Résurrection de Léon Tolstoï


Par Jean Piniarski − Octobre 2018

Image illustrative de l’article Résurrection (Tolstoï)

Ce que nous vivons n’est peut-être que la répétition de situations déjà vécues. Lisons ou relisons Résurrection de Léon Tolstoï. Ce n’est pas un roman mais un documentaire. Les composantes de la vie de la société russe à la fin du XIXe siècle y sont décrites, analysées, et sont parties intégrantes de l’ouvrage. Le sujet est le suivant : un jeune noble russe fait partie du jury d’un tribunal. Une erreur dans la rédaction des délibérations du jury, reliée aux conditions du déroulé du procès, aboutit à la condamnation d’une accusée que tous savent innocente.

De plus, cette jeune femme a été reconnue par le jeune noble. C’est une personne avec laquelle il a eu des relations intimes des années auparavant, ce qui a eu des conséquences sur la vie de la jeune femme qui est devenue prostituée.

La conscience morale du jeune noble se réveille, au point de vouloir réparer l’erreur judiciaire dont il se sent responsable, venir en aide à la jeune femme et même de changer sa propre existence. Cet argument permet à l’auteur de visiter et décrire un grand nombre des rouages de la société russe de la fin du 19ème siècle et d’en faire le jugement. Il décrit avec une grande lucidité la vie facile de la classe fortunée et le cauchemar quotidien des classes inférieures, les erreurs judiciaires. Il décrit l’indifférence, voire l’amoralité des structures de gouvernement, ministres, justice, l’indifférence et la brutalité de l’encadrement du régime pénitentiaire.

Même l’Église est accusée de trahir son rôle (Tolstoï a été excommunié). Il analyse la personnalité des membres du mouvement révolutionnaire. Et ces personnes paraissent avoir, pour la plupart, des qualités morales qu’on ne retrouve pas ailleurs. La société russe de cette époque paraît construite en tournant le dos à la morale. La société est basée sur les privilèges injustes, la coercition, les structures au fonctionnement aveugle qui permettent à une minorité de vivre dans le luxe aux dépend d’une majorité de misérables. La conclusion de Tolstoï est implacable : « C’est comme si le problème à résoudre était de dépraver le plus grand nombre possible de personnes. »

La dépravation est à l’œuvre dans les classes inférieures, et quand aux classes supérieures, voici ce qu’en dit l’auteur : « Chacun de nous pour agir doit considérer son activité comme utile et importante (…). Le phénomène n’est-il pas le même avec les riches s’enorgueillissant de leurs richesses, c’est à dire de leurs rapines, avec les chefs de guerre s’enorgueillissant de leurs victoires, c’est à dire de leurs assassinats, avec les puissants s’enorgueillissant de leur puissance, c’est à dire de leur tyrannie. Si nous ne remarquons pas que ces gens, en vu de justifier leur situation, ont de la vie, du bien et du mal, une conception corrompue, c’est seulement parce que le cercle des gens qui ont adopté ces conceptions perverses est plus étendu, et que nous-mêmes en faisons partie. »

Ce livre a été terminé en décembre 1899. En 1905 ont éclaté en Russie, des troubles qui ont été fermement réprimés. Et en 1917, une révolution importée de l’étranger a mis au pouvoir une nouvelle classe de dirigeants, la société russe s’effondrant, se dévorant elle-même faute de cohésion entre les différents groupes qui la constituent. La comparaison avec la société occidentale de notre époque peut paraître incongrue. Les conditions de vie des classes inférieures ont changé. Les moyens de la classe dirigeante pour tenir les classes dominées ont changé. Et cependant, il est possible de lire dans notre société la même amoralité et de voir à l’œuvre la déliquescence de la société. Le pouvoir n’appartient bien sûr pas au peuple car le pouvoir et l’argent sont confondus. Nombre de politiques et de fonctionnaires ne sont en place que pour justifier la modification de la société dans un sens toujours plus injuste qui sert les seuls intérêts des fortunés.

Les écarts entre les riches et les pauvres s’accroissent sans cesse et atteignent des niveaux inconnus dans l’histoire humaine. La classe dominante mène, par la seule prise en compte de l’intérêt économique, à une destruction tous azimuts : environnement naturel, santé publique, niveau d’éducation, éclatement de la famille, avilissement des mœurs, dépravation des adultes et des enfants. Cette société ne tient assemblée que par un cadre toujours renforcé de mensonges et de violence. La conclusion de Tolstoï est totalement transposable à la société occidentale de notre époque. Selon toute vraisemblance, nous ne sommes plus loin de l’effondrement effectif de cette société et de l’émergence d’un autre pouvoir. Espérons que le peuple en sera l’acteur et que ce changement se fera sans violence.

Jean Piniarski

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