mauritanie a reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
  3. Le Berm sépare les zones contrôlées par le Maroc (80 %) à l’ouest des zones contrôlées par la RASD (20 %) à l’est.
  4. Stein Tønnesson, National divisions in Indochina’s decolonization, dans Decolonization Perspectives from now and then, édité par Prasenjit Duara, Routledge, Londres, 2004, p.253.
  5. L’accord de Madrid entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie a été signé pour mettre fin à la présence espagnole au Sahara occidental, sa principale clause établissant « la division du territoire entre le Maroc et la Mauritanie, l’Espagne préservant des intérêts économiques dans le phosphate et la pêche ». Cet accord était en contradiction avec la loi sur la décolonisation du Sahara occidental.
  6. Le Front Polisario, « Front Populaire pour la Libération de Saguia El Hamra et Rio De Oro ».
  7. La RASD a été proclamée par le Front Polisario le 27 février 1976, à Bir Lehlou au Sahara occidental.
  8. La mission des Nations unies pour le référendum au Sahara occidental (MINURSO) ; elle avait pour rôle de veiller au cessez-le-feu et d’organiser et de mener à terme un référendum en accord avec le plan originel de peuplement.
  9. En 1965, l’ONU a délivré une première résolution en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental par un processus de référendum auprès des populations concernées. Assemblée Générale, A/Res/20.2072 (16 décembre 1965) En juin1966, lors d’une réunion du « comité des 24 », le Maroc a appelé à l’indépendance du Sahara occidental. Assemblée Générale, A/RES/35/19 (11 novembre 1980)
  10. S/RES/1292 (29 février 2000)
  11. À propos d’un cas similaire, celui du plateau continental de la mer du Nord, la Cour Internationale de Justice a conclu à une obligation des États à entamer « des négociations en vue d’arriver à un accord… ils sont dans l’obligation de se comporter de manière à ce que les négociations soient tangibles… ». Dossier de la Cour internationale de justice sur le plateau continental de la mer du Nord, jugement du 20 février 1969.
  12. Dans le paragraphe 2 : « tous les peuples ont le droit à l’autodétermination, en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent leur voie librement. »
  13. La déclaration coloniale des Nations Unies, résolution de l’Assemblée Générale 1541 (1960) garantit que le droit à l’autodétermination pour les peuples colonisés dans les territoires non autonomes peut être exercé par :
    (a) la promulgation d’un État indépendant ;
    (b) l’intégration à un autre territoire (par exemple un territoire frontalier) ;
    (c) la décision de s’associer à un État déjà reconnu (généralement la puissance coloniale antérieure) a été étroitement associée au droit de fonder un État indépendant (autodétermination externe).

    La question du Sahara occidental a suscité sa première résolution de l’ONU en 1965 [14. En 1965, l’Assemblée Générale a adopté sa première résolution sur le Sahara occidental, demandant à l’Espagne de décoloniser le territoire.

  14. Pour plus d’information, voir les rapports annuels d’organisations humanitaires telles que Human Right Watch et Amnesty International ; pour la spoliation des ressources naturelles du Sahara occidental, voir le Western Sahara Resource Watch.
  15. Le Jus Cogens se réfère aux normes du Droit international qui ont force péremptoire, sont contraignantes et au sujet desquelles aucune dérogation ne peut être acceptée par une autre loi règle péremptoire. La seule définition du Jus Cogens est celle fournie dans les Articles 53 et 64 de la Convention de Vienne sur le Droit des traités, 1969.
  16. Le 23 mai 2003, James Baker, en tant qu’envoyé spécial pour le Sahara occidental, a présenté un plan de paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, nommé plus simplement Plan Baker II.
  17. Par exemple, les résolutions du Conseil de Sécurité, S/RES/1598 (2005).
  18. L’article 23 du brouillon final de la Commission de loi internationale sur le Droit des traités précise : « Tout traité en vigueur est contraignant, ils doivent l’appliquer de bonne foi. » Doc. A/6309/Rev.1, p.14
  19. Résolution 2414 (2018), adoptée par le Conseil de Sécurité le 27 avril 2018.
  20. Voir la lettre adressée par le sous-secrétaire général des affaires légales, Mr Hans Corell au président du Conseil de sécurité le 29 janvier 2002, ONU, DCs/2002/161.
  21. Dans son verdict du 27 février 2018, la Cour européenne de justice a statué que le pacte Union européenne-Maroc est valide dans la mesure où il n’est pas applicable au Sahara occidental et à ses eaux avoisinantes. Si le territoire du Sahara occidental devait être intégré au champ d’application de l’accord sur les pêcheries, ce serait contraire à certaines règles du Droit international.
  22. La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, universellement ratifiée en 1949, comprend une série de dispositions sur les obligations et les droits de l’occupant en territoire étranger. L’article 49 stipule que l’occupant ne doit pas déporter ou transférer des parties de sa propre population civile dans les territoires qu’elle occupe, et ne doit pas non plus déporter ou transférer des parties de la population autochtone de ce territoire en dehors de celui-ci.
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2 réflexions sur « Sahara occidental : négociations autour de la dernière colonie d’Afrique »

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